21 juillet - 14 heures
Le sable était doux et Gabrielle du Plessis y enfonçait ses pieds avec délice. Elle se retrouvait à nouveau en costume de bain pour une journée à la plage.
Mais monsieur Lenormand avait prévu une surprise pour la petite famille.
La plage de sable de Veules-les-Roses.
Des touristes profitaient du beau temps pour se baigner et chaque père de famille se transformait en architecte de châteaux de sable.
Arsène lui avait expliqué que c'était une tradition estivale dans la région. Un concours était même organisé chaque année.
Cela amusa fort la cocotte de voir son imposant chef de la Sûreté, une pelle à la main en train de remplir un seau de sable.
Et d'expliquer doctement aux enfants comment on devait mélanger subtilement l'eau de mer et le sable.
Charles voulait une douve et un donjon et des tours et des pont-levis, avec une forme d'étoile comme le faisait Vauban.
Hélène voulait une maison pour un crabe et des coquillages pour décorer les remparts ainsi que des bigornaux dans les douves.
Janine, encore femme-enfant, aidait activement à réunir les matériaux de production et gérait les stocks.
Gabrielle du Plessis ne voulait rien d'autre qu'arrêter le temps et rester ainsi à jamais...
Victoire, maladroitement assise sur une serviette de plage, se sentait inadaptée à ce paysage estival. C'était qu'elle avait travaillé toute sa vie, Victoire. A gérer les enfants des autres et à oublier sa propre vie. Le souvenir fané de la mère de Monsieur Arsène était pesant.
Il lui restait aujourd'hui les enfants de la nouvelle égérie de son petit... Si cela pouvait l'éloigner, le petit, des frasques de sa vie.
Les histoires sur Arsène Lenormand que lui racontait la vieille nourrice amusaient fort la cocotte. Gabrielle du Plessis n'en croyait pas un mot.
Arsène Lenormand était un simple fonctionnaire d'Etat, attaché à son poste et à sa fonction. Chef de la Sûreté, ancien de la colonie de Cochinchine, organisateur et meneur d'hommes hors-pair. Mais quoi d'autre ?
" Vous êtes sûre, ma chère Victoire ? Le collier de la reine Marie-Antoinette ?, taquina Gabrielle.
- C'est qu'Arsène aimait beaucoup sa mère. Henriette. Et sa situation n'était pas facile.
- Et son père ?
- Ah ! Le beau Théophraste ! Si je le tenais ce garnement, je lui dirais ses quatre vérités !
- Ses quatre vérités ?!
- Abandonner sa femme et son fils de cette manière cavalière !
- Pauvre Arsène..."
La mère qu'était Gabrielle regardait avec des yeux plus doux l'homme qu'était devenu Arsène Lenormand.
" Mais que s'est-il passé ensuite ?"
La vieille femme tapota gentiment la main bronzée de la femme assise à ses côtés.
- Ca, ma chère Gabrielle ! Il faudra le demander à Arsène. Qui sait ? Il vous le dira peut-être ?
- Peut-être..."
Piquée, Gabrielle se redressa et s'approcha de ses amours jouant dans le sable.
" Et ces crabes ? Vous en avez trouvé ?"
Les yeux clairs du chef de la Sûreté brillèrent de plaisir en la regardant. Les enfants firent la moue.
" Il n'y a pas de crabes ici, maman ! Juste du sable.
- Hoooo. Pas de crabe ?
- Ni de bigorneaux.
- Flûte ! Quel malheur !," s'amusa Gabrielle.
Une main vint la saisir par la taille, la maculant de sable et Arsène annonça :
" Je n'ai pas de crabes, mais j'ai une surprise à vous montrer ! Il y a une grotte sur cette plage !
- UNE GROTTE ?!"
De fait, il y avait une petite grotte, à moitié cachée dans les buissons, au pied de la falaise et juste face à la plage. Arsène Lenormand y fit entrer toute sa petite famille et on contempla la mer. Les voiliers passant au loin, voguant vers Honfleur ou vers Fécamp...
" Là, Victor Hugo venait méditer. On raconte qu'il se souvenait de ses errances et de ses années passées...
- C'est très joli, Arsène."
Dans un clin d'oeil amusé, Arsène ajouta :
" On dit aussi qu'il y tenait des rendez-vous galants !
- Arsène ! Pas devant les enfants !"
Le cri outré de la mère amusa fort l'homme, mais pour rien au monde, Arsène Lenormand n'aurait avoué que la mention des enfants lui plut énormément.
Une petite famille, en effet...
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