29 juillet - 16 heures
Le temps était agréable. Le soleil était chaud dans cette campagne russe. Les enfants avaient disparu depuis des heures.
Seules les filles aînées du Tsar étaient encore là. Olga, Olishka, lisait avec application un roman français, ses yeux bleus rieurs se posaient sans cesse sur sa soeur, Tatiana. Cette dernière était absordée par les petites fleurs bleues qu'elle brodait sur un mouchoir.
" Tanya, pas comme ça ! Tu vas percer la dentelle !, se moqua Olga.
- Olishka ! Raconte-moi si le voleur a été attrapé !, rétorqua Tatiana.
- Mhmmm. Pas encore. Mais je sais que ce n'est pas Arsène Lupin !
- Evidemment !"
Tatiana secoua sa longue chevelure sombre, si éloignée de la blondeur de sa soeur aînée.
" M. Rudolf Kesselbach n'a pas l'air d'un si brave homme que ça !
- Alexei a été bien gentil de nous apporter des romans français. J'adore Arsène Lupin !, sourit Tatiana.
- Il y a aussi des romans anglais... Un Sherlock Holmes ! "
Tatiana était contente, puis elle remarqua l'heure tardive et soupira de dépit.
" J'aimerais qu'Anastasia termine sa leçon d'allemand ! Elle n'en fait vraiment qu'à sa tête !
- Elle et Marie sont impossibles !, claqua Olga. Et maintenant qu'Hélène est avec elles, c'est impossible de se faire entendre ! Dieu protège les grandes-duchesses !"
Les deux soeurs se regardèrent avant d'éclater d'un rire commun.
Plus loin, Gabrielle du Plessis se promenait au bras du prince Alexei Sernine, surprise par le manque de décorum de cette cour russe. On tutoyait les souverains, on s'appelait par des petits surnoms, on n'organisait pas de grands bals... Tout était endormi et calme. A mille lieues de la folie de Pétersbourg...ou de Paris... Les enfants de l'empereur dormaient sur des lits de camp et prenaient des bains froids. Le sport était régulier et chacun participait.
Ce matin, Gabrielle avait dû jouer en double au tennis avec Alix contre Nicolas et Alexei. Elle devait tutoyer les souverains et ses enfants dormaient maintenant avec les enfants impériaux.
Les femmes de chambre, Anna Demidova et Elizaveta Ersberg, s'affairaient, elles n'hésitaient pas à rabrouer les enfants et à interpeller les souverains.
Gabrielle du Plessis se faisait discrète, incertaine de l'attitude à avoir. Alicky et Kolya, Aliochka et Gabrilenka... Elle avait déjà renoncé à ses belles robes, privilégiant les tenues légères et pratiques. Ici, on marchait, on courait, on chassait.
Et le soir, on jouait aux cartes.
Ici, on était hors du monde.
" Charles et Hélène feraient mieux de rentrer, murmura Gabrielle à son compagnon. L'impératrice ne va pas tarder à faire annoncer le goûter.
- Ils sont dans les bois avec Mashka et Nastya ! Je parie qu'Alyocha a réussi à obtenir une promenade en calèche. Pierre ne sera pas content ! Il attend encore le tsarévitch et ses soeurs pour la 3e leçon !
- Pierre ?
- Pierre Gilliard, le précepteur suisse des enfants du Tsar ! Un homme charmant !
- Mais nous sommes en vacances ?
- Gabrilenka ! Toutes ces têtes impériales ont un emploi du temps serré et même en vacances d'été, il leur faut étudier ! D'ailleurs, nos enfants vont devoir suivre le même emploi du temps !"
Gabrielle se tourna lentement vers son compagnon, le forçant à cesser la promenade. Le prince Alexei Sernine souriait en la contemplant, sûr de lui et de sa force.
" Nos enfants ? Alexei ?
- Que sont-ils d'autres à mes yeux, Gabrilenka ? Ici, ils sont mes enfants et je tiens à eux. Et à leur mère.
- Mais...
- Il y a de bonnes universités à Petersbourg, moya zvezda. Quel avenir leur vois-tu ?
- Je...je ne sais pas... Un avenir loin de moi...
- Ici, ils sont mes enfants et il suffit de peu de choses pour qu'ils le soient."
Des cris de joie coupèrent la parole au prince Sernine. Une voiture était apparue dans la cour du Palais Alexandre.
" DIMITRI EST LA !," hurlèrent les filles du Tsar.
Un jeune homme sauta en riant de la voiture à peine arrêtée. Il s'agissait du cousin des grandes-duchesses, Dimitri Pavlovitch.
Alexei Sernine le rejoignit, Dimitri était un beau jeune homme de dix-neuf ans. Il serra le prince dans ses bras puis il remarqua Gabrielle et resta estomaqué.
" Ma compagne, Mitia. Gabrielle du Plessis," fit sévèrement le prince.
Le jeune aristocrate s'inclina et Gabrielle lui tendit sa main à baiser, ne sachant pas comment agir en ses circonstances.
Devant la stupeur générale, elle comprit que ce n'était pas ce qu'il fallait faire.
Mais les yeux du jeune homme brillèrent de joie...
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