28 juillet - 11 heures
Le palais Alexandre était situé à Tsarskoïe Selo. Un palais impérial parmi d'autres palais. Néoclassique, magnifique et luxueux.
Ici, les oiseaux chantaient dans les arbres du parc, les cygnes paressaient sur les étangs, les enfants s'amusaient à se courir après.
Car les enfants étaient moins stupides et empruntés que leurs parents. Les filles du tsar étaient des jeunes filles espiègles et pleines de vie. Maria et Anastasia, la petite paire, prirent les enfants de la cocotte par les mains pour leur montrer les animaux vivant sur le domaine. Ici, les chats et les chiens étaient plus libres que les humains. Les chevaux n'attendaient qu'un ordre pour une course et sur l'étang, on naviguait en barque pour nourrir les canards.
Charles découvrit un ami en Alexis, le tsarévitch. Le jeune prince, coléreux et autoritaire, était d'une santé fragile. Son hémophilie était un secret de polichinelle. Charles n'en savait rien et n'hésita pas à entraîner le prince dans ses jeux. Le gorodki eut beaucoup de succès.
La tsarine s'assit dans le parc et ne quitta jamais son fils des yeux. A ses côtés, maladroitement, s'assit Gabrielle du Plessis, attachée à ne pas déplaire. Non loin, le starets se tenait, les yeux fermés, perdu dans ses prières.
Olga et Tatiana s'offrirent pour surveiller les plus jeunes.
Quant à Alexei Sernine, il disparut à la suite du tsar. La chasse promettait d'être belle et Nicolas II abandonna ses conseillers désespérés de l'intéresser aux terribles présages de guerre européenne...
Que faire pour la France, mon Empereur ? Et l'Allemagne ? Et pour les Bolcheviks ?
Mais Nicolas II partait chasser et promettait de revenir se charger de ces questions plus tard.
Plus tard, plus tard, plus tard... En 1917 ?
La tsarine se détendait peu à peu. Maintenant que Pétersbourg et sa cour étaient loin. Elle souriait et acceptait enfin de s'intéresser à cette étrange femme venue de Paris.
" Cela fait longtemps que vous connaissez le prince Sernine, je vois, lança l'impératrice.
- Oui, Votre haute Excellence."
La tsarine ne savait pas bien s'exprimer en russe, mais elle arrivait à parler en français. Gabrielle lui en était gré. Elle ne connaissait que des mots de tendresse en russe, destinés à Alexei et à des moments privilégiés.
" Ce sont ses enfants ?! Je suis fâchée que le prince Sernine n'ait pas daigné nous avertir de la naissance de ses enfants !!! Je sais que cela a beaucoup attristé Kolya.
- Oui, Votre haute Excellence," déglutit Gabrielle.
Raspoutine sortit de sa torpeur et darda ses yeux lumineux sur la Française. Les enfants du prince ? Le starets sourit ironiquement en toisant la femme.
Gabrielle se leva précipitamment et s'approcha de Charles. Son fils et le tsarévitch prévoyaient une partie de tennis dans les jardins du Palais.
La Française fit une révérence appuyée devant le jeune prince impérial et rappela aux deux enfants qu'il était bientôt l'heure de déjeuner.
La tsarine allait rejoindre Gabrielle lorsque Raspoutine la retint en posant sa main sur son épaule.
" Attendez, votre Excellence. Vous pouvez faire confiance à cette femme. Elle sait !
- Alexis est tellement autoritaire. Il n'acceptera jamais de se plier aux ordres d'une étrangère, Grigori !"
Mais de fait, le tsarévitch revint vers sa mère, le front boudeur. Avec lui, Charles affichait la même expression fâchée.
Gabrielle du Plessis souriait en annonçant simplement :
" Figurez-vous qu'on a osé demander de manger plus tard !?
- Voyez-vous ça, maman !, fit Olga, l'aînée des filles du Tsar et de la Tsarine. Alexis qui obéit au doigt et à l'oeil, c'est incroyable !"
L'éclat de rire fut général.
L'apparition d'Alexei Sernine rendit sa joie de vivre à Gabrielle du Plessis. Le prince vint la serrer dans ses bras, content de la retrouver.
Le sourire fut plus crispé lorsque la tsarine l'admonesta gentiment.
" Vous devriez avoir honte de nous avoir si longtemps caché vos enfants, Alexei !"
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