30 juin - 10 heures
L'ambassade d'Allemagne était parée de mille couleurs et d'une multitude de drapeaux du Reich. Le prince Hugo von Radolin s'en allait, rappelé par le Kaiser.
Gabrielle du Plessis était venue assister à son départ et ainsi tenir sa promesse de rendre une visite à l'ambassadeur d'Allemagne. Diverses personnalités politiques étaient présentes et des membres de la haute société parisienne aussi. Le prince Hugo von Radolin était très apprécié.
Pendant neuf ans, il avait été ambassadeur à Paris et il avait toujours oeuvré pour un rapprochement entre la France et l'Allemagne. La guerre lui semblait inacceptable. Il y voyait un désastre terrible.
Un horrible gâchis d'hommes et de ressources.
Mais le prince Hugo von Radolin n'avait pas réussi à réconcilier les deux ennemis et il quittait Paris bien tristement.
Gabrielle du Plessis vint se placer à sa droite et posa sa main sur le bras du vieil homme.
" Vous auriez dû venir plus tôt, madame. Je quitte les lieux aujourd'hui. Mon successeur ne va pas tarder.
- J'ai une vie très chargée, vous m'en voyez désolée, mon prince. Si j'avais su la date de votre départ, je serais venue plus tôt.
- Ah ! Voilà une jolie promesse que vous n'aurez jamais à prouver ! Au moins, je ne finirai pas tué en duel par un de vos amis.
- Vous n'auriez peut-être pas été tué, sourit la cocotte. Mes amis me partagent souvent entre eux.
- Il faut être de vos amis dans ce cas."
L'ambassadeur se redressa fièrement, sa barbe bien taillée et sa moustache bien fournie, ajoutaient de la puissance à son personnage. Il se campa et contempla le salon de réception de son ambassade.
" Si vous désirez rencontrer des gens de la bonne société, allez chez mon amie, la comtesse Rosalie de Fitz-James, rue de Constantine. Vous pourrez faire votre chemin, loin de la galanterie. Vous êtes bien trop fine et belle pour vous contenter d'un rôle de courtisane.
- Je ne suis, hélas, rien d'autre que cela, mon prince. Une courtisane !
- On peut dépasser ce statut et devenir quelqu'un ! Regardez Liane de Pougy, la voila princesse de Serbie !"
Gabrielle du Plessis hocha la tête, elle se pencha vers son compagnon et lui dit en souriant :
" Oui, et on dit que sa fortune est tellement supérieure à celle de son époux que la séparation des biens a été exigée pour ce mariage !
- Voilà quelque chose qui devrait vous rendre ambitieuse, madame. Vous êtes belle, intelligente et fine. Profitez de vos charmes et devenez quelqu'un !
- Je...je ne sais pas...
- La comtesse de Fitz-James organise un déjeuner littéraire tous les mercredis. Je peux vous avoir une invitation !
- Vous me tentez, monsieur, taquina la cocotte. Imaginez si je plaisais ?!
- Vous plairez et vous pourriez même vous trouver un protecteur !
- Un de plus ?! Mais je ne sais déjà pas où donner de la tête !"
Le prince sourit, il entraîna la femme dans son sillage et la fit s'asseoir à la table de réception. Gabrielle du Plessis était si belle qu'elle attirait tous les regards, c'était vrai.
" Aux déjeuners du mercredi, vous rencontrerez aussi les membres des différentes ambassades. Si la politique vous intéresse réellement, vous pourriez y trouver votre compte."
Le sourire avait disparu et le prince regardait fixement la cocotte. Gabrielle se troubla.
" Je ne m'intéresse pas plus que ça à la politique, monsieur.
- J'ai appris que vous appreniez les danses exotiques. C'est très bien. Vous avez une jolie silhouette.
- Je...j'aime la danse... Je...
- Madame Mata-Hari est une de mes amies également. Elle vient parfois aux déjeuners de la comtesse. Vous pourriez fort bien devenir amies."
Gabrielle se releva, elle était blanche et frottait ses mains en tremblant.
" Je dois y aller... Il est tard..."
Le prince saisit la main de la cocotte et la serra un peu trop fort.
" J'aime la France et j'y ai vécu des années joyeuses. J'ai oeuvré longtemps pour Bismarck et j'ai foi en ma patrie. J'ai foi aussi en la France. Votre Victor Hugo avait raison lorsqu'il disait que "La France et l'Allemagne sont essentiellement l'Europe. L'Allemagne est le coeur ; la France est la tête."
- Lâchez-moi, monsieur !"
L'homme obéit mais il se pencha en avant pour pouvoir murmurer tout près de Gabrielle :
" J'aime la France, mais mon successeur ne l'aime pas. Le baron Wilhelm Eduard von Schoen dit souvent que "La France n'est importante ni militairement, ni autrement." Il veut la guerre entre nos deux pays. Il ne vous verra pas d'un très bon oeil, madame.
- Vous...vous me connaissez donc, monsieur ?
- Je connais les rouages de vos administrations et j'ai beaucoup d'amitié pour le capitaine Luis Perenna. Seulement, l'heure n'est plus à fouiller les poubelles à la recherche de bordereaux.
- Et les confidences sur l'oreiller ?, fit vicieusement la femme.
- Cela peut marcher avec certains. Mais pas avec tous. Méfiez-vous, madame du Plessis ! Pensez à votre carrière et trouvez-vous une situation ! Laissez la politique à ceux qui n'ont rien à perdre."
Hugo von Radolin s'inclina très bas.
Avant de disparaître pour rejoindre la foule venue assister à son départ pour l'Allemagne. Il était mis à la retraite sur ordre du Kaiser, car il était trop francophile.
Cela ne présageait rien de bon pour l'avenir de l'Europe...
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