Chapitre 51
- Es-tu conscient des mots que tu emploies ? Demanda Evan pour être sûr des paroles de son officier.
Il hocha la tête bêtement, comme l'idiot qu'il était. Le deuil ne pourrait excuser ce qu'il avait à dire et ce qu'il pensait de ses équipiers.
- Oui, Capitaine. J'ai donné presque deux ans de ma vie à cette équipe. Louis est un pleurnichard, il ne pense qu'à rentrer chez lui... comment aurait-il pu concevoir un plan capable de sauver Al. Sam était bien trop aveuglée par sa soif de réussite et de monter en grade. Quant à Iris, c'est une menteuse et même si elle n'est pas une sorcière elle mérite le même sort que mon frère, elle aurait dû se prendre cette épée...
La tête de Phil pivota sur le côté, il s'écroula lourdement sur le sol ne comprenant pas ce qu'il venait de lui arriver. Evan avait décidé de faire taire son arrogance et sa haine en utilisant la force. Un coup de poing bien porté pouvait remettre les idées en place d'un fou. Phil posa sa main sur sa joue devenue rouge vif.
- Tu as deux secondes pour aller dormir avant que je ne décide d'équilibrer ton visage. Que je ne t'entende plus parler de tes camarades ainsi. La souffrance n'empêche pas le respect. Quant à ta mutation, nous en reparlerons après cette mission.
Evan parla avec calme, il savait que hausser le ton ne servirait à rien. Phil n'était pas suffisamment lucide pour être impressionné. Ses mots suffirent d'ailleurs à faire taire le jeune homme. Après un dernier regard, il tituba jusqu'à sa tente sans dire un mot.
Le Capitaine ne supportait pas la calomnie, mais il connaissait les méfaits du deuil et ses dangers. Phil était isolé de ses coéquipiers, il savait que cela ne l'aiderait pas. La mort de son frère ne devait pas être une excuse à son déclin. Evan décida qu'il le laisserait encore un peu réfléchir avant de le remettre sur le droit chemin. Il espérait qu'Iris pourrait soutenir son partenaire quand elle serait libre.
Il poussa un soupir avant de ramasser Amy pour la poser contre un arbre hors du chemin. Il ne voulait pas qu'elle se fasse piétiner par des chevaux. Ils avaient suffisamment de perte dans leur rang pour le moment. L'homme fit un dernier tour de son campement, qui paraissait si vide sans deux de ses membres. Il prit en suite place dans sa tente avant d'enlever en grimaçant la chemise de son uniforme. Dessous étaient dissimulés deux énormes pansements recouvrant son torse et ses bras. Il entreprit de les dérouler en maudissant la douleur, qui parcourait son corps à chaque fois qu'il décollait le tissu de sa blessure. Il se donnait du mal pour dissimuler ses brûlures, il avait même demandé au médecin du camp d'être discrète et de n'en parler à personne. Il savait que le lien avec Iris serait vite fait par les membres de l'équipe et les juges. Si on apprenait que la jeune femme était la cause de ses marques, les faits seraient ajoutés à son procès. Ce dernier s'annonçait suffisamment compliqué.
Iris observait le paysage défiler, la forêt laissa place à des chemins aménagés et des près autrefois cultivés. À présent, ils servaient à garder les élevages de bestiaux. Seuls les fermiers étaient autorisés à récupérer leur bête une fois leur mois de pâturage finis. Leur convoi traversa les camps petit à petit, ces derniers devenaient de plus en plus grands. Les simples cabanons en bois laissèrent la place à de réelles habitations en bois et en pierre sur plusieurs étages. Les rues étaient si vivantes, les Sylviens profitaient d'une journée ensoleillée. Elle croisa la route d'un homme portant un gros panier chargé de victuailles sûrement destiné à sa famille. Il passa devant deux vieilles femmes discutant de façon animé à l'ombre d'un arbre. Derrière elle deux enfants joués dans un grand carré d'herbe avec une balle en cuir. Iris songea à quel point cette vie que menait les habitants n'étaient pas le reflet de ce qu'il se passait à la frontière du pays. Grâce à leur sacrifice, cette vie paisible pouvait continuer... mais jusqu'à quand. Elle détourna les yeux en voyant l'un des garçons rater son tir, lançant la balle dans la tête de l'autre, qui se jeta aussitôt sur lui. Il était au camp 11, elle était déjà venue ici avec ses derniers tuteurs. Ils venaient ici pour faire le marché. Sa localisation au milieu du pays permettait au camp une multitude d'arrimages et donc un grand choix sur le marché. Elle se souvenait encore parfaitement avoir profité une dernière fois de ses odeurs agréables d'épices et de fruits frais lors de son départ pour l'armée. Elle était alors une femme libre, poursuivant ce qu'elle pensait être sa destinée. Elle s'imaginait alors accomplir de grande chose. À présent, elle revenait deux ans plus tard, prisonnière. Elle n'avait rien accompli et sa destinée avait le goût amer d'un chemin tracé par quelqu'un d'autre pour elle.
