Chapitre 7 : Mira

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 Aaron se tenait devant la résidence Valerian, les yeux écarquillés. Le portail était en bois massif sculpté, flanqué de deux murets de pierre blanche, le jardin tapissé d’une pelouse luxuriante et impeccablement tondue. Ici et là, des massifs de fleurs, et, à droite de la résidence, une plantation de petits pommiers dont les fruits resplendissaient sous le soleil de l’après-midi. Le manoir dressait ses deux étages surmontés de tuiles rouges vers les nuages. Les murs percés de hautes fenêtres à linteaux dorés étaient immaculés et les chaînes d’angles en briques apparentes. Une porte cochère garnie d’ornements marquait l’entrée de la demeure. C’était l’une des plus belles résidences que le jeune homme ait jamais vues. Même s’il avait mis ses plus beaux vêtements, un pantalon en toile gris et une chemise noire, il se sentait misérable devant tant d’opulence. Il hésita un long moment avant de sonner.

 Quelques secondes s’écoulèrent, puis un visage apparut, encadré par une petite ouverture aménagée dans le bois. Aaron sursauta, n’ayant pas remarqué le dispositif. Une voix pincée s’éleva.
 — Monsieur désire ?
 Aaron mit du temps à comprendre que ce visage d’une cinquantaine d’années doté d’une moustache impeccablement taillée s’adressait à lui.
 — Monsieur ?
 — Oui, pardon, répondit le jeune homme en reprenant ses esprits. Bonjour.
 — Bonjour, dit l’homme qui s’impatientait, que puis je faire pour vous ?
 — Ahem, je m’appelle Aaron, et je suis ici pour voir...
 Aaron s’interrompit, se rendant soudain compte qu’il n’avait aucune idée du prénom de la cliente de Maggie.
 — Euh, reprit-il en bredouillant, … euh... madame Valerian ?
 — Il n’y a pas eu de madame Valerian ici depuis des années. Merci monsieur, et bonne journée.
 — Mais on m’a donné rendez-vous ici et…
 L’homme à la moustache avait refermé l’ouverture d’un claquement sec.

 Aaron commençait à se demander si on ne s’était pas moqué de lui, lorsqu’une voix féminine colérique s’éleva de l’autre côté du portail.
 — Norton ! « Il n’y a pas eu de madame Valerian ici depuis des années. » Vraiment ?
 — Mademoiselle, veuillez m’excuser, était-ce vous que ce jeune homme cherchait à rencontrer ?
 — Et qui d’autre ? Allez, ouvrez maintenant !
 Un grincement retentit, et le portail s’entrebâilla doucement, comme à contrecœur. Norton, le majordome, dévisagea Aaron du sol au plafond d’un regard désapprobateur. Il portait un étincelant costume blanc, assorti d’une canne d’ébène et de belles chaussures cirées. Par réflexe, Aaron jeta un coup d’œil à ses chaussures en cuir usées jusqu’à la semelle. Il se sentit rougir. Un éclat d’or attira son regard. La jeune femme rencontrée chez Maggie se tenait à côté de Norton. Elle avait troqué son manteau bleu pour une simple robe citron. Au magasin, Aaron n’avait pu déterminer sa corpulence sous son lourd manteau, mais il s’apercevait maintenant qu’elle était très mince. Elle allait pieds nus, ses lèvres pincées en une expression sévère.
 — Aaron, c’est ça ? demanda-t-elle en faisant un pas en avant.
 Aaron, à moitié honteux de son dénuement, à moitié béat d’admiration, ne répondit pas. La voix de Norton le ramena au présent.
 — Monsieur ?
 — Ah, désolé. Oui, bonjour, Aaron, oui, c’est bien ça.
 Il rougit à nouveau, conscient de sa piteuse première impression. La jeune femme sembla ignorer son trouble et lui tendit la main.
 — Bienvenue à la résidence Valerian. Ou bien devrais je dire Maynard ? Disons Maynard-Valerian. Entre, je t’en prie.

 — Norton, nous allons au salon jaune, pourrais-tu nous apporter des rafraîchissements ?
 — Très bien, mademoiselle, acquiesça celui-ci avant de s’éloigner, non sans un dernier regard désapprobateur en direction d’Aaron.
 — Tu peux laisser tes chaussures ici, tu seras plus à l’aise.
 Le jeune homme s’exécuta, puis, alors que ses pieds nus touchaient le carrelage tiède, prit un moment pour observer le hall d’entrée. Des bougies sises sur leurs chandeliers émanait une lueur jaune pâle qui projetait des ombres mouvantes sur le sol carrelé. Un imposant miroir trônait sur une assise en marbre. Sur la gauche de la porte d’entrée, un couloir, qu’avait emprunté Norton, menait probablement aux cuisines. Sur la droite, un gigantesque séjour sur lequel donnaient les grandes fenêtres aperçues de l’extérieur. Des tapis, quelques tableaux, une grande cheminée agrémentaient le salon. La douce chaleur du foyer devait faire de cette pièce un endroit très agréable à vivre pendant les longues soirées d’hiver. Le dernier en date avait été terrible pour Aaron. Malgré des habits roulés en boule placés de manière à colmater les brèches des murs de sa cabane, il avait atrocement souffert pendant trois mois. Un matin, à son réveil, l’eau de pluie récoltée dans sa bassine avait gelé ; Aaron avait bien failli finir sous la même forme. Il avait pitoyablement demandé l’hospitalité à Maggie, le temps que la douceur printanière revienne. Elle s’était évidemment empressée d’accepter, trop heureuse d’avoir enfin quelqu’un sur qui déverser son torrent de paroles. Aaron avait détesté son séjour chez l’épicière. Tant de choses qu’il ne pouvait s’offrir, juste devant son nez... Maggie avait bien évidemment proposé de les lui donner, mais il avait refusé. Il détestait qu’on lui fasse la charité.
 — Eh, l’interpella la jeune femme en robe jaune d’une voix autoritaire, tu t’es encore perdu !
 — Ah, oui, pardon, c’est juste que... C’est une très belle maison. Je... fit le jeune homme avant de se mettre à rougir.
 Une étincelle amusée passa dans les yeux pailletés de vert de la jeune femme.
 — Tu as l’air mal à l’aise... C’est évident que tu viens des bas quartiers. Pas de raison d’avoir honte. Si ça te convient mieux, oublie tout ça, dit-elle en faisant un mouvement de bras. Ça appartient à mon père, de toute façon. Suis-moi à l’étage, nous serons mieux au salon jaune pour discuter. Ah, au fait, je ne crois pas m’être présentée. Je m’appelle Mira.

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