19,04,2020 : LE GRENIER OUBLIÉ
Par le fenestron dont la vitre est brisée, je vois les nuages ramper juste au-dessus des toits. Au-delà du hameau, ils survolent la cime des arbres, et semblent ainsi jaillir de la forêt. Ils ont la lenteur pastorale d'onctueuses brebis, menées par un berger rêveur.
Cette nuit, le jardin a accueilli la pluie et ils ont célébré la vie, laissant les lieux humides, boueux et parfumés.
Je suis retournée me plonger dans mes rêves encore tièdes, à peine effilochés par le jour.
Au cœur du grenier de cette bâtisse dévastée, j'ai installé mon nid. J'ai trouvé, là, sous ce toit esseulé, des mots abandonnés, ébréchés parfois, fins comme d'anciennes porcelaines, de ces tasses délicates peintes de fleurs pâlies qui tintent, rappelant le son des cloches lointaines, dans le paysage brumeux.
Assise sur cette chaise bancale, j'ai posé mon cahier sur la petite table boiteuse et mon crayon a enlacé le pouvoir des phrases.
J'aime ce grenier d'enfance où logent de vieilles poupées, oubliées comme des dépouilles intactes, attendant que de nouveau on les aime, leurs cheveux parfaitement coiffés malgré les années. J'ai fait de ce lieu ma demeure, avec les oiseaux qui le traversent en piaillant, et les souris trottinant la nuit. Elles et moi, avons établi un consensus : je les laisse vivre en paix, leur offrant toujours une petite part de mon repas, et elles ne grignotent pas mes souvenirs de papier.
J'écris dans un rayon de lune qui entre par la lucarne, traversant un hypothétique rideau soyeux, posé là par les araignées, ces délicates tisserandes silencieuses.
Le 19,04,2020, à Bugarach.
Mazaria
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