22 juillet - 14 heures
Le soleil était resplendissant. Il étincelait sur la mer et les vagues devenaient miroir.
" Le soleil fait briller tes boucles, ma toute belle. Comme de l'ambre.
- Mes boucles ne sont pas rousses !
- Ma Gabrielle," sourit l'homme.
Les enfants marchaient sur la plage, la mer était froide. Janine les menait à la chasse aux crabes sur les rochers. Victoire rangeait les victuailles du pique-nique dans les paniers.
Instant d'éternité devant les falaises millénaires.
" C'est mon chez-moi, ma toute belle.
- Ton Clos-Lupin, tes voyages, tes hommes... M. Lenormand est un homme occupé !, taquina la cocotte.
- M. Lenormand est un homme seul, surtout.
- J'ai pourtant bien du mal à le voir au One-Two-Two !"
Gabrielle plaisantait, mais le visage du chef de la Sûreté s'assombrit.
" Je n'aime pas venir au One-Two-Two, Gabrielle. Je voudrais te voir loin de là.
- Monsieur Lenormand exagère !, poursuivit la femme, amusée. Je passe régulièrement chez toi, à la Sûreté. J'y ai mes entrées !
- Gabrielle... Tu mérites mieux que cette vie !"
La femme secoua ses boucles non-rousses éclatantes à la lumière estivale. Elle essayait de rester légère, mais ses yeux brillaient de larmes.
" Mais vous êtes bien tous les mêmes, vous les hommes ! Après André, c'est ton tour ! Le One-Two-Two par-ci, le One-Two-Two par-là ! J'y suis en sécurité ! André m'a offert un appartement à Paris ! La belle affaire ?! Et lorsque vous vous serez lassés de moi, que deviendrai-je ? Et mes enfants ? "
M. Lenormand ne répondit rien, il essuya doucement les yeux de sa compagne.
" Je ne suis pas une cocotte de haut-vol. Je vis dans un bordel depuis des années. J'y ai mes habitués et tu les connais tous, Arsène ! Ce sont tous tes amis.
- Je le sais, souffla ce dernier.
- Alors... Alors si rien ne doit changer, ne venez pas me critiquer !
- Ah ma toute belle ! Je ne critique pas, je voudrais..."
Gabrielle se tourna vers son Arsène. Le soleil était chaud, mais leurs coeurs avaient froid. L'hiver était entré dans leurs vies.
" Un petit tour en bateau, ma toute belle ? Je vais te montrer mon Aiguille comme jamais on la voit."
Le sourire de la cocotte fit renaître l'été, même s'il restait embrumé.
" Tu n'as pas le mal de mer, mon Arsène ?
- Ne m'insulte pas ! Arsène Lenormand n'a jamais le mal de mer !"
Et de fait, la vision de l'Aiguille depuis la mer était magique. Les vagues venaient lécher les galets, dans un bruit incroyable. Un bruit qui ne s'oubliait jamais.
M. Lenormand pilotait son petit voilier, Gabrielle restait à ses côtés. Les enfants se tenaient au bastingage, Janine leur montrait les goélands.
On ne parlait pas, mais on profitait de la présence de l'autre.
Lentement, la main de Gabrielle vint se poser sur le bras de son Arsène.
Une petite famille, certes, mais bien fragile.
Annotations