Elle inspira profondément pour mémoriser l'odeur. Peut-être qu'elle n'aurait pas l'occasion de revenir, elle n'arrivait pas à se projeter dans l'avenir à présent.
Son regard se posa sur Phil, à la tête de son cortège de prisonnière, il n'avait pas eu un seul regard envers elle. Cela ne la surprenait pas tellement, son frère avait donné sa vie pour elle. Il était normal que sa première réaction soit de la colère, Phil était comme ça. Il préférait être en colère que souffrir, peut-être que tous les humains étaient capables de se cacher derrière de faux sentiments. Accepter sa douleur était un exercice réellement compliqué. Iris espérait seulement qu'il pourrait guérir et avancer. Elle veillerait tant qu'elle le pourrait et quand elle le pourrait. Pour l'instant elle était dans l'incapacité d'aider qui que ce soit, elle l'avait finalement accepté.
Louis était assis à côté d'elle dans le chariot les emmenant vers le camp dans lequel elle avait grandi. La justice agissait ainsi, afin de réunir toutes les informations possibles sur l'accusé.
- Heureusement pour nous, l'affaire n'a pas été ébruité dans tout le pays. Peut-être que le gouvernement ne souhaite pas que la population remette en cause la sécurité au sein de leur rang. Je t'ai établi un plan de défense dans ce sens. Tu as passé tous les tests, tu as plusieurs fois montré ta loyauté en tuant des sorciers sous nos yeux. Tu as aussi sauvé la vie de ce débile de Lenny... il n'y a pas plus traître que lui. Tu as passé toute ton enfance ici, comment pourrais-tu être une des leurs...
Louis continua sa tirade seul, elle ne l'écoutait que d'une oreille même si elle était reconnaissante de ce soutient et de cette confiance qu'il avait en elle. Elle doutait plus d'elle-même que lui. Il avait eut un seul mouvement de recul envers elle avant de la défendre bec et ongle. Ce n'était pas le cas de Sam. Elle l'observa du coin de l'œil. La jeune femme était sur son cheval à côté du chariot, plongée dans ses pensées. Pourquoi ne lui faisait-elle pas confiance ? Malgré leurs petits désaccords, elles avaient toujours été très proche pourtant un seul doute avait mis fin à cette complicité. Iris sentait qu'elle n'était pas complètement fermée à elle. Elle était venue la voir pour lui redonner du courage à sa façon. La jeune femme se remémora une conversation qu'elles avaient eut toutes les deux. Ses parents et son village entier avaient été massacré par les sorciers, sous ses yeux d'enfants. Elle avait une haine immense en elle lié à ce traumatisme. C'était peut-être une raison suffisante pour être terrifiée par l'idée qu'elle aurait pu tisser des liens d'amitié avec l'une d'entre eux sans s'en rendre compte.
