19 juillet - 21 heures
Le soir tombait sur les ruines. L'abbaye de Jumièges était remarquable. Gabrielle du Plessis marchait, les yeux rivés sur la hauteur des voûtes et les dentelles de pierre.
A ses côtés marchait Arsène Lenormand. En quelques mots, l'homme lui expliquait l'architecture et l'histoire dramatique de ces lieux. Il en relatait les légendes.
Les fils de Clovis II, condamnés à mort par leur mère, Bathilde, pour s'être opposés à son autorité. Clovis II étant en croisade, la régence fut assurée par la reine. Malheur aux enfants révoltés ! Leur mère fut sans pitié. On les appelait les Enervés de Jumièges, Bathilde leur ayant fait trancher les tendons des bras et des jambes avant de les placer sur une barque. La Seine aurait dû mettre fin à leur vie, les saints les conduisirent à Jumièges...
Hélène et Charles couraient à la recherche de l'entrée des souterrains.
Sous un if centenaire, dans le cloître disparu de Jumièges, se trouvait un trésor. Une statue en or de Saint Philibert y avait été enterrée là par les moines sous la Révolution. Personne n'avait réussi à le découvrir. A votre tour maintenant !
Ensuite, on cherchait des traces du loup de Sainte Austreberthe. Un loup énorme qui avait été puni par la sainte pour avoir dévoré l'âne des moniales de l'abbaye de Pavilly. Il se cachait à Jumièges, éternellement damné. La nuit, on entendait encore son hurlement !
Gabrielle souriait tandis qu'Arsène s'agenouillait devant l'entrée des caves de l'abbaye. Là ne vivaient plus que des chauve-souris, mais plus loin, plus profondément...qui savait ?
Les enfants se cachaient, excités et apeurés, dans les jupes de leur mère.
" Et on peut encore voir la dalle noire sous laquelle on avait enterré le coeur d'Agnès Sorel. La belle était morte en couches dans la région et le roi Charles VII, désespéré, laissa son coeur à Jumièges.
- Agnès Sorel ?
- La Dame de Beauté aimait beaucoup Jumièges. Son manoir n'est pas loin. A Mesnil-sous-Jumièges."
Arsène Lenormand parcourait les ruines et désignait les passages. Ici, on racontait que le roi Charles VII était passé, tenant la main de sa Dame.
Les enfants se cachaient dans les ruines avec Janine et Victoire les en chassait avec soin.
La brave Victoire s'exclamait que ces enfants la rendront aussi folle que son petit l'avait fait par la passé.
Le "petit" avait grandi et ses yeux clairs se plissaient d'amusement. Arsène Lenormand s'était-il assagi ?
On s'arrêta à la maison Granchamp où un ami d'Arsène, Maurice Leblanc, un célèbre auteur de roman policier, les garda à dîner.
" Alors, Arsène ? Des nouvelles à me conter ?, demanda l'écrivain.
- Rien de nouveau pour le moment. Je m'octroie une année sabbatique.
- Vous avez bien raison, cher ami ! Après la vie que vous avez menée. Enfin, je devrais dire les vies !"
Maurice Leblanc souriait, amusé, en regardant Arsène Lenormand se troubler. Gabrielle du Plessis se promit de lire tout ce que cet homme avait écrit.
L'énigme du chef de la Sûreté pourrait ainsi être dévoilée.
" Pour la pierre de la reine, ils l'ont déplacée, Arsène. Je suis navré.
- Les rustres ! Ganimard a dû encore faire des siennes pour arriver à ses fins !
- Même pas ! Ce fut une décision municipale.
- Et le souterrain d'Agnès ?"
Nulle réponse.
Un simple clin d'oeil clôtura cette conversation...
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