Quand Madame annonce une grande nouvelle...
Le salon du One-Two-Two, le dimanche... Tout était calme et silencieux. On avait retiré les tentures noires et on avait ouvert les fenêtres sur la chaleur de juin.
L'été était enfin là et les tenues se faisaient plus vaporeuses que d'habitude.
Alanguies, les pensionnaires de la maison paressaient en lisant ou en jouant aux cartes. Madame avait fait généreusement servir des glaces au sorbet.
Ce geste rendait tout le monde méfiant.
On supputait sur la raison de cette générosité inhabituelle...
"Vous verrez qu'elle va nous pondre une nouvelle lubie !, lança Mathilde en alignant une paire de rois complétement inattendue.
- Je suis d'accord, accepta Margot. Mais laquelle ?
- Vous croyez qu'elle va encore nous déguiser en bergères ?," demanda Suzy en arrangeant son bas qui glissait.
On soupira de dépit et Elvire leva la tête, curieuse.
" Comment ça "nous déguiser en bergères" ?
- Hé bien, madame a des idées très festives, voyez-vous ma charmante Elvire, expliqua doctement Antonin, l'inverti. Elle aime beaucoup que nous fêtions les saisons. Pour le plaisir des clients !
- Quoi ?
- Ainsi, à l'arrivée de l'été, Madame nous habille de tenue campagnarde et nous fait chanter des paillardes champêtres. L'année dernière, j'étais un faune et Suzy une ondine.
- Sérieux ? Et toi, Gabrielle ?
- Moi, j'étais une Artémis et je me baladais le sein toujours à poil."
Elvire claqua sa main sur sa bouche pour ne pas éclater de rire. Cela fit rire tout le monde, même Gabrielle du Plessis.
" Et pour l'hiver ?, interrogea Elvire, amusée.
- Madame nous avait tous déguisés en fées et lutins des glaces. Suzy avait toujours des glaçons sur elle pour faire pointer ses seins sous le voilage.
- Ben quoi ? Je n'ai pas des mamelons proéminents, moi. Monsieur de Jussac doit les têter longtemps avant qu'ils ne pointent."
On se tut et on encaissa l'image. Puis Elvire reprit, enthousiasmée :
" Vous croyez que c'est ça qu'elle prépare ?
- Dieu seul le sait !, répondit philosophiquement Mathilde. Tant qu'elle n'a pas l'idée de nous déguiser en animaux de la ferme !"
Corine, toujours un peu fragile, posa une paire d'as sur la table et remporta la partie. Mathilde la toisa froidement du regard.
" Y en a qui vont mieux à ce qu'on voit !"
Corine sourit et empocha la somme placée au centre de la table pour intéresser la partie.
Madame entra à cet instant et son chignon bien dressé n'augurait rien de bon. Madame souriait largement et ses mains se frottait nerveusement l'une contre l'autre.
" Mes enfants ! C'est dit ! Demain, les travaux d'agrandissement du One-Two-Two commencent ! Vous allez devoir partager vos chambres !
- Mais... Pour combien de temps, madame ?, murmura Margot, la voix larmoyante.
- Une semaine, à tout prendre. Ne vous inquiétez pas, je m'occupe de tout !"
Mathilde souffla discrètement :
" Avec la chance qu'on a, vous verrez que dans un mois, on y sera encore à partager nos piaules !
- Misère..."
Mais Gabrielle se disait que c'était peut-être le moment de visiter le fameux appartement qu'André Laroche était censé lui avoir acheté.
Enfin, cette journée calme et tranquille se termina de façon magique. Au bras du prince Sernine, Gabrielle du Plessis assista à l'Oiseau de Feu...et les ballets russes furent toujours aussi enivrants...
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