1er juillet - 13 heures
Le salon du One-Two-Two était difficile à reconnaître. On se serait cru dans une étable ! Des ballots de foin étaient disposés partout et sur les meuble se trouvaient des bidons à lait et des jattes à beurre en bois.
Madame avait fait disposer des bouquets de fleurs des champs sur le moindre espace disponible.
L'ensemble des pensionnaires du One-Two-Two portait des tenues champêtres et les filles avaient toutes des tresses et des cerises accrochées aux oreilles.
Des voluptés payées le prix fort par Madame en personne sur le marché de Rungis !
Antonin et Jérôme étaient vêtus de tenue d'ouvrier agricole, veston et béret compris. Leur chemise, largement ouverte, dévoilait leur torse.
Madame était satisfaite ! On aurait dit une grosse fraise dans sa robe rouge à pois, couverte de rubans.
Elle ordonnait un repas qu'elle voulait le plus campagnard possible. Avec du cidre et des pommes acidulées. Le fromage puait joliment et le pain venait de la banlieue.
Tout était prêt pour fêter le mois de juillet !
" Mes filles, mes fils, soyez à la hauteur du One-Two-Two !, annonça la patronne. Ce soir, j'ai prévu un bal guinguette !
- Au milieu des ballots ?!, rétorqua Mathilde de sa voix aigre. Ca va être commode de guincher !
- On va valser ?, fit Suzy en frappant dans ses mains.
- Avec la paille sur le sol ? Je pense plutôt qu'on va vagir.
- Mathilde !, claqua Madame. Plutôt que de sortir des beaux mots, allez me quérir de la salaison chez le charcutier !
- Du saucisson et du lard ? Vous n'avez pas peur de faire trop "province", Madame ?"
La question que posa Elvire fit réfléchir Madame. Elle arrêta Mathilde, déjà prête à sortir, malgré ses cerises et ses tresses.
" Vous avez raison ! Il ne faut pas en faire trop ! Apportez-moi du jambon et du rosbeef. Ce sera mieux !
- Sans nul doute, Madame ! Avec du pâté de foie, ce sera parfait !
- Ho ! Vous avez mille fois raisons, Mathilde ! Allez me chercher du pâté de foie ! Et des andouilles !"
Mathilde disparut, bougonnant dans sa barbe quelques mots incompréhensibles.
Ensuite, Madame se tourna vers ses pensionnaires et claqua dans ses mains.
" Vous, vous allez vous entraîner à chanter ! Ah ! Si vous voulez d'l'Amour et en rythme !"
On se regarda, on soupira, puis Gabrielle, plus intrépide que les autres, se mit à chanter de sa jolie voix :
Quand vous lui dites des mots très tendres
La fillette semble ne rien entendre
A ces choses-là qu'elle comprend très bien
Sa bouche ne répond rien
Mais v'la c'que chante son joli rire
Ce que dit son coeur qui soupire
Et ce que les amoureux
Savent très bien lire dans ses yeux
Refrain
Ah si vous voulez d'l'amour
Ne perdez pas un jour
Cueillez l'bonheur qui passe
Car c'est l'printemps
Profitez du moment
Allons dépêchez-vous
Ou ça n's'ra pas pour vous
V'la tout
Ah ah ah ah ah ah
Ah si vous voulez d'l'amour
Ne perdez pas un jour
Ah ah ah ah ah ah
Allons dépêchez-vous
Ou ça n's'ra pas pour vous
Ce langage-là fait son effet d'suite
C'est l'moment de la réussite
Vous voulez lui prouver votre ardeur
Et lui donner du bonheur
Mais désarmé par son air candide
Vous restez tout à fait stupide
Tandis que d'un ton narquois
Elle murmure à demi-voix
Refrain
Ah si vous voulez d'l'amour
Ne perdez pas un jour
Cueillez l'bonheur qui passe
Car c'est l'printemps
Profitez du moment
Allons dépêchez-vous
Ou ça n's'ra pas pour vous
V'la tout
Ah ah ah ah ah ah
Ah si vous voulez d'l'amour
Ne perdez pas un jour
Ah ah ah ah ah ah
Allons dépêchez-vous
Ou ça n's'ra pas pour vous
" Ma foi, ce n'est pas si mal, conclut Louison. Heureusement que la Mathilde n'est pas là, avec sa voix de poissonnière, elle aurait gâché l'effet !
- Louison ! Je t'en prie !, opposa Suzy. Mathilde a une jolie voix !
- Pour Rungis, certainement ! Mais pour ce qui est de la romance..."
Une ombre apparut derrière Louison et la grosse voix de Mathilde résonna :
" Mais c'est qu'elle me crache dans le dos, la Louison ! Heureusement que je suis revenue chercher de l'oseille. C'est à pas y croire !
- Pardon, Mathilde. Je ne savais que tu étais là. Je..., bredouilla Louison.
- Quant à chanter, je chante mal, c'est vrai, mais je chante fort et surtout ! je sais faire chanter mes clients et c'est l'essentiel ! Et écoutez-moi ça !"
Je suis une doctoresse sans pareil
Et, messieurs, sans vous faire souffrir
Si vous êtes un peu dur d'oreille
Moi je me charge de vous guérir
Venez donc chez moi rue du...
m' rendre visite une après-midi
Sur une petite porte qui es la mienne
Vous lirez "maladies de l'ouie"
Sur une petite porte qui es la mienne
Vous lirez "maladies de l'ouie"
Hier, je vous v'nir un jeune homme
Lui demande, quel est votre cas ?
Il m' répond, je suis à plaindre en somme
Quand on me parle, je n’entends pas
J'ai l'oreille très dur, ça me gène
Je n' sais pas d'ou ça peut provenir
Chère Madame, enfin ça me gène
C'est étonnant, je ne peux pas z' ouir
Chère Madame, enfin ça me gène
C'est étonnant, je ne peux pas z' ouir
Je le fais asseoir sur une chaise
Lui disant, fallait v' nir plus tôt
Une fois installé bien à l'aise
Je lui prends... l'oreille aussitôt
Puis en le soignant avec science
Je lui dis pour le réjouir
Monsieur, prenez un peu de patience
Dans cinq minutes, vous allez z' ouir
Monsieur, prenez un peu de patience
Dans cinq minutes, vous allez z' ouir
Avec une adresse étonnante
Je m'y prenais si savamment
Que ma foi, séance tenante
Il était guéri complètement
Il s'écria, chère doctoresse
Ca y est, j’entends aussi bien que vous
J' répondis, fier de mon adresse
Comme vous avez z'ouï c'est cent sous
J' répondis, fier de mon adresse
Comme vous avez z'ouï c'est cent sous
On applaudit à tout rompre et chacun était ébahi par les prouesses vocales de Mathilde. Cette dernière, fièrement, lança :
" Il est pas beau le traitement de l'ouïe ?"
Madame Germaine en avait le chignon tremblotant, elle vint saisir les mains de Mathilde et lança, la voix larmoyante :
"Si vous me faites ça ce soir, mes filles. Demain, je vous emmène à la fête à Neu-Neu !"
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