28 juin - 19 heures
Gabrielle du Plessis était merveilleuse, magnifique, envoûtante. Elle tenait le bras du prince russe, Alexei Sernine et l'homme souriait en la menant vers la piste de danse.
Le roi Ferdinand de Bulgarie et son épouse, la reine Eleonora, présidaient le bal donné au palais de l'Elysée. La reine portait une tenue splendide, de tussor blanc rayé de noir, et le roi avait orné de médailles militaires son uniforme très sobre.
Alexei Sernine accrocha une rose d'un joli rose éclatant sur le corsage de sa compagne. Gabrielle en sourit.
" Une rose ? Moy dorogoy ? Tu ne crois pas que cela fait trop tapageur ?"
Le prince répondit au sourire par un des siens, dévoilant ses dents blanches et entretenues.
" Moya zvezda, c'est une rose Parfum de l'Hay, la rose offerte à la reine Eleonora il y a quelques jours au Jardin de Bagatelle. Cela touchera Sa Majesté.
- Si j'avais su que tu voulais me couvrir de fleurs, j'aurais adopté une tenue plus simple.
- Je t'aime dans toutes tes tenues, moya zvezda. Surtout dans celle d'Eve.
- Voyons, mon prince !, taquina la cocotte. Vous vous dévergondez !
- Je suis prince, je peux tout me permettre !"
Cette réponse fit soupirer la femme.
" Décidément, vous les hommes, vous ne doutez de rien !
- Pourquoi le devrions-nous ? Viens danser, Gabrielle !
- A vos ordres, mon prince !"
De fait, ils dansèrent toute la nuit.
La réception était très bien réussie. La France accueillait dignement la Bulgarie et espérait en faire son allié dans la guerre qui s'annonçait avec l'Allemagne.
Une guerre qui ne devrait plus tarder à voir les simagrées des personnalités politiques et militaires.,
" Moya zvezda, j'aimerais t'emmener en Russie cet été. Qu'en dirais-tu ?
- Moi ? En Russie ? Vous avez le délire, mon prince !
- Non, j'aimerais te montrer la perspective Nevski et la Neva.
- Cet été ? Tu n'es pas sérieux, Alexei !"
La valse continuait et continuait. Le champagne coulait à flot et Gabrielle avait du succès. On nota cependant qu'elle refusait toutes les avances. Son carnet de bal ne comportait qu'un nom, celui du prince russe, Alexei Sernine.
Cela amusa beaucoup les mauvaises langues.
Après tout, n'avait-on pas vu cette belle créature jouer la même scène avec le jeune Florian d'Andrézy ? Le roi en fut très amusé.
Par contre, l'ambassadeur allemand, Hugo von Radelin, le prit comme un affront personnel. La Russie était ennemie de l'Allemagne, contrairement à la Hongrie.
Il profita d'une rencontre inoppinée dans les couloirs du palais pour coincer la cocotte derrière une tenture.
" Vous êtes une femme dangereuse, madame du Plessis. Vous jouez du coeur des hommes comme d'autres jouent avec leur vie. Attention à leur colère !
- Ce sont des amis, mon prince.
- Ils ne méritent pas votre amitié dans ce cas ! Si vous étiez ma maîtresse, je n'aurais que vous ! Et vous n'auriez que moi ! Réfléchissez !
- Je n'ai pas oublié ma promesse, mon prince, je viendrai à l'ambassade d'Allemagne !
- J'y tiens, Gabrielle du Plessis ! J'y tiens absolument !"
Hugo von Radelin lâcha le bras de la femme et reprit sa place dans le cortège d'hommes importants entourant le roi de Bulgarie, son épouse et sa cour.
Alexei Sernine murmura dans les boucles de sa compagne ce soir-là :
" En Russie, moya zvezda, personne ne saurait qui tu es.
- J'ai deux enfants, Alexei...
- Emmène-les, fit nonchalamment le prince Sernine. Le tsar Nicolas II et la tsarine Alexandra ont cinq enfants. Tes enfants joueront avec eux.
- Mais...mais je ne suis qu'une... qu'une...
- Le tsarévitch Alexis est un peu fragile, mais c'est un enfant espiègle. Sinon les filles du tsar sont de douces jeunes filles. J'aime beaucoup Olga, elle ressemble tellement à son père. Tu verras, tu vas les aimer aussi !
- Alexei ! Tu ne sais pas ce que tu dis !, préféra rire la cocotte.
- Je pars en juillet. Viens avec moi, moya zvezda !"
Voyant que le prince Sernine était sérieux et ne sachant pas comment se sortir de cette impasse, Gabrielle du Plessis répondit simplement :
" Je vais y réfléchir, moy dorogoy.
- Je n'ai pas d'enfants, moya zvezda, cela me ferait plaisir de rencontrer les tiens. Et qui sait ?"
Cet aveu empêcha Gabrielle de dormir une grande partie de la nuit.
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