Quand une cocotte va à la fête...

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Du bruit, des cris, des lumières, des baraques et des odeurs. C'était ça, la Fête de Neuilly-sur-Seine, la fête à Neu-Neu. La foule se pressait pour participer aux multiples plaisirs proposés.

Des funambules horrifiaient les passants par leurs dangereuses acrobaties au-dessus de la foule, les carabines produisaient un bruit infernal lorsque des promeneurs tentaient d'abattre les marionnettes, les chevaux de bois tournaient sans fin et on en redemandait.

Madame Germaine, à la tête de son bataillon de jolies femmes endimanchées, passait, telle une reine entourée de ses favorites, parmi la foule bigarrée.

Les bourgeois se mêlaient aux ouvriers, des fiacres se frayaient difficilement un chemin dans les rues surpeuplées. Plus de dix mille personnes regardaient les parades ou attendaient d'entrer au théâtre de l'Alcazar.

Un kilomètre de long de baraques et de spectacles, aux arbres des guirlandes de verre coloré rendaient les silhouettes magiques dans cette pénombre environnante.

" On ne se perd pas, les filles !, ordonna Madame. Je vous veux en pleine forme demain !"

On acquiesça mollement. Madame se prenait parfois trop pour une mère de famille !

Ce fut la débandade et Madame se retrouva seule au milieu de la chaussée. Elle soupira et s'approcha d'un stand où de délicieux pains d'épice et autres sucres d'orge étaient proposés.

" Gabrielle ! Tu crois que j'arriverai à toucher le gros ballon jaune, là ?

- Oui, ma Suzy, assura la cocotte en hochant la tête. Vu comme le forain te regarde. Baisse un peu plus ton décolleté. Là !"

Suzy se pencha et dévoila un peu plus son corsage et comme par magie, sa flèchette frappa en plein le ballon de baudruche. La jeune femme frappa dans ses mains en riant et reçut une belle poupée de porcelaine. Vêtue d'une robe à la mode et d'un chapeau démesuré.

" Je la mettrai dans notre chambre, Gaby ! Sur la coiffeuse !

- Ô joie ! Ne gagne pas trop de poupées, Suzy, je n'ai pas tant de place sur ma coiffeuse !

- Chiche !?"

Gabrielle grimaça en voyant le forain jouer les bonimenteurs pour garder Suzy près de lui. De fait, la jolie jeune femme au décolleté versatile attirait des clients. Suzy resta et les hommes lui offraient leur récompense.

Gabrielle préféra disparaître et s'enfonca plus loin dans la foule de Neuilly.

" REEEEGAAAAAARRRRDEZ BIENNNN ! ICI EST L'HOMME LE PLUS FORT DU MONDEEEEE ! L'HERCULE DE MONTMARTRE ! Roberto est capable de tordre les barres de fer avec son petit doigt ! Il peut porter des barres de fer sans broncher d'un poil ! Regardez, mesdames et messieurs ! ROBERTO !"

De fait, Roberto portait d'imposantes haltères et ne bronchait pas. Gabrielle, prise par le jeu, applaudit à tout rompre.

La fanfare jouait sans discontinuer. Le trombone, le piston, la clarinette, la grosse caisse, les cymbales, se mélaient à l'orgue de barbarie. Une symphonie discordante !

Après Roberto, Gabrielle assista à la difficile extraction d'une dent cariée par Zandoz, le dentiste révolutionnaire ! Il chassait la douleur rien qu'en regardant le patient dans les yeux.

Mais si, ma p'tite dame, mais si !

A quelques centaines de mètres de la fête, on apercevait les Champs-Elysées, plongés dans la nuit. Là-bas, les citoyens dormaient...ou essayaient de dormir. Car la foule en délire était bruyante.

" Vous voulez faire un p'tit tour, madame ?," proposa un jeune homme à Gabrielle.

Derrière lui on voyait des chevaux en bois tourner et tourner encore.

" Pourquoi pas ? Je ne suis pas trop vieille pour ça ?"

Le jeune homme saisit Gabrielle par la taille pour la déposer sur un bel étalon noir, tout de bois décoré.

