18 juillet - 11 heures
Ses doigts étaient sûrs, forts et tendres à la fois. Protecteurs. Gabrielle ne les lâchait pas un seul instant.
Il fallait dire que la peur poussait ses pas. Là-haut, sur les falaises, un étroit sentier menait à la plage de galets. Depuis la Valleuse d'Antifer, on contemplait la mer. Cela avait été une merveilleuse promenade jusque là, un chemin suspendu au-dessus des eaux, où la lande cotoyait les pelouses, où l'on apercevait des goélands nichant dans les falaises.
Arsène menait la promenade et gardait religieusement le silence, tout en montrant les beautés de son cher pays de Caux à sa compagne.
Il y avait un trésor à découvrir à la fin de la journée, avait-il annoncé.
La nature se suffisait à elle seule !
La Manneporte paraissait oeuvre de géant ! Et plus loin, l'Aiguille et sa Porte d'Aval ravissaient les yeux.
On en oubliait les galets et le vent qui soufflait de la mer.
Ici, on racontait qu'un bateau s'était fracassé sur les rochers, ma Gabrielle...
Ici, on disait qu'un marin s'était protégé vingt-quatre heures de la marée...
Ici, on parlait des rois et des reines de France...
Ici...quelles histoires se contaient à la lueur des foyers ?
Arsène Lenormand souriait et Gabrielle du Plessis en avait un peu peur.
Les doigts rassuraient et caressaient en aidant à gravir la falaise d'Aval. Tout n'était que descente et montée dans cette promenade à Etretat. Dans la chambre des Demoiselles, Arsène montra fièrement les lettres de granit. Un D et un F.
" Ici, Jacinthe, Eléonore et Catherinette sont mortes de faim et de peur, emmurées vives par le Seigneur de Fréfossé. On voit encore leur fantôme errer sur la falaise.
- Quelle terrible histoire ! Pourquoi a-t-il fait ça ?
- Ces trois demoiselles ont refusé les avances de leur seigneur. Elles se sont cachées ici pour lui échapper et il a fait murer la porte.
- Comment est-il mort ?
- Etrangement, ma Gabrielle. Une attaque soudaine sur la falaise. Il est mort de peur...et il était seul...et c'était la nuit... Voici la légende des Demoiselles, telle qu'on la raconte encore dans la région."
Gabrielle quémanda un baiser pour se rassurer et la promenade continua.
Après les falaises, les souterrains... Par le chemin des douaniers, on aboutissait à un long tunnel pour retourner sur la plage devant Etretat, le tunnel du Chaudron... Deux cents mètres sous la falaise... Un repère de contrebandiers dans lequel Arsène Lenormand marchait d'un pied sûr.
A la sortie, Arsène se positionna au bord de la mer et contempla le site. La vue était époustouflante.
L'Aiguille, la Porte d'Aval et la mer qui étincelait au soleil. Un bel écrin pour se détendre et s'embrasser. A l'abri des curieux.
Gabrielle était impressionnée par cet homme qu'elle ne connaissait pas.
Ensuite, par un nouveau tunnel, plus acrobatique, le Trou à l'Homme, on rejoignait une petite plage. On pouvait s'asseoir et contempler l'Aiguille. Si proche qu'on penserait la rejoindre à pied.
Les doigts d'Arsène avaient tremblé entre ceux de Gabrielle.
L'homme avait regardé la femme droit dans les yeux. Il avait semblé prêt à dire quelque chose. Mais les lèvres se serrèrent et Arsène s'était détourné de sa compagne.
" Là, ma Gabrielle, réside mon royaume..."
Ce furent ses seuls mots pour la fin de cette journée.
Le soir venu, Gabrielle cherchait encore à saisir ce qui avait été si proche de se réaliser.
Au dîner, Arsène Lenormand, éminent chef de la Sûreté, recevait quelques amis. Historiens locaux et spécialistes des légendes du Pays de Caux. On parlait latin, l'expression " ad lapidem currebat olim regina" revenait souvent, on évoquait les abbayes normandes et leurs mystères.
Arsène Lenormand dominait cette petite société et, d'un sourire indulgent, il évoquait les constellations.
" Voyons, M. Gueulle, combien d'abbayes dénombrez-vous ?
- Une quarantaine... Il me semble... Mais par laquelle commencer ? L'abbaye de Bernay sans nul doute, c'est la plus ancienne de Normandie, elle a été édifiée au milieu du XIe siècle.
- Pourquoi pas Jumièges ?, proposait le maître de maison.
- Des ruines... A vous de trouver la clé, mon cher Lenormand.
- Je m'y efforce, mon ami. Je m'y efforce. "
Gabrielle contemplait la charmante compagnie depuis le canapé sur lequel elle s'était assise. A ses côtés, ses enfants lui parlaient avec animation de la promenade et des galets. Et de la marée...
Elle était encore perdue dans le regard qu'Arsène Lenormand avait posé sur elle cet après-midi là.
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