La carriole heurta un trou sur la route secouant ses occupants. Iris grimaça en sentant tous ses os brisés crier leur douleur. Elle était dans un sale état, son pied était totalement brisé tout comme plusieurs de ses côtes. Elle avait des bleus partout sur le corps. Elle ne savait même pas si elle pourrait recouvrer sa mobilité initiale. Cela n'avait peut-être aucune importance si elle était jugée coupable. Elle frissonna sentant un étrange sentiment la parcourir et faire battre son cœur plus fort. Elle n'aimait pas cela. Quand elle vit ses mains enchaîner commencer à trembler, elle entrelaça ses doigts avant de reprendre son observation du paysage. Il serait plus facile de penser à autre chose. Ils voyageaient depuis déjà plusieurs jours, le temps était long, la fin du voyage se faisait sentir. Elle serait bientôt fixée sur son sort. En effet, leur petit convoi s'arrêta bientôt devant les murs en bois du camp 10. Les portes étaient fermées par mesure de sécurité. Le camp 10 accueillant énormément d'enfants orphelins entres ses murs, les gardes souhaitaient rester vigilant.
Ils durent s'arrêter le temps qu'une autorisation leur soit accordée.
- Vous transportez une prisonnière ? Demanda l'une des sentinelles en pointant du doigt Iris et ses chaînes plus que voyante. Phil hocha la tête avant que son Capitaine ne lui coupe la parole.
- une accusée, elle doit assister à son procès demain. Nous avons un laissé passé délivré par le Leader Wise.
Il tendit son papier, qui fut lu avec attention part la femme. Elle vérifia le tampon avant de faire un signe à ses collègues, qui entreprirent d'ouvrir la porte.
- Les chariots sont interdits, vous devez le laisser dehors. Il y a beaucoup d'enfants dans les rues.
- Prend Iris sur ton cheval, ordonna Evan à Phil en rangeant ses papiers. Le jeune homme jeta un regard à l'intéressée. Ses mains devinrent moites et la colère entreprit de prendre possession de son ventre et de son cœur. Il n'avait pas du tout envie d'approcher de la jeune femme, mais désobéir n'était pas une option. Il n'avait d'ailleurs aucune raison valable pour le faire. Iris n'était pas coupable, il le savait. Il était soulagé qu'elle soit en vie, mais il savait qu'un seul contact avec elle risquait de l'obliger à affronter ce qu'il s'efforçait de refouler profondément. Il n'était pas encore en mesure d'accepter ces émotions, il avait trop à perdre. Il se dirigea vers le chariot en serrant les poings. Il avait déjà suffisamment fait des siennes la veille. Le Capitaine avait pitié de lui, c'était la seule raison qui l'eût poussé à ignorer son comportement. Il n'avait plus le droit à l'erreur.
Il s'arrêta devant Orens et Elena, chargés de conduire les chevaux tirant le chariot.
- Nous devons le laisser dans les écuries à l'extérieur. Vous pouvez vous en charger et nous rejoindre après. Louis ?
L'intéressé lâcha son livre des yeux avant de descendre du véhicule. Il semblait surpris que son camarade s'adresse enfin à lui après une semaine de silence. Mais il vit dans son regard qu'il était très formel. Sa carapace était en granit.
- Oui, Phil ?
- Nous allons escorter Iris jusqu'à la Grande Maison. Tu peux récupérer les cartes du Capitaine ?
Louis acquiesça,
- Tu veux que je porte Iris ? Proposa-t-il en voyant son ami se contrôler. Il secoua la tête avant de se tourner vers la jeune femme. Elle leva les yeux vers lui, surprise de le voir faire un pas vers elle.
Elle aurait pu lui dire qu'elle pouvait se débrouiller seule pour sortir de cette maudite roulotte, mais la proximité du chef d'équipe lui manquait. Entre ça et sa fierté, le choix était vite fait. De plus, elle avait de grande chance de se ridiculiser en tombant.
Il grimpa agilement. Ses mains se posèrent sur les zones qui ne brusquerait pas l'officier avant de la soulever. Iris s'accrocha sans dire un mot, profitant de son odeur et de sa chaleur, qui lui manquait tant. Elle était presque sûre qu'ils ne retrouveraient jamais leur relation, pas après la mort d’Al. Mais un jour, Phil craquerait et laisserait ses émotions l'envahir, elle serait là pour lui.
- Merci, dit-elle quand il la posa sur son cheval. Elle s'agrippa difficilement, grimaçant. Ses mains enchaînées eurent du mal à tenir les rênes convenablement. Mais il était hors de question qu'elle tombe.
Phil ne répondit