Chapitre 16 : Ce n'est qu'un «au revoir»
Au bout d’un demi-douzain, 517 entra dans la chambre.
— Vous partez dans trois jours, annonça-t-il
La nouvelle laissa Saalyn sans voix.
— Pourquoi ? finit-elle par demander, d’après Nertali, je ne suis pas encore en état de marcher.
— Avez-vous essayé ?
— Non, avoua Saalyn.
517 lui tendit les bras, l’incitant à se mettre debout. Surprise, la guerrière libre hésita avant de les prendre. Il la tracta, la soulevant de son fauteuil roulant. Un instant plus tard, elle tenait sur ses jambes. S’appuyant sur la solide poigne de l’homme comme assurance, elle fit quelques pas.
— Je peux marcher, dit-elle, mais ce n’est pas glorieux. Mes blessures sont plus graves que je ne le croyais.
— Ce n’est pas vos blessures. Vous êtes restée sans utiliser vos jambes trop longtemps. Avec un peu d’entraînement, vous pourrez bouger comme avant.
— Pour me déplacer dans la ville, ça ira. Mais pour escalader la falaise, trois jours ne suffiront pas. Seule je n’y arriverai jamais.
— Vous ne serez pas seule. Quelques-uns de nos hommes vous accompagneront jusqu’à votre village où vos compatriotes pourront vous prendre en charge.
Saalyn remarqua que les feythas avaient parfaitement repéré l’endroit d’où ils organisaient leurs opérations.
— Merci. Et après ?
— Nous rentrerons chacun de notre côté.
— Et après nous ne nous reverrons plus.
— Cela, j’en doute. La colère de Gavold se calmera un jour. Nertali est en train de tout mettre en œuvre pour cela. Après tout, sans avoir quitté votre chambre, vous avez manifesté des compétences, qui intéressent beaucoup de monde dans cette ville. J’ai moi-même hâte de vous retrouver. Vous devez toujours m’apprendre à me servir du tambour.
— Si vous voulez me revoir, pourquoi me chasser d’ici ?
517 alla près de la porte vérifier que personne ne les espionnait.
— Vos blessures ne présentaient aucun caractère de gravité. Cela fait longtemps que vous êtes en état de partir.
— Je ne comprends pas. Pourquoi me gardaient-ils ?
— 868 vous expliquera tout cela. D’ici à votre départ, entraînez-vous à marcher.
Il quitta la pièce, laissant Saalyn seule.
La guerrière libre était perplexe. Elle ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Elle ne savait plus à qui elle devait faire confiance, Nertali qui s’était révélé une soignante attentive ou 517. Elle avait développé un semblant d’amitié avec les deux. Et elle regretterait que l’un des deux l’eût trahie.
Le jour du départ, 517 apporta une grande boîte de forme bizarre. Elle était magnifique, en bois recouvert de cuir à l’intérieur. Un creux pouvait accueillir son usfilevi et plusieurs petits compartiments permettaient de ranger les accessoires tels que les cordes ou les médiators. Il la donna à Saalyn.
— C’est un cadeau, expliqua-t-il.
Saalyn le prit et l’examina sous toutes ses coutures.
— Il est ravissant, merci.
Elle le posa contre le lit et enlaça le jeune homme. Surpris par le geste, il resta immobile un moment avant de rendre l’étreinte. Elle resta longtemps serrée contre lui.
— Tu vas me manquer, dit-elle.
— Nous aurons l’occasion de nous revoir.
— Je l’espère. 868 aussi va passer ?
— 868 ! Depuis le temps que vous vous connaissez, tu ne crois pas que tu aurais pu la baptiser.
Elle écarta la tête pour le regarder dans les yeux, mais sans séparer leur corps.
— Vous voulez des noms ?
— Les feythas ont des noms. Vous en avez. Le moindre paysan du village le plus pauvre en possède un. Nous n’avons que des matricules.
— Je crois que la bonne solution, quand les parents ne l’ont pas fait pour toi à la naissance, consiste à choisir soi-même celui que l’on souhaite.
