27 juin - 11 heures

4 minutes de lecture

Gabrielle du Plessis était tenue en joue par le regard froid et sévère de l'inspecteur Javert. Cela l'amusait et l'attristait à la fois.

" Je ne suis pas idiote, Javert.

- Je ne sais pas. Quand je te vois, j'ai des doutes.

- Je promets de ne pas me comporter stupidement ! Là, ça te va ?

- Parfait !, claqua l'homme. Tiens si t'as soif !"

Abruptement, l'inspecteur tendit une bouteille de vin à la cocotte qui l'accepta en riant. Javert lui donna également un sandwich emballé dans un journal.

" Jeanne va nous rejoindre ?, interrogea Gabrielle en attaquant le repas à belles dents.

- Quand elle aura réussi à coucher le petit pour sa sieste, elle viendra.

- Ton Gavroche te pose des problèmes, mon tout-beau ?, se moqua Gabrielle.

- Paraît qu'il tient de son père, mais quand je suis au pieu, je pionce, moi ! Je braille pas comme un damné !"

Gabrielle se mit à rire et but une longue rasade de vin. Fort et épais. Comme l'aimait son ami, le flic. Elle grimaça un peu.

" Tu sais que je n'aurais pas fait l'idiote !?

- Oui, oui. On a des risques d'émeute à Paname et tu me dis que tu serais restée sagement dans ta chambrée. Tu te fous de qui ?

- Est-ce que c'est lui qui t'a envoyé ?

- Pas seulement. Il m'a accordé un jour de congé sur ma demande quand il a su ce que je voulais en faire.

- Je suis un tel sujet d'ennui pour la Sûreté ?, s'exclama Gabrielle.

- Tu n'imagines pas à quel point !"

La cocotte sourit, mais elle perdit vite son sourire. Elle posa son menton dans sa main et regarda la Seine qui passait à leurs pieds. Si belle sous le soleil de juin.

" Javert ! Que s'est-il passé ?

- Je n'étais pas là pour tous les actes, la joliette, mais j'en sais les grandes lignes.

- Une telle violence ?! Etait-ce nécessaire ?

- Henri Cler n'était pas qu'un ouvrier ébéniste, la joliette. Il était un anarchiste et il fallait le surveiller.

- Javert... Je t'en prie... Tu ne peux pas excuser ce qu'il s'est passé... S'il te plaît..."

La vigueur avec laquelle le policier jeta son hameçon dans l'eau de la Seine provoqua un tel remous que les autres pêcheurs le huèrent. Javert s'assit, fâché et nerveux.

" Non, je n'excuse pas ! Cler faisait de la propagande syndicale. Il a poussé à la grève chez Sanyas et Popot contre le contremaître.

- Il avait raison ! Javert ! Tu as lu les témoignages contre ce contremaître ?!

- Oui, ma joliette. Tout ce que je sais, c'est que le 13 juin, les collègues se sont battus contre les grévistes et que Cler a reçu des coups violents à la tête. Il en mort quelques jours plus tard.

- Quelle misère !

- Je ne défends pas les collègues ! Je n'y étais pas, mais putain ! On parle d'« un assassinat patronal et policier » sur plusieurs affiches syndicales. Paname est devenu dangereux pour les flics. On caillasse les postes de police et on poignarde les flics. Hier, j'ai un collègue..."

Les mains du grand inspecteur tremblaient et Gabrielle posa ses doigts sur les siens. Elle avait beaucoup d'amitié pour celui qui l'avait sauvée et protégée toutes ces années.

" Ce n'est pas que pour moi que tu es là, pas vrai ?

- Henri Cler ne méritait pas son sort. Les collègues ont perdu la tête et doivent être punis. Mais... aujourd'hui, je refuse de te laisser participer à la manifestation. Les funérailles ont eu lieu hier au cimetière de Pantin.

- Javert...

- Des drapeaux rouges et noirs, des affrontements, des jets de pierre... A la sortie du cimetière, ce fut terrible. J'ai revu la Commune, la cocotte.

- Mon Dieu !

- Quarante policiers ont été blessés, des simples passants ont été molestés... On compte une centaine de blessés ! Et tu sais par qui ? Pas par la police, Gabrielle ! Par la cavalerie ! On a piétiné la foule ! Comme au temps de Charles X ! Un vrai massacre !"

Gabrielle du Plessis se taisait et assistait à cette triste confession. Javert se frotta le visage avec ses mains et fronça le nez en les reniflant.

" Putain, quel con ! Je pue le poisson maintenant !

- Attends, je vais te laver le visage !, proposa gentiment Gabrielle.

- Avec ton eau de rose ?! Merci bien, je vais sentir la courtisane !

- Tu préfères le poisson ?"

Les deux amis se regardèrent et furent surpris de voir les mêmes larmes embuant leurs yeux. Javert se reprit et recula, honteux.

" Bref, je n'ai pas assisté à l'affrontement contre Henri Cler, mais j'ai vu ses funérailles. La charge de cavalerie a été terrible. La chaussée était rouge de sang. On a arrêté treize manifestants et je n'avais pas vu un tel débordement de haine depuis longtemps.

- Et toi ? Comment tu vas ?

- Bien ! Je pêche du poisson en laissant les collègues surveiller les manifestations. Aujourd'hui, j'ai relâche. Et toi aussi !

- Peut-être... Peut-être que je devrais te remercier, Javert...

- Allons donc, la joliette ! C'est ma Jeanne qui a fait les sandwichs, moi je t'apprends à pêcher. Tu la remercieras quand elle sera là.

- Merci. Je serais peut-être allée dans les faubourgs, c'est vrai.

- Tu n'aurais peut-être pas reçue une simple gifle, la joliette. On reçoit des pavés en ce moment à Paname...et des coups de sabre...

- Vivement que les choses s'améliorent !

- Buvons un coup à cette belle pensée et montre-moi comment tu tiens ta canne à pêche ! Ce n'est pas une ombrelle !"

De fait, pêcher sur la Seine était une activité sérieuse qu'il fallait pratiquer sérieusement ! L'inspecteur expliqua plusieurs fois comment il se tenait lorsqu'il participait à des concours de pêche.

Car l'inspecteur Javert participait à des concours de pêche et ma foi, il en gagnait !

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