12 juillet - 9 heures
Gabrielle du Plessis était trop belle. A damner un saint !
Et pourtant les yeux la contemplaient avec une certaine moquerie.
L'artiste lyrique croisait et décroisait ses mains, elle minaudait et c'était charmant à voir.
Et particulièrement amusant !
André Laroche posa son menton dans sa main et regardait son amante lui jouer l'éplorée dans toute sa détresse. Une vraie Sarah Bernhardt !
Gabrielle du Plessis marchait de long en large et l'industriel dut reconnaître que cette robe lui seyait à merveille. La fine mouche !
" Je suis touché que tu aies besoin de moi, ma chère Gabrielle. Tu es en manque de haïkus ?
- Tu as écouté ce que je viens de te dire, André ?, fit sèchement l'éplorée.
- Oui. J'ai écouté. Tu m'as tiré du lit à une heure indue pour me parler de ma voiture. J'ai écouté, tu vois ?"
Gabrielle du Plessis renifla d'une manière particulièrement inesthétique et Laroche en rit.
" Assieds-toi plutôt. Je vais te faire le service et tu apprécieras la faveur.
- Je suis sérieuse, André, soupira Gabrielle en se laissant tomber sur le canapé du séducteur.
- Mais je vois ça ! Ma voiture est en excellent état, plus de boue, aucune rayure. J'y tiens beaucoup, mais je tiens plus à toi. Tiens, prends une madeleine."
Gabrielle obéit et prit une madeleine. Le café que lui servit André était délicieux. Le Parisien, en robe de chambre luxueuse, jouait les serviteurs en se mettant à genoux devant sa belle, la faisant rire de ses mines et de ses caresses.
" André... Parfois, je me dis que tu n'as pas grandi !
- Allons donc ! C'est si important que ça, cette virée en automobile ?
- Indispensable !"
André Laroche se releva et s'assit à côté de son amie. D'autorité, il lui prit la main et l'embrassa.
" Dis-moi ce qu'il y a de si indispensable ! Je veux bien te prêter ma voiture, évidemment, Gabrielle. Mais pour que tu sois venue me déranger à 9 heures du matin, c'est que c'est sérieux. Tes mômes ?"
Gabrielle frémit, elle ne s'attendait pas à ce que André lui parle de ses enfants de cette manière si cavalière.
" Il faudra...il faudra que je parte à Etretat... Oui... Mais je pense... J'espère qu'Arsène m'y emmènera... Je ne sais pas si..."
D'un vague mouvement de la main, l'homme balaya les inquiétudes de la femme, comme si ce n'était rien.
" Arsène ? Il est fou de toi, il t'emmènera. Bien évidemment ! Dés que les criminels le laisseront en paix. La Sûreté occupe tout son temps.
- Tu...tu n'es pas jaloux ?
- Jaloux de ton flicaillon de service ? Non, ma Gabrielle."
André Laroche cligna de l'oeil et ajouta :
" Et c'est près de moi que tu viens demander de l'aide ! Une jolie femme en détresse ! Je ne peux pas refuser !
- André...
- Et j'ai une voiture, ça joue aussi. Enfin ! Je te la prête sans aucune arrière-pensée. Essaye d'éviter la boue et les accrochages, je te prie. Ces deux choses ont tendance à arriver aux jolies femmes. Allez savoir pourquoi !
- Merci, mon ami. Tu es bath !"
André Laroche se pencha pour voler un baiser à sa compagne. Il était heureux de la voir rassérénée. Il se resservit une tasse de café.
" Bon. Maintenant dis-moi pour quoi faire cette virée ?
- Je suis invitée au château d'Esvres. Je ne peux pas y aller en vélo.
- QUOI ?"
La tasse de café tomba sur le sol et le tapis persan en fut taché.
" Tu vas chez Mata-Hari ? Pourquoi ?
- Elle m'a invitée à une partie avec ses amis. J'espère..."
Gabrielle du Plessis se tut et sourit largement. Elle caressa le torse de Laroche, mais ce dernier ne jouait plus.
" Pourquoi tu vas chez Mata-Hari, Gabrielle ?, demanda-t-il durement.
- J'ai une promesse à tenir, mon cher. Et je tiens toujours mes promesses, tu le sais ?!
- Alors, je viens avec toi ! Et crois-moi, si je tenais notre ami, Luis Perenna, à cet instant précis, je lui casserais la gueule."
Au château d'Esvres-sur-Indre, vivait Mata-Hari. Elle y recevait ses amies et ses amis. Parfois, c'était un beau lieutenant allemand, Alfred Kiepert, parfois, un ancien ambassadeur de France à Berlin, Jules Cambon, ou encore Adolphe Messimy, un ancien officier de l'armée promi à une carrière politique imposante. On racontait qu'un jour il serait ministre de la Guerre...
Quant à son amant officiel, le banquier Xavier Rousseau, il dépensait des sommes extravagantes pour sa maîtresse, sans cesse désargentée.
Mata-Hari, au sommet de sa gloire, louait le château d'Esvres, elle possédait un hôtel particulier, très luxueux, à Neuilly et une maison plus simple à La Haye.
Et parfois, derrière les portes closes et les lourdes tentures, il se racontait que Mata-Hari rencontrait le consul d'Allemagne Carl H. Cramer...
Mais que ne dit-on pas pour salir une femme ?
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