— Cela serait un honneur si c’était toi qui le choisissais. Tu as éveillé notre conscience à de belles choses, la musique, la poésie. Tu es un peu notre mère à tous les deux.
— Je n’espère pas. Sinon notre étreinte serait incestueuse.
Et pour la première fois depuis qu’elle le connaissait, 517 rit. Puis il s’écarta, pour le plus grand regret de Saalyn qui avait appris à apprécier le contact déroutant de ces corps chauds.
— Je souhaite vraiment qu’un jour tu m’offres plus qu’une simple étreinte, déclara-t-il, mais pas aujourd’hui.
— Viens me voir quand tu voudras et je t’enseignerai des choses que tu ne soupçonnes même pas.
— J’espère bien. Après tout, je suis encore très jeune. Cela ne fait que deux ans que je suis né.
Saalyn resta muette devant cette nouvelle. 517 s’expliqua.
— Les feythas augmentent la vitesse de notre croissance. Sinon, il leur faudrait des décennies pour disposer de l’aide dont ils ont besoin. À peu près un enfant sur deux est accéléré.
— Je vois. Et 868 aussi.
— Bien sûr. Sinon elle aurait à peine atteint le stade où elle apprend à marcher.
— Elle doit passer me saluer avant mon départ ?
— Mieux, elle va t’accompagner jusqu’au village.
La nouvelle ravit Saalyn.
— Elle est devenue une bonne amie, je vais être triste de la quitter.
— Elle aussi.
Un toussotement discret interrompit leur discussion. Dans l’encadrement de la porte, Nertali attendait patiemment.
— Je voulais profiter une dernière fois de Saalyn, s’excusa-t-il.
— Ce n’est pas la dernière fois que tu la vois. Je pense même qu’elle reviendra dans très peu de temps.
Cette nouvelle arracha un sourire au jeune homme qui s’éclipsa.
— J’ai cru qu’il ne partirait jamais, dit-elle.
— Vous aviez besoin de me parler ?
— Je voulais moi aussi te dire au revoir.
Et tout comme 517 l’avait fait un peu avant, Nertali enlaça Saalyn. Mais son étreinte n’avait rien de fraternelle. Ses mains trouvèrent rapidement l’espace entre sa tunique et son pantalon, elles s’y glissèrent pour caresser son dos, directement contre la peau. La stoltzin la laissa faire jusqu’à ce que la feytha entreprît de les ramener devant. Saalyn l’interrompit alors.
— Je suis très honorée, mais je ne suis pas intéressé par ce genre d’échange entre femmes.
— Pourtant les habitantes de cette ville ne repoussent jamais mes avances.
— Ils vous considèrent comme des dieux.
— Pas toi ?
Comme Saalyn ne répondait pas, elle le fit elle-même.
— Tu as déjà les tiens, tu n’en as pas besoin de nouveau.
Saalyn ne croyait pas en un être suprême, elle ne jugea toutefois pas utile de le préciser.
La feytha s’éloigna enfin de Saalyn.
— Dès que tu seras rentré chez toi, il faudra que tu reviennes immédiatement avec une ambassade. Nous allons vivre durablement sur ce monde. Nous devons établir des relations saines avec nos voisins.
— Je n’y manquerais pas. Mais Gavold ne risque pas de voir mon retour d’un mauvais œil.
— Gavold ne décide pas pour nous tous. Et de toute façon, même lui reconnaît que rester replié sur soi n’apporterait rien de bon.
Nertali refit une dernière accolade à la stoltzin avant de quitter la pièce.
— Nous partons dans un… comment dites-vous déjà ? Ah oui, dans un monsihon.
— Vous venez avec nous ?
— Bien sûr. J’ai envie de voir ce village et de parler un peu avec les tiens. Je vous trouve si intéressant.
Elle allait ressortir.
— Pour commencer, je trouve incroyable qu’un peuple aussi bas dans son développement technologique ait réussi à créer un système d’unités unique à l’échelle de la planète.
— Nous l’avons hérité de nos ancêtres.
— Mais eux, d’où le tenaient-ils ?
Elle quitta la chambre, laissant Saalyn avec ses interrogations.
Annotations
Versions