27 juillet - 21 heures
" Ici, les nuits sont claires et le soleil ne se couche pas avant onze heures. L'obscurité n'est jamais totale en été.
- C'est magnifique, mon Alexei...
- Et encore, les nuits sont plus blanches en juin. Tu serais venue avec moi, tu aurais vu, moya zvezda, les jours sont longs et les nuits douces en Russie lors des nuits blanches de Pétersbourg.
- En juin ? Mais je ne pouvais pas, Aliochka.
- Je sais, Gabrilenka. Je ne m'impose pas."
Mots aigres-doux. Les bras du prince se serrèrent autour des épaules nues de la femme. L'air était frais sur la Neva. On contemplait les flots coulant paresseusement au pied du somptueux Palais d'Hiver depuis les fenêtres de la suite du prince Sernine. Les enfants dormaient enfin.
La journée avait été épuisante, faite de réceptions et de révérences. Le prince Sernine avait été accueilli assez froidement, mais ce dernier n'en avait cure. D'un sourire et d'une pirouette, il avait déridé le tsar, lui annonçant les derniers résultats sportifs en Europe et lui proposant une promenade en automobile avec sa nouvelle acquisition.
Le Tsar Nicolas II adorait la chasse, la photographie et le cyclisme, il passait beaucoup de temps à faire du sport. Qui n'aurait imaginé l'Empereur de toutes les Russies posséder le plus grand parc automobile d'Europe ? Il aimait la vie familiale et les jeux avec ses enfants.
Par contre, régner n'était pas une sinécure, l'empereur n'aimait pas diriger et écoutait d'une oreille distraite ses conseillers les plus avertis. Parler de guerre et de géopolitique lui déplaisait.
La tsarine Alexandra n'était pas appréciée, sa timidité l'empêchait de se mêler à la foule, elle était trop renfermée et trop malheureuse pour faire le moindre pas vers la compagne du prince Alexei Sernine. Et dans l'ombre de la tsarine se tenait un homme étrange...
Grigori Raspoutine toisa le prince sans aucune aménité, il examina sa compagne avec plus d'intérêt.
Et Gabrielle trembla.
Les yeux du moine sibérien, starets et prophète, étaient illuminés, ils brillaient d'une intensité telle qu'il faisait plier les esprits.
Ce jour-là, Gabrielle passa le plus de temps possible auprès de ses enfants, se protégeant de tous derrière son rôle de mère.
Le tsar Nicolas II n'était pas difficile à approcher, en effet. Il riait avec son cousin, le prince Sernine, il le fustigea de s'être fait ainsi désirer. La cour impériale l'avait longtemps attendu. On allait enfin pouvoir déménager au palais de Tsarskoïe Selo pour y passer l'été au calme. Loin des bruits et des odeurs de la cité impériale de Pétersbourg...
Loin de sa populace surtout, qui n'aimait plus le Tsar et parlait de plus en plus de rébellion...de révolution...
Alexei Sernine comprenait et s'excusait pour son retard. Il suffisait de le voir lever les yeux sur cette mystérieuse Française pour en saisir la justification.
Le tsar était très heureux de cette découverte. Lui aimait passionnément son épouse, Alix, et voir assagi et marié son cousin, Alexei, le réjouissait.
Annotations