Chapitre 29 : Séparation

4 minutes de lecture

 — Aaron ? Aaron ! Est-ce que ça va ? fit une voix féminine venue troubler le néant.
 En reprenant conscience, il sentit des mains le secouer doucement par les épaules. Il ouvrit doucement les paupières sur la figure de Mira Valerian penchée sur lui. Le regard de la jeune femme trahit du soulagement lorsqu’il ouvrit la bouche pour lui signifier que tout allait bien.
 — Qu’est-ce qui s’est passé ? s’enquit-elle.
 Aaron, remis sur son séant, lui expliqua succinctement sa nouvelle expérience.
 — J’ai dû rester évanoui plus longtemps que d’habitude, conclut-il.
 Mira le fixait, bouche bée. Soudain, il se rendit compte de la situation, et de l’odeur tenace de vomi qui émanait d’un coin de la pièce.
 — Oh, désolé de te recevoir comme ça. Et pardon pour l’odeur. Ça arrive à chaque fois que je m’évanouis. Je n’ai pas de siège à te proposer, ni de boisson à t’offrir.
 Aaron s’interrompit, fronça les sourcils, puis demanda :
 — Comment es-tu arrivée ici ?
 La jeune femme semblait ne pas l’entendre, ni remarquer son embarras. Son regard lointain articulait des questions silencieuses.
 — Mira ?
 — Oh... Pardon, je... Ne t’inquiète pas. Peux-tu me montrer comment tu utilises ta poudre ?
 Un gargouillement empêcha Aaron de répondre. Il eut un sourire gêné.
 — Je meurs de faim. Je n’ai pas gardé grand-chose dans mon estomac depuis hier. Plus tard, peut-être ?
 — Je comprends, acquiesça Mira avec une moue déçue.
 Elle se releva et lui tendit la main pour l’aider à se remettre d’aplomb.
 — Dans ce cas, proposa-t-elle, laisse-moi t’offrir un vrai repas.
 — Non, refusa Aaron avec un sourire. Je t’invite, ajouta-t-il en désignant le minuscule monticule doré au fond de la bassine.

 Le soleil de l’après-midi traversait lentement l’azur, jouant à cache-cache avec les nuages. Le quartier du port était toujours animé, mais d’autant plus par beau temps. Sous les criaillements des goélands qui planaient dans le ciel à la recherche de denrées abandonnées au sol, les marins prenaient du bon temps aux terrasses des tavernes, sirotaient leurs chopes de bière en riant aux plaisanteries de leurs camarades éméchés. Les poissonniers beuglaient aux quatre vents pour essayer de refourguer la fin de leurs étals à moindre prix avant de devoir l’abandonner aux oiseaux. Un vent frais diluait la canicule et faisait flotter haut les pavillons des navires accostés, pour la plus grande joie des passants. Même les habitants des beaux quartiers venaient en nombre se promener au port, en quête de trouvailles exotiques dans les mille petits bazars émaillant les ruelles pavées. Aaron aimait arpenter les quais. Il appréciait de marcher au milieu de ce monde frénétiquement agité. Tout sur le port semblait vivant, vraiment, à un degré supérieur. Lorsqu’il cheminait dans les ruelles du quartier, Aaron ressentait une énergie incroyable s’en dégager, comme si le cœur de Kelcia battait là, entre les grands vaisseaux amarrés et les petites maisons en pierre. Cet après-midi encore émanait du port cette chose indescriptible qui le mettait quoi qu’il arrive de bonne humeur. Il déambulait à côté de Mira à la recherche d’un restaurant ouvert, le visage barré d’un sourire. Sa compagne avait les lèvres pincées, les yeux au sol, les épaules basses. Elle avait gardé le silence depuis leur départ de chez lui. Le jeune homme ne savait trop quoi dire pour la dérider. Il lui jetait de temps à autre un regard en coin pour déceler un signe d’ouverture, mais toute sa physionomie restait aussi fermée que son visage.

 Ils entrèrent dans une taverne et le jeune homme laissa Mira s’installer pendant qu’il se rendait au comptoir. Lorsqu’il montra la poudre dorée au tenancier de l’endroit en lui demandant si cela suffirait, celui-ci ouvrit des yeux ronds comme des billes et lui assura qu’il pourrait manger à sa faim, voire un peu plus. Le jeune homme retourna vers sa table, un grand sourire aux lèvres, après avoir commandé un grand plateau de fruits de mer et un pichet de vin blanc. Il retrouva Mira affalée sur la table, le front posé sur ses bras croisés, les épaules agitées de tressautements caractéristiques. Le jeune homme lui toucha doucement l’épaule. Elle releva la tête, yeux rouges et joues humides.
 — Ça va ? demanda maladroitement Aaron.
 La jeune femme acquiesça, une expression peu convaincante sur le visage.
 — Encore ta mère ? ajouta prudemment le jeune homme.
 — Oui... C’est... Je préfère ne pas en parler.
 Aaron opina, ne sachant qu’ajouter. Il aurait voulu savoir quoi dire, mais, décontenancé par la situation, il choisit de rester silencieux. Bientôt, leur repas fut servi, et ils déjeunèrent face à face, lui concentré sur le plaisir de remplir son estomac en souffrance, elle enfermée dans un mutisme total.

 Ils quittèrent la taverne alors que le soleil amorçait sa descente vers l’horizon. Mira avait à peine touché à son repas. Son compagnon affamé avait compensé son absence d’appétit et maudissait sa gourmandise maintenant qu’un mal de ventre carabiné le tenaillait. La jeune femme avait séché ses larmes, mais ses yeux trahissaient encore de la détresse. Finalement, alors qu’ils erraient depuis quelques minutes sur les quais, elle ouvrit la bouche :
 — Les Exodiens ont attaqué. L’empereur en a été informé aujourd’hui par un messager. Ton amie l’épicière me l’a dit.
 Aaron hocha la tête, comprenant enfin comment Mira avait pu se rendre chez lui. Elle continua :
 — Je pars ce soir pour Fort Daeron. J’ai des choses à faire là-bas. J’aurais voulu te voir utiliser ton étrange poudre, mais je crois que ça devra attendre mon retour.
 La jeune femme le serra brièvement dans ses bras.
 — À bientôt, murmura la jeune femme avant de tourner les talons et de s’éloigner en direction de la ville.
 Aaron la regarda s’en aller, sans lui crier de ne pas partir, planté sur le quai balayé par les rayons du soleil, et le manteau bleu nuit de Mira Valerian disparut au détour d’une ruelle.

Annotations

Vous aimez lire Nicolas Leighton ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0