8 juillet - 21 heures

3 minutes de lecture

Les murs n'étaient que galerie d'art et des dizaines de tableaux se retrouvaient exposés. Plusieurs amateurs les observaient et les commentaient.

Gabrielle du Plessis se frottaient doucement les bras, inquiète de la soirée.

On parlait d'art chez Gertrude et Léo Stein, on était dans la modernité et la beauté abstraite. Léo ne jurait que par le fauvisme, Gertrude par les cubistes. Cela créait une certaine tension dans l'air qui ajoutait du piquant à la soirée.

Gabrielle regrettait d'être là. Elle contemplait un tableau représentant une femme vue de profil, le visage tourné vers le spectateur. Elle ne souriait pas et portait un horrible chapeau, couvert de brics et de brocs, le tout dans des couleurs outrancières.

" Qu'en dites-vous, ma chère ?," demanda une voix douce à la cocotte.

Cette dernière se retourna et reconnut Alice B. Toklas, la compagne de la maîtresse de maison.

" C'est inhabituel. J'avoue.

- Moi aussi au départ, j'avais du mal, expliqua Alice dans un français parfait. Puis j'ai compris comment il fallait regarder pour réellement voir.

- Je ne dois pas savoir regarder, sourit tristement Gabrielle. Ce ne sont que des couleurs. Un enfant pourrait..."

Alice B. Toklas rit discrètement.

" Oui, un enfant pourrait sans doute peindre ainsi. Mais ce ne serait pas forcément pensé comme l'a fait le peintre.

- Le peintre ne devait pas beaucoup aimer son modèle...

- Détrompez-vous !, s'enflamma la femme. Il s'agit de la Femme au Chapeau de Henri Matisse, le peintre a représenté son épouse. Mais vous cherchez un modèle, ce n'est pas l'objectif des Fauves. On ne veut pas décrire une vue, telle une photographie. Ce n'est pas du réalisme !

- Alors... Alors que veut représenter l'artiste ?

- Henri Matisse veut nous faire ressentir une émotion ! Il nous montre la manière dont il la perçoit, l'éclat qu'elle crée en lui. Sa lumière intérieure ! D'où les couleurs chatoyantes, elles traduisent les émotions du peintre.

- Elle illumine sa vie ?, proposa Gabrielle en s'approchant pour mieux regarder.

- C'est cela ! Et ce chapeau extravagant signifie simplement que cette femme est belle ainsi coiffée. Les chapeaux font partie de sa silhouette. Venez voir le Bonheur de Vivre. C'est également un Matisse.

- Le Bonheur de Vivre ?

- L'Âge d'Or, les temps passés et les plaisirs de l'amour. Mais peut-être ne verrez-vous qu'un dessin d'enfant ?"

Alice B. Toklas sourit sans condescendance.

Le Bonheur de Vivre peint par Matisse en 1906 parlait d'amour, de nature et de musique. Un enfant aurait peut-être pu utiliser ces couleurs saturées d'or, d'orange et de rouge, mais certainement pas pour peindre un tel décor de fêtes païennes.

" Ce sont les émotions du peintre qui sont représentées ? Les souvenirs du passé ?

- Oui, Gabrielle, approuva Gertrude Stein en s'approchant. Henri est excellent à ce jeu, il nous montre les émotions et les sentiments, comment nous les enjolivons dans notre mémoire. Tout est barbouillé de couleurs vives et de paix intérieure. La couleur est un moyen d'expression, comme le dessin l'est pour d'autres. Mais attention ! Tout n'est pas que beauté et joie chez les Fauves, les paysages de Georges Braque parlent de solitude à l'âme. Venez voir, Gabrielle !"

On entraîna Gabrielle de tableau en tableau, de sentiment en émotion, de joyeuses lumières aux pires dépressions. Un déferlement de couleurs qui la laissa pantoise.

" Maintenant, voyons votre essence !"

Un froid terrible saisit la nuque de Gabrielle du Plessis qui en frémit.

Un tableau fut dévoilé.

Gabrielle ne se reconnut pas. Elle resta focalisée sur la petite tâche rousse.

Et ce furent des applaudissements frénétiques.

" Pablo a trouvé un modèle qui lui agrée, approuva simplement Gertrude. Avez-vous couché avec lui ?"

Sous le choc de la question, Gabrielle secoua la tête sans répondre.

" Alors c'est ça ! Pablo devrait cesser de coucher avec ses modèles ! Il vous a désiré et a fait de vous une merveilleuse femme idéale. Un rêve de femme !

- Comment...comment voyez-vous ça, madame ?

- Vous êtes belle dans ce tableau, Gabrielle. Nue et offerte et pourtant inaccessible. Et rousse. Partout où il le faut."

Gertrude Stein se mit à rire devant la soudaine érubescence de la femme. Ne disait-on pas de Gabrielle du Plessis qu'elle était artiste lyrique et courtisane ?

Encore si facile à choquer ?

Cela amusa la poétesse américaine et collectionneuse d'art.

Le Tout-Paris artistique se pressa autour du tableau de Pablo Picasso pour l'admirer à loisir.

La Femme rousse avait bien du succès !

Annotations

Vous aimez lire Gabrielle du Plessis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0