24 juin - 10 heures
Le maquillage de Suzy faisait merveille. On ne remarquait rien et Gabrielle du Plessis plaisait à tous ces messieurs. Elle se tenait à cheval et souriait.
Sa longue robe de satin, d'un doux rose, recouvrait les flancs de son cheval. Ses rubans flottaient derrière elle et on la contemplait plus que le roi.
A ses côtés se trouvait le jeune Florian d'Andrézy. L'attaché d'ambassade hongrois faisait caracoler son cheval sous les arbres resplendissant du parc de l'Elysée. Le président Fallières était assis au côté du roi Ferdinand Ier de Bulgarie. On devisait d'une guerre possible contre l'Allemagne et d'une alliance probable dans les Balkans. Le roi était en visite officielle à Paris, on espérait le détourner d'une alliance contre la France.
Le président Fallières présentait tous les avantages à s'allier avec son pays. Ferdinand Ier souriait et profitait du beau parc.
Au banquet du soir-même, Florian d'Andrézy servait sa compagne avec empressement, la faisant valser et rire de plaisir.
L'attaché présenta même la jolie femme au roi en personne et Gabrielle du Plessis fit une jolie révérence qui fut très appréciée.
Le roi de Bulgarie eut la gentillesse de lui accorder quelques mots avant de se tourner vers Florian d'Andrézy.
La conversation entre les deux hommes dura longtemps et Gabrielle se sentit de trop.
Elle s'éloigna de quelques pas et restée seule, la femme fit jouer de son éventail pour lutter contre la chaleur pesante. L'ambassadeur allemand, Hugo von Radolin, apparut alors. Il s'inclina en lui tendant la main :
" Me ferez-vous le plaisir, mademoiselle du Plessis ?
- C'est que je ne suis pas seule, monsieur, se défendit-elle.
- Allons ! S'il faut vous payer pour une danse, je le ferai ! Qu'en dira ce jeune fat d'Andrézy ?
- Beaucoup, le connaissant !, s'amusa le cocotte.
- Si vous voulez vous faire adorer, mademoiselle, jouez sur la jalousie et prenez ma main !"
Gabrielle allait refuser lorsqu'elle aperçut Florian d'Andrézy. Il avait cessé de bavarder avec Sa Majesté, le roi Ferdinand de Bulgarie, mais se tenait toujours tout proche de lui.
A la grande surprise de Gabrielle, Florian ne bougea pas et hocha la tête en sa direction.
Indécise et se sentant ridicule d'être abandonnée là, au milieu de tous
La cocotte accepta la danse. Hugo von Radolin en fut très heureux et très surpris. Il ne cessa de vanter la beauté de sa compagne.
Mais Gabrielle ne quitta pas des yeux son amant, Florian, et cherchait à comprendre ce qu'il se passait réellement.
Le roi Ferdinand Ier, impressionnant dans son uniforme, revint se placer près de Florian d'Andrezy. Gabrielle vit tout ceci, puis elle entendit son cavalier se mettre à rire.
" Votre Andrézy devrait se méfier, mademoiselle.
- Pourquoi ? Vous voulez l'attaquer en duel, monsieur ?, se moqua Gabrielle.
- Non. Mais on dit que le roi Ferdinand est de moeurs assez étranges.
- Comment cela ?
- Il ne vous a pas gardé longtemps auprès de lui, Gabrielle du Plessis. Et pourtant, je ne connais pas un homme de cette salle qui n'aurait apprécié l'honneur et le plaisir de vous avoir rien qu'à lui pour toute la soirée.
- Peut-être est-il juste sérieux ? Contrairement à tous ces hommes comme vous dites, mon prince.
- Peut-être. Que ne dit-on pas pour salir des réputations ? Je vous attends à mon ambassade d'ici peu, mademoiselle du Plessis.
- Pourquoi pas, mon prince ?"
La valse terminée, Hugo von Radelin se recula. Il embrassa la main de sa cavalière et la laissa à Florian d'Andrézy, revenu chercher sa Gabrielle.
Plus tard, entre deux valses et trois baisers, la cocotte demanda sérieusement :
" Qu'est-ce que c'est que cette histoire de m'abandonner pour un roi, Florian ?
- Non. Je ne t'abandonne pas. Je sers la patrie moi aussi. Je suis aux ordres de la France.
- Mais tu es Hongrois !?
- Et ma mère est une cousine des Dreux-Soubise. J'espionne pour la France.
- Mon Dieu !
- Tu es engagée dans des eaux troubles et dangereuses, ma Gabrielle. Si je tenais celui qui t'a plongée dans ces affaires politiques, je le pourfendrais de mon sabre !"
Ebahie, Gabrielle du Plessis dut s'asseoir un instant.
Maintenant, la cocotte devait aussi s'inquiéter pour son jeune Florian, intrépide et désinvolte.
Son monde serait bien plus simple sans tous ses hommes !
D'une main attentionnée, Florian caressa tendrement la joue de Gabrielle :
"Qui t'a frappée ainsi, ma chérie ? Je ne donne pas cher de sa peau !
- Moi non plus, s'amusa la cocotte. Il doit être sur la route de Saint-Pierre-et-Miquelon aujourd'hui."
Gabrielle du Plessis sourit et repartit pour une nouvelle valse.
Sous les yeux de tous les hommes de la salle...hormis le roi de Bulgarie, peut-être...
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