" Mais non, m'dame. Vous êtes parfaite !"

Flatteur et souriant, le jeune homme obtint deux tours de Gabrielle, il lui en offrit le troisième.

Ensuite, Gabrielle se rapprocha des baraques et assista à une séance de voyance.

Partout, on s'amusait, des mirlitons résonnaient et des enfants couraient parmi les adultes en hurlant.

Un peu triste, sans trop savoir pourquoi, la cocotte s'avança toujours plus loin.

" On est toute seule, la belle ?," murmura une voix proche d'elle.

Surprise, Gabrielle se retourna. Un inconnu la toisait, accompagné de deux comparses. Apeurée, la femme chercha de l'aide du regard.

Des Apaches en avaient après elle !

Une main saisit durement son bras et l'homme sourit, dévoilant quelques dents en or.

" Je me promène, monsieur, répondit Gabrielle, affolée.

- Hé bien, on va se promener ensemble, la belle !"

Impossible de refuser ! La promenade prenait des allures de marche funèbre.

Mais les apparences étaient souvent trompeuses. L'homme, ancien membre de la bande à Manda, s'était assagi, après plusieurs séjours en prison. Il raconta à Gabrielle les fortifs et les héros de la rue. Il désigna une place libre et expliqua :

" Ici, la Môme Casque d'Or a tenu une baraque, v'savez ?

- Casque d'Or ?, s'intéressa Gabrielle du Plessis, perdant de son angoisse et s'accrochant au bras de son guide.

- La Môme s'appelait la Tigresse et domptait des fauves ! Elle était sensas, la Môme ! Mais ces connards de Condés, ils ont pas voulu. A la Ménagerie Mondaine qu'elle travaillait, et honnêtement ! Et le daron de la raille la fait virer ! Pauv' Môme !

- Casque d'Or en dompteuse ?! J'aurais aimé voir ça !, fit Gabrielle, songeuse.

- Elle les tenait ses lions. Georges Marck le lui a appris mais bon... Amélie Elie restait une môme à Apache et ça vous colle à la peau !

- Vous allez l'air de bien la connaître, taquina doucement la cocotte.

- J'ai connu son homme et c'était mon poteau. Quand j'ai rencontré Manda, il était déjà dans les affaires. Mais c'était un chic type ! Seulement allez dire ça à la raille et aux veaux ! L'amitié, c'était pas rien chez les fortifs ! J'avais pas de famille, moi, et Manda m'a aidé. Si j'avais été voir les croquants, ils m'auraient collé à la Santé ! Ou marié à la Veuve ! C'est du tout comme !"

Gabrielle frissonna et se recula un peu. Mais la poigne de l'homme l'en empêcha.

" Mais la Môme se cache aujourd'hui ! Elle a bien raison ! Je m'suis rangé, mais je sais que des anciens de la bande aimerait bien la voir canée.

- Je vous plains, monsieur, et je la plains bien, elle aussi."

L'homme sourit encore puis libéra la femme qui s'échappa.

" Au fait, la belle, c'est quoi ton p'tit nom ?

- Gabrielle, monsieur.

- Pas monsieur ! J'suis juste Albert. Albert le Rouquin. Pour vous servir, Gabrielle."

Et en un instant, l'homme et ses deux comparses disparurent.

Gabrielle du Plessis sentit tout à coup deux mains saisir sa taille. Elle sursauta, mais elle reconnut la voix et ressentit à l'immense soulagement qui la saisit la peur qu'elle avait eue.

" Gabrielle ? Mais que fais-tu toute seule dans cette pénombre ?

- Arsène ! Ho, que Dieu en soit loué !"

Arsène Lenormand, canotier sur la tête et veston ouvert, la contemplait sans sourire.

" Viens me gagner une poupée au jeu de massacre !, ordonna Gabrielle en prenant la main de son amant. Il y a le tir à la marionnettes !"

Le chef de la Sûreté suivit sa compagne, non sans avoir longuement observé l'ombre dans laquelle se terraient les trois Apaches.

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