26 juin - 18 heures
"Non André ! C'est non, non et non !
- Ce sont tes derniers mots, ma Gabrielle ?"
Mais le ton railleur de la voix ne trompait personne ! Gabrielle du Plessis hésitait encore entre gifler son compagnon ou l'embrasser pour le faire taire.
Elle opta pour le silence plein de mépris.
Ce choix fit rire l'éternel séducteur qu'était André Laroche. Il saisit la cocotte par le bras et la fit s'avancer.
" Si je te dis que tu ne risques rien, ma chérie. Accepteras-tu d'essayer ?
- Mais ce n'est pas possible, André !, glapit la femme. Tu n'écoutes rien de ce que je te dis ! Je t'ai dit non ! NON !
- Oui, mais je les connais tes "non"... Ils ont tendance à se transformer en "oui" et en "encore". Parfois même en "plus fort", mais il faut que je sois vraiment très bon pour..."
La cocotte posa sa main sur la bouche de son amant pour le faire taire. Elle apercevait les regards abasourdis des spectateurs autour d'eux et, malgré elle, cela la fit rire.
" Tu crois vraiment que tu as tous les droits, André !, souffla Gabrielle en se reculant, amusée.
- Mais j'ai tous les droits ! Je suis quelqu'un de riche, de célèbre et d'envié. Que demander de plus ?
- C'est toujours non !
- Tu me déçois, la belle. Je te croyais plus téméraire... Tant pis..."
Avec un long soupir théâtral, André Laroche lâcha la main de Gabrielle pour sortir sa paire de jumelles. Il examina le ciel avec un intérêt marqué. Un peu inquiète d'avoir fâché son amant, la cocotte s'approcha et s'accrocha à son épaule.
" Explique-moi ce qu'il se passe exactement ici !
- Un concours aéronautique !
- Tu m'en diras tant !, sourit Gabrielle. Je n'avais pas deviné, vois-tu !"
De fait, il y avait plusieurs ballons dans le ciel et des banderolles qui annonçaient l'ouverture du Grand Prix de l'Aéro-Club. Il suffisait d'ouvrir les yeux pour voir et comprendre que tout avait un lien avec le ciel. Mais Gabrielle voulait plus d'explications, elle contemplait son amant avec une charmante ironie.
André embrassa Gabrielle pour la faire taire. C'était ce qu'il préférait toujours comme arme.
"C'est toi qui me demandes de t'expliquer, alors je t'explique !"
Ils rirent en se regardant dans les yeux. Oui, Gabrielle avait beaucoup d'affection pour son riche industriel et séducteur impénitent.
« En fait, ce n'est pas le premier concours cette année, mais il faisait si mauvais les autres fois que j'ai préféré te garder pour aujourd'hui. Il s'agit du Grand Prix de l’Aéro-Club de France. Vingt ballons doivent concourir. Ils partiront ce soir d'ici. Sur les coteaux de Saint-Cloud
- Des ballons sphériques ?! Ils doivent tenir longtemps dans les airs ?
- Et parcourir la plus longue distance ! Mon ami, l'aviateur Jacques Balsan a remporté le prix Robert Denoncin en décembre dernier. Il a couvert 12 kilomètres avec son ballon et il espère faire mieux aujourd'hui.
- Je sais que tu aimes le ciel avec passion, mon André. Mais je ne vois vraiment pas l'intérêt de ces gros ballons de baudruche," taquina gentiment Gabrielle.
André Laroche embrassa la main de sa compagne, mais ce ne fut pas lui qui défendit les ballons. Un
homme imposant, doté d'une belle moustache, s'immisca dans la conversation.
" Vous avez tort, madame !, claqua-t-il. Les ballons participeront aux prochains conflits, vous verrez ! Au même titre que l'aviation !
- Monsieur le ministre, s'inclina Laroche. Sans vouloir vous vexer, je préférerais que mon amie ne voit pas de prochaine guerre.
- Certes, se reprit l'homme, certes, mais il faut être prêt à toute éventualité !
- Mon Dieu ! Vous dévouez ces charmants aéronefs à un bien triste usage, mon cher général Brun, s'exclama une femme toute proche.
- Madame Durand ! J'ignorais que le sport intéressait aussi les femmes modernes !
- Il le fait, mon général, sourit Mme Durand. Mon journal, "Les Nouvelles" ne traite pas que de souci de cuisine ou de mode. Tout intéresse les femmes, vous savez ?"
On se mit à rire dédaigneusement, avec un mépris ostensible. Mais Mme Durand ne se démonta pas. Elle ajouta :
" Et je suis venue voir Mlle Marie Marvingt ! Elle participe au Prix sur un ballon, la Lorraine !
- Vous voulez dire qu'une femme participe à cette compétition ?!, s'étrangla un homme.
- Si fait, monsieur ! Et elle a toutes ses chances ! Mlle Marvingt est extraordinaire !, s'enthousiasma Mme Durand.
- Si les femmes se mettent à devenir pilotes, où va le monde, mon cher Laroche ?, souffla le ministre de la guerre, le général Brun.
- Le monde ne va pas si mal, mon général," s'amusa Laroche.
Gabrielle du Plessis regardait tous ces messieurs à moustache et à chapeau haut-de-forme, tous imposants et fiers de leur domination. Elle voyait aussi Mme Marguerite Durand, connue du tout-Paris pour sa candidature malheureuse aux élections législatives d'avril 1910. Une femme qui se présentait aux élections ?! Le préfet de la Seine avait refusé tout net.
A la satisfaction générale, bien évidemment.
Puis, sans plus réfléchir, avec cette témérité qui la caractérisait, Gabrielle du Plessis s'avança et s'écria :
" Alors André !? Où est notre ballon ?! Il est bien temps d'y aller !!"
Cela surprit tout le monde.
André Laroche se reprit le premier et prenant la main de sa compagne, il lui indiqua nonchalamment la plaine devant eux.
" Le blanc, il s'appelle "Ambrumésy".
- Merveilleux ! Il a intérêt à battre ton Jacques Balsan.
- Il le fera, ma belle. Il le fera !"
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