Chapitre 5 : Les réfugiés

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La traversée de la Diacara d’ouest en est dura presque trois douzains. Il fallut quelques jours de plus pour rejoindre la frontière à la hauteur d’une des quatre routes que le Cairns avait dû céder à l’empire. La forteresse se dressait dans sa province la plus orientale, ce qui ne présentait rien de bien surprenant. C’était de là que le royaume du Cairn était né et qu’il avait entamé sa marche vers l’ouest. Quelques-unes des plus grandes villes s’y trouvaient, bien que sa capitale ait été déplacée dans une région plus centrale par la suite. C’était le lieu où la culture du Cairn était la plus enracinée, celle qu’il était le plus dangereux de traverser. Mais elle présentait un avantage, la proximité de la passe de Baltis leur permettrait de s’enfuir le cas échéant. Et même des soldats à l’esprit aussi pervertis que ceux du Cairn ne les poursuivraient jamais sur le domaine d’un haut gems.

La veille de leur entrée dans le Cairn, ils s’arrêtèrent dans un village frontalier. Ce jour-là, il n’y eut pas d’entraînement. Au lieu de cela, les pentarques ordonnèrent une réunion deux calsihons plus tard. À l’heure dite, tout le monde se retrouva dans leur chambre. À six dans cette pièce étroite, ils étaient serrés les uns contre les autres.

— Nous vous avons réuni pour…

— … discuter d’un problème important.

Comme chaque fois qu’elles se trouvaient ensemble, les deux jumelles parlaient en même temps, chacune continuant les phrases de sa sœur. On aurait dit un seul individu s’exprimant par deux bouches et ne sachant laquelle choisir.

— La façon dont nous allons mener l’attaque ? proposa Saalyn.

— Non plus grave. Il se passe…

— … quelque chose en Ocarian.

— Quoi donc ?

Pour toute réponse, les pentarques envoyèrent une image dans l’esprit de tous les participants. Saalyn avait l’habitude des intrusions télépathiques. Mais les autres qui n’y avaient jamais eu affaire esquissèrent un mouvement de surprise. Mais ils se ressaisirent, émerveillés par cette forme si pratique de la magie pentarchiale. Ils virent une plage, qu’ils identifièrent comme étant celle de Jimip. L’observateur était posté depuis une tour de guet. En contrebas, dans le sable se tenait plus d’une centaine de personnes. Quelques-uns nageaient en direction de la rive, provenant du continent. S’ils le point de vue se trouvait trop loin pour discerner le sexe de tous ces gens, il était facile de reconnaître quelques enfants parmi eux.

— Pourquoi sortent-ils tous de la ville ? demanda Previs.

— Ils n’en sortent pas, expliqua Saalyn, ils cherchent à y rentrer.

Le visage de l’apprenti manifestait son incompréhension. Muy le renseigna :

— Ce sont des réfugiés qui fuient l’Ocarian.

La compréhension se fit lentement.

— Que se passe-t-il ? demanda soudain un marin.

— Il a toujours existé des individus en délicatesse avec les autorités qui ont quitté l’empire pour se réfugier chez nous, expliqua Wotan par la pensée. Selon la nature de leur crime, nous les accueillons ou nous les renvoyons chez eux. Mais cela n’a jamais fait plus d’un ou deux par an. Là, nous en comptons cinq cents qui sont arrivés en quelques jours. Et ça continue.

— Sans compter, intervint Vespef, qu’il a des familles parmi eux. Certains viennent avec femmes et enfants. Il se passe quelque chose en Ocarian.

— Mais quoi ? demanda Saalyn à voix haute.

— Il faut aller voir. Les dires des réfugiés sont incohérents pour la plupart. En fait, nous étions limités aux spéculations jusqu’à hier.

— Hier ? Que s’est-il passé hier ?

— L’Unster s’est mis à charrier des cadavres.

L’annonce fit l’effet d’une bombe dans la petite assemblée.

— Beaucoup ? demanda Muy.

— Une quarantaine de corps se sont échoués sur nos plages. L’un d’eux, il y en avait vivait encore. Mais il n’a toujours pas repris connaissance. Tous sans exception portaient un uniforme de l’armée Ocareal.

