17 juillet - 10 heures
C'était un très beau domaine, avec un jardin éclatant. Gabrielle du Plessis appréciait de rester assise sous la roseraie, elle sirotait une citronnade en contemplant ses amours jouer sur la pelouse. Hélène et Charles avaient bien grandi, l'air marin leur avait fait beaucoup de bien.
L'école était loin maintenant. C'était l'été et les vacances.
Janine s'occupait d'eux et la servante du One-Two-Two avait disparu. Janine était une gentille jeune fille, douce et bien élevée.
Victoire, ombre bienveillante, veillait sur ce petit monde avec soin. Elle s'assit près de Gabrielle et lui sourit.
" Ils sont heureux que vous soyez là, Gabrielle. Vous avez manqué à vos enfants.
- Ils me manquent terriblement aussi.
- Ha ! La vie est bien dure parfois. Arsène a dû faire des choix lui aussi.
- Arsène a une vie très chargée... Je ne le vois pas autant que je le voudrais."
Les deux femmes discutaient de concert tandis qu'une silhouette passait et repassait dans le jardin. Arsène Lenormand portait un tablier de lin pour se charger de ses massifs de lupins.
Il en prenait grand soin. Son domaine ne s'appelait-il pas le Clos-Lupin ?
La maison était confortable, les bibliothèques regorgaient de livres, dans le salon, en plus du piano droit, on trouvait un gramophone de qualité. Des tableaux de maître surprenaient. Gabrielle ignorait la valeur réelle de la fortune du chef de la Sûreté. Une très belle représentation de la Joconde trônait entre des Titien et des Renoir.
De fait, Arsène Lenormand était plus riche que ne le croyait Gabrielle du Plessis.
Mais...quelque chose clochait dans cette douce atmosphère... Des pièces fermées à clé, des malles qui voyageaient dans le grenier, des sourires illisibles...
" Vous savez, Gabrielle. Je n'ai pas vu Arsène aussi heureux depuis longtemps. Depuis la triste mort de Raymonde. Il a d'ailleurs quitté Etretat à ce moment-là."
Raymonde de Saint-Véran, oui, Gabrielle connaissait. Il y avait quelques photographies la présentant. La première épouse d'Arsène Lenormand. Ou de Louis Valméras. Les papiers que la cocotte avaient examiné dans le bureau du chef de la Sûreté n'étaient pas clairs. Peut-être n'était ce qu'une maîtresse de plus dans la vie sulfureuse de l'ancien commissaire du gouverneur de Cochinchine.
Gabrielle souriait et se promettait de poursuivre son travail d'espionne.
En tout cas, Arsène n'en parlait pas et cette porte semblait fermée pour toujours.
" J'ai élevé la fille d'Arsène, Geneviève. Elle me manque beaucoup, la petite. Votre arrivée est un enchantement."
La fille d'Arsène ? Gabrielle plissa les yeux en examinant M. Lenormand. Les massifs de lupins, les falaises d'Etretat, les caves de la demeure...
" J'ignorais qu'Arsène avait une fille...
- Et un fils... Mais ce sont des souvenirs d'autres vies, Gabrielle..."
Les vacances s'annonçaient passionnantes.
Surtout que la nuit, dans les jardins du Clos-Lupin, des lumières erraient entre les massifs, des silhouettes se révélaient à la lueur de la lune...
Tiens ? Arsène a ramené du travail à la maison ?
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