10 juillet - 15 heures

4 minutes de lecture

La Sûreté se trouvait dans un vieux bâtiment administratif et se devait de respecter la règle immuable de tous les bâtiments administratifs. L'hiver, il y faisait si froid que l'encre gelait dans les bouteilles, l'été, l'atmosphère était si étouffante que les fenêtres ouvertes ne suffisaient qu'à augmenter cette impression de four. Vivre quelques heures en Enfer !

Une odeur de caveau montait des couloirs, en provenance des sous-sols.

On racontait que des cellules de torture existaient toujours dans les profondeurs de la Sûreté.

Une Gabrielle en tenue estivale déambulait dans les couloirs, en robe de soie beige, retenue par un large biais boutonné, avec des manches de voile beige plissées et un col de velours agrémenté de dentelles. La cocotte portait un large chapeau à plumes, une étole pour se protéger de la vigueur du soleil et une ombrelle sombre aux dessins japonisants.

Elle se savait belle aux regards des passants, même les plus durs de la Sûreté.

L'inspecteur Javert, en manches de chemise et veston ouvert, la vit pénétrer dans le bureau des inspecteurs avec un certain dépit.

" Tiens ? Il y a longtemps qu'on ne t'a pas vue ici, la joliette. Ton gnon a donc disparu ?

- Je vais très bien, merci Javert.

- Il y a une affaire qui m'attend à Belleville, la joliette. Chignon d'Or a poignardé sa rivale, la belle Lucie, il y a eu bataille rangée contre les Apaches hier. Alors tu vois, tu tombes mal.

- Je n'en ai que pour un instant."

Javert soupira, sûr déjà d'être vaincu.

" Il est là. Tu peux aller le voir, mais lui aussi est attendu à Belleville. Le commissaire Jublin a besoin de ses services. Le daron a bien autre chose à penser que la bagatelle, mais il sera content de te voir.

- Je suis venu te voir !"

Là, l'inspecteur se redressa et sourit :

" Tu as des ennuis ? Dis-moi et je me ferai un plaisir de m'en occuper personnellement !

- Tu es merveilleux, Javert. Alors, tiens. Occupe-t-en !"

Gabrielle déposa un panier sur le bureau de l'inspecteur qui perdit son sourire en en découvrant le contenu.

" Mais...mais c'est un chat ?!

- Et des poussins ! Va ! Regarde !

- Mais... Mais que veux-tu que je fasse d'un chat ?

- Et des poussins ! Ils sont adorables, non ?

- Gabrielle ! Je ne plaisante pas !"

Le chaton, enfin libéré de son panier et de la couverture qui l'y cachait, sortit de sa cachette et chemina sur le bureau. Les poussins piaillaient si fort qu'ils attirèrent plusieurs inspecteurs.

On examinait le tout sans oser comprendre ce qu'il se passait.

" Un poussin chez les poulets, tu ne crois pas que ce serait une idée splendide ?, taquina gentiment Gabrielle.

- Parfois, je me dis que t'as pas assez connu le trou, la joliette. Tu vas remballer vite fait bien fait ta volaille et ton greffier ! Ce n'est pas une ménagerie ici !"

Le chaton se frotta contre l'inspecteur et se coucha dans sa veste roulée en boule. Comme seuls savaient le faire les chats. Cela fit cesser la diatribe. Malgré lui, Javert laissa passer sa main sur l'animal qui se mit tout doucement à ronronner.

" Comment il s'appelle ce greffier ?

- Poulet."

Devant le regard noir que lui jeta le flic, Gabrielle s'expliqua en riant :

" C'est le fils de Poulette. Comment voulais-tu qu'il s'appelle ?

- Minou. Minet. Que sais-je, moi ? Assurbanipal ?

- Javert, Javert, Javert... Il t'aime déjà."

De fait, le petit chat dormait, pelotonné contre le grand inspecteur. Ses collègues avaient d'un commun accord adopté le chat au nom de la Sûreté et étaient partis chercher de quoi le loger et le nourrir. Qui une gamelle, qui une couverture bien chaude, qui du poulet...

" Et je suppose que tu l'as choisi avec grand soin. Hein, la joliette ?

- Pas du tout, s'amusa Gabrielle. C'est un pur hasard."

Le chat était noir de couleur, il avait des chaussettes blanches et une frimousse de même teinte. Il ne lui manquait que les boutons pour porter un uniforme de policier.

" Tu es sûr de ne pas vouloir les poussins ?

- Non, la joliette. Et je pense que tu en as fait assez pour aujourd'hui.

- Attends ! J'ai un autre service à te demander !"

L'inspecteur soupira encore plus fort qu'à son habitude.

" Tiens donc ? Ce sera quoi cette fois-ci ? Un éléphant ?"

- Non", répondit Gabrielle en fouillant dans son sac à main ourlé de perles.

Elle en sortit son petit Kodak Browning qu'elle déposa devant son ami. Ce dernier le prit entre ses mains et poussa un long sifflement admiratif.

" On s'est pas foutu de ta gueule, la joliette. De la belle ouvrage ! Et je dois te tirer le portrait version Bertillon ?

- Non, non, s'amusa la cocotte. Je veux juste que tu développes les photos, s'il te plaît ?

- Je ne sais pas faire ça, la joliette."

Toute déçue, Gabrielle regarda tristement l'inspecteur.

" Il ny a pas un service pour la photo à la Sûreté ?

- Si fait, la joliette. Mais c'est pour les suspects et les victimes.

- Imagine si quelqu'un met la main sur mes photos ?! Je pourrais être victime de chantage ! Et pas que moi ! Il y a mes compagnes...

- Je vais voir ce que je peux faire, la joliette. Mais le service d'identité judiciaire, c'est pas des rigolos ! Tu risques d'attendre longtemps tes clichés.

- J'attendrai. Merci, Javert.

- Allez file maintenant ! Il y a du taf et tu encombres l'espace !

- Fi ! Je vais voir M. Lenormand, il sera content de me voir, lui.

- Sûr. Tu as un deuxième chat à placer ?

- J'ai aussi des poussins !"

Javert se mit tout doucement à rire, il savait déjà que la cocotte allait obtenir gain de cause auprès du daron.

Il allait falloir trouver où loger les poussins...

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