Saalyn réfléchit un instant. Des soldats morts qui s’échouaient sur les côtes de l’Helaria. Sans compter ceux que les poissons avaient dévorés et ceux que le courant avait entraînés au large. Une légion de l’empire Ocarian avait été tuée. La population qui fuyait vers le sud. Tout ceci n’augurait rien de bon. Une guerre civile avait-elle éclaté, une invasion externe ? Ou pire, des hofecy géants avaient réussi à y pénétrer, reproduisant l’histoire du Vornix. Mais là, plus aucun obstacle naturel ne se dresserait sur leur passage pour les arrêter. Les empereurs avaient bien fait construire des murailles pour limiter leur éventuelle progression, mais la tâche, titanesque, était loin d’être achevée. Petit à petit, ils descendraient vers le sud pour finalement atteindre la zone cotière qui leur permettrait d’accéder aux hauts royaumes. Cela leur prendrait des siècles pour y arriver, voire des millénaires. Mais un jour, ils finiraient par les rejoindre. La seule chance pour leur survie était que d’ici là, ils édifient des défenses suffisantes pour les arrêter. Une muraille d’une centaine de longes pour bloquer les frontières de la Diacara. Ce serait un travail immense. Il faudrait en plus le doubler, voire le tripler pour éviter qu’une brèche n’entraînât la chute de l’empire qu’il protégeait.

— Les cadavres portaient-ils des traces de morsures ? demanda-t-elle soudain.

— Non, répondit Vespef. Les poissons les ont grignotés, mais ce n’est pas la cause de leur mort. Par contre, beaucoup ont été mutilés, mais d’étranges façons.

— Comment cela ?

— Certains ont perdu des membres. Mais ils n’ont pas été tranchés ni arrachés. L’os demeurait intact, mais la chair avait disparu. Quand il en subsistait, on aurait dit qu’elle avait coulé, comme lors d’une brûlure intense.

— Une brûlure qui aurait totalement détruit…

— … un membre sans toucher le corps, remarquèrent les jumelles.

Pour ce qui était des blessures, on pouvait leur faire confiance.

— Nous nous sommes fait la même réflexion.

Ça éliminait la thèse des hofecy. Ces prédateurs mordaient, arrachant un membre, os compris. Parfois, ils ne faisaient qu’une bouchée de leur proie, surtout quand elle était aussi petite qu’un stoltz. Mais jamais ils n’auraient raclé les chairs telles que le décrivait Vespef.

— Il faut aller voir ce qui se passe, reprit la pentarque. Quoi qu’il s’agisse, ça se trouve dans l’Unster ou sur ses rives. Et si ça le descend, nous nous trouvons au bout.

Effectivement si ce danger se répandait, la Pentarchie était directement menacée. Nous devons en avoir le cœur net. Les jumelles firent écho aux pensées de la guerrière libre.

— Il faut aller voir ce qui se passe en Ocar. Mais…

— … la forteresse que nous visons est sur notre route. Et l’investir ne nous retardera que d’une journée. Alors que la traversée des montagnes nous en prendra douze fois plus.

— Je vois où tu veux en venir, intervint Wotan, mais est-ce une bonne idée de t’encombrer de réfugiés pour mener une telle mission ?

— Nous pourrons les laisser à Baltis. Sous la garde de Panation Tonastar, ils seront en sécurité.

— Vous êtes sûres de votre coup.

— Tout à fait.

— Ici, nous allons voir comment les événements évoluent et nous vous tiendrons au courant, reprit Vespef. J’avoue que nous aurions bien besoin de l’une de vous pour nous organiser. Devons-nous fuir nous aussi ou nous barricader dans nos villes ?

— Nous allons analyser la question, reprit Wuq

— Mais vous allez devoir nous informer de tout ce qui se passe.

Les pentarques se concertèrent. L’avantage de la télépathie était la rapidité de la communication. Mais cela se révélait frustrant pour leur entourage qui ne savait rien de ce qui se racontait entre eux. Finalement, l’entrevue s’acheva et elles exposèrent leur conclusion.

— Pour le moment, nous continuons la mission.

— La forteresse est de toute façon sur notre route. Il nous faudra…

— Trois jours pour l’atteindre. Si d’ici là…

— Les choses évoluent, nous bifurquons directement…

— Sur la passe de Baltis. Autrement, nous délivrons les…

— … prisonniers, et nous repartons par cette même passe.

— Nous laissons nos accompagnants à Panation puis nous continuons.

— En Ocarian, nous nous séparons en deux groupes.

— Muy et Saalyn enquêtent sur les événements qui se déroulent dans le pays. Wuq prend contact avec les autorités locales.

La façon qu’avaient de parler les deux pentarques jumelles déroutait la plupart des participants à la réunion. Seule Saalyn, qui les fréquentait régulièrement, semblait avoir bien compris les instructions.

— Voilà un plan intéressant, remarqua-t-elle.

— Nous avons besoin d’une réponse rapide à nos interrogations puisque…

— … de ce que nous découvrirons dépendra notre action.

Saalyn hocha la tête.

— Nous partirons tôt demain, dit-elle, on ne devrait pas tarder à se coucher. La traversée du Cairn ne sera pas une partie de plaisir.

Elle se leva.

— Excellente idée, confirma Muy, mais on peut manger un morceau d’abord ?

La remarque de la pentarque arracha quelques rires aux participants de la réunion. Nullement vexée, Saalyn la salua avant de sortir.

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