Chapitre 17 : Parenté
Aaron enfila les premiers vêtements qu’il trouva et se précipita dans les rues en direction de la résidence Valerian. Il y parvint essoufflé après quinze minutes de course effrénée, et fit tinter la cloche du domaine. Norton le reconnut et l’introduisit dans la propriété sans se départir d'un regard dédaigneux.
— Monsieur peut entrer, mais il devra attendre mademoiselle Valerian dans le salon jaune, indiqua-t-il, prenant un ton menaçant.
Aaron hocha la tête et marcha à pas rapides vers la demeure, entra dans le hall désert. Avant de refermer la porte en bois, il s’avisa que le majordome ne l’avait pas suivi. Ce dernier s’affairait à quelque besogne de jardinage à l’extérieur. Aaron s’engagea dans l’escalier menant à l’étage. Arrivé au palier, il jeta un coup d’œil vers le salon jaune, où il était censé attendre son hôtesse et, ignorant les ordres de Norton, grimpa vers le deuxième étage. Une fois à destination, il repéra la chambre de Mira assez facilement : c’était la seule porte fermée du corridor. Devant le seuil, il se rendit compte qu’il était toujours à bout de souffle, et prit quelques longues inspirations pour se calmer avant de toquer.
— Norton ! fit une voix enrouée aux accents colériques, j’ai dit que je ne voulais voir personne !
Aaron frappa à nouveau. Des bruits de pas se firent entendre. La porte s’ouvrit assez brusquement et le jeune homme eut un mouvement de recul.
— Il suffit, Norton...
Mira s’interrompit en réalisant son erreur. La colère disparut de son visage, n’y laissant que lassitude et chagrin.
— Oh... Aaron...
La voix et les yeux rouges cerclés de larges cernes la trahissaient : la jeune femme avait pleuré et très peu dormi depuis la veille.
— Bonjour, répondit le jeune homme. Que s’est il passé cette nuit ? Ce n’était pas un rêve, c’est ça ? J’ai fait de l’onirie ?
Mira ne répondit pas. Elle marcha d’un pas lent vers son lit, et s’y laissa tomber lourdement. Aaron entra et referma la porte. Il alla s’asseoir sans un mot à droite de la jeune femme et attendit. Celle ci reprit la parole après un moment de prostration.
— Oui, c’était bien de l’onirie. Après ce qui s’est passé dans la boutique, je voulais vérifier quelque chose. Comme je le pensais, tu as une prédisposition. Je voulais la tester cette nuit, voir jusqu’à quel point elle allait.
— Et ? Verdict ?
— Je pense qu’avec un peu d’entraînement, tu seras très doué.
— Alors pourquoi me suis je réveillé en sursaut, paniqué comme ça ?
— La plupart des oniristes débutants ont ce genre de sensation après leur première visite : leur subconscience n’est pas habituée aux contacts et se rétracte, ce qui peut déséquilibrer le rêve et rompre le lien. C’est tout à fait normal, et ça passe assez rapidement. Réussir à me suivre dans cette intrusion était déjà un exploit. Lors de ma première visite onirique avec ma mère, je n’avais pas réussi à entrer dans le songe. Tu as vraiment un don.
Les épaules de la jeune femme s’affaissèrent comme sous l’effet de la fatigue après son explication, et ses yeux restèrent fixés vers son lit, sa tête courbée sous le joug d’un invisible fardeau.
Au bout d’un moment, Aaron rompit le silence.
— L’onirie, tu pourrais m’apprendre à l’utiliser ?
— Je peux essayer, répondit la jeune femme, mais...
Mira s’interrompit et grimaça de douleur. Elle porta la main droite à son cœur et ses doigts se crispèrent, tandis qu’elle haletait en quête d'air. Aaron n’eut pas le temps de réagir que la crise s’en était allée. La jeune femme le rassura d’un geste de la main.
