15 juillet - 11 heures
Le capitaine, Don Luis Perenna, grand d'Espagne né au Pérou, dont la famille avait immigré en France dans les années 1880, regardait les manoeuvres depuis son bureau à la caserne.
La Légion était toute sa vie et toute sa vie était dévouée à la France.
Peut-être aussi à cette femme qui lui rendait son rapport dans le plus simple appareil.
" Donc Mata-Hari est une espionne ? Tu es sûre Gabriella ?
- Je ne suis sûre de rien et je n'ai pas dit ça, mon beau capitaine ! As-tu seulement écouté ?"
Gabrielle souriait, les jambes joliment croisées sur le bureau du capitaine, des cuisses nues qui invitaient à la caresse et à la dévotion.
Luis Perenna laissa traîner ses doigts sur la soie de la chair.
" Très bien, mi querida. Redis-moi ça, j'avoue ne pas être vraiment attentif.
- La faute au régiment ?, taquina la cocotte.
- La faute à ça et à ça. Cela perturberait le meilleur des capitaines."
Luis Perenna désignait certaines parties de l'anatomie de Gabrielle, qui pouvaient en effet perturber un peu. Surtout quand la cocotte se positionnait ainsi en se cambrant comme ça.
" Mata-Hari est une femme en vue aujourd'hui. Elle est soutenue par son amant, le banquier Xavier Rousseau. Mais je sais qu'elle est endettée et comme elle a déjà plus de trente ans..."
Gabrielle du Plessis ne poursuivit pas, elle songeait à sa propre vie et tirait un trait définitif sur la proposition d'André Laroche. Bien trop dangereuse pour elle et ses enfants.
Se mettre sous la coupe d'un protecteur et se retrouver sans rien au bout de quelques mois, ce n'était pas pensable dans son cas.
" Et alors ?, fit le militaire, sans saisir l'allusion. Elle est endettée mais elle a un protecteur. Elle ne risque pas de nous trahir. Cela règle son sort.
- Tu ne comprends pas, mi querido. Plus de trente ans, des dettes, une vie un peu trop dissolue, des dépenses inconsidérées... Tout conspire à faire de Mata-Hari une victime dans quelques temps.
- Une victime ?
- Quand elle sera lâchée par Rousseau, que se passera-t-il pour Mata-Hari ? Elle est toute seule à Paris, ses danses n'ont plus autant de succès qu'autrefois et son âge ne joue pas en sa faveur. Elle va se retrouver dans des ennuis terribles.
- Alors ses amis, officiers allemands, pourraient se souvenir d'elle. Je comprends.
- Et les Français aussi ! Imagine une courtisane qui joue l'espionne ! Tu as bien voulu me faire jouer ce rôle, toi aussi ! Mon beau capitaine !"
Gabrielle croisa ses bras devant elle, se faisant sa poitrine devint plus attirante encore. Ce fut plus difficile pour Perenna de se concentrer.
" On me l'a assez reproché, Gabriella. Je ne voyais que toi, pour m'informer sur Mata-Hari. Tu m'as donné des noms et tu as confirmé ce que je savais déjà. Cela me suffit.
- J'ai terminé ma mission ?!, s'exclama la cocotte, soulagée.
- Oui. Ou alors, je vais devoir me battre en duel contre André Laroche et Florian d'Andrézy. Ou m'attendre à me faire casser la gueule par Jim Barnett."
Cela fit rire Gabrielle du Plessis.
" Rien d'Arsène Lenormand et d'Etienne de Vaudreix. Je suis déçue.
- Eux, c'est déjà fait. Arsène m'a oublié pendant trois jours dans ses cellules et Etienne m'a offert un cobra royal."
Gabrielle cacha sa bouche et plissa les yeux d'amusement.
" Bon. Je vais continuer à faire surveiller Mata-Hari. Mais j'espère que cette belle écervelée ne va pas se brûler les ailes. J'ai vu le consul d'Allemagne en personne, Carl H. Cramer, la rencontrer plusieurs fois et ce n'est pas pour me plaire."
La courtisane se laissa tomber sur le sol et s'approcha du soldat pour le saisir dans ses bras. Les légionnaires à la manoeuvre sur le terrain pouvaient maintenant apercevoir la femme nue que le capitaine recevait pendant l'entraînement.
Ils étaient moins réceptifs aux ordres tout à coup.
Cela fit sourire le capitaine. ll manipula la cocotte pour présenter son dos aux larges fenêtres. C'était une des parties qui déroutaient le plus.
" Essaye de la sauver, Luis. Mata-Hari n'est pas une mauvaise femme...
- Je ne peux pas la sauver d'elle-même, Gabriella.
- Vraiment ? Tout est histoire de prix.
- La France n'a pas trop les moyens de s'offrir une maîtresse-espionne en ce moment.
- Il n'empêche... Si tu peux faire quelque chose pour elle...
- Je vais voir, Gabriella... Je vais voir..."
Après tout, le 15 octobre 1917 était encore loin...
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