— Tout va bien, ne t’inquiète pas. Ce sont les effets secondaires de l’onirium.
— C’est plutôt effrayant, rétorqua le jeune homme.
— La première fois, oui. Ta respiration se bloque d’un coup, tu ressens une douleur atroce au niveau du cœur et il arrête de battre quelques secondes. Mais l’effet se dissipe assez rapidement. Et les avantages valent largement les inconvénients.
— Les avantages ? demanda Aaron, dubitatif.
— L’onirium amplifie temporairement le pouvoir de l’oniriste. Il lui permet de faire des choses qui lui seraient impossibles en temps normal, d’aller plus loin, plus longtemps. Sans cela, je n’aurai pas pu te suivre aussi loin la nuit dernière, expliqua Mira d’une voix soudainement plus faible. Mon subconscient n’est pas très puissant, malheureusement. Je peux t’apprendre les bases, si tu le souhaites, mais je ne pourrai pas t’en dire beaucoup plus.
— Tu dis que tu n’aurais pas pu me suivre aussi loin, mais où étions nous exactement ? Tu n’avais pas l’air de le savoir...
— Non, en effet, confirma la jeune femme. Tu te souviens ? Je t’ai dit que tu ne pourrais voir l’apparence physique d’une subconscience qu’après une première visite onirique ou après avoir parlé au moins une fois à la personne concernée dans le monde réel. La même mécanique existe pour les paysages. Tu ne peux reconnaître une partie du monde onirique que si tu l’as déjà vue dans le monde réel. La nuit dernière, quand je t’ai rejoint, j’étais dans le noir complet, parce que je ne connaissais pas l’endroit.
— Alors que moi, oui, apparemment. On était en haut d’une falaise, au dessus de l’océan.
— Oui, nous étions au Taagan.
— Alors ça a marché ! C’est là que je voulais aller. Ça veut dire que j’ai déjà vu ce paysage ! comprit le jeune homme. J’ai déjà été à cet endroit avec mes parents !
Son interlocutrice acquiesça d’un hochement de tête.
— Bizarre que je ne m’en souvienne pas... Ensuite nous sommes entrés dans la boule lumineuse, continua t il. C’était une visite ou une intrusion ?
— Une intrusion, car la forme du subconscient est caractéristique, expliqua Mira. Les pulsations lumineuses sont plus violentes, parce que la personne est soumise à un choc psychologique.
— D’accord, d’accord. Tu as commencé à discuter avec cette personne, cette Phan Moon, je crois. Elle a dit son nom, et juste après le rêve a commencé à... à se fissurer ! Est ce que la conscience de cette Phan a repris le contrôle ?
— Non, les intrusions sont brèves, mais pas à ce point, répondit Mira d’une voix qui semblait sur le point de se briser. J’ai perdu le contrôle en entendant son nom. Je suis désolée.
Elle semblait sur le point de fondre en larmes. Aaron s’empressa de la rassurer.
— Ce n’est pas grave, si ?
— Je ne sais pas, elle semblait vouloir dire quelque chose d’important. Mais je n’ai pas pu... C’était trop soudain.
— Tu la connais ?
— Je ne l’ai jamais rencontrée, mais Lysandor Moon est le roi du Taagan, l’époux de ma mère.
— Ça veut dire que cette Phan Moon est...
— Oui, ma demi sœur, je pense. Mais... J’étais assez souvent en contact onirique avec ma mère. Elle ne m’en avait pas parlé... Elle ne m’avait jamais dit qu’elle avait eu des enfants de son nouveau mariage... Le découvrir comme ça, par hasard...
— C’est bizarre, elle n’avait pas l’air d’être au courant non plus. Phan, je veux dire.
— Je ne sais pas... Je ne sais plus...
Ses épaules s’affaissèrent, puis Mira se mit à sangloter silencieusement, sa tête penchée vers l’avant, ses cheveux châtains défaits tombant de part et d’autre de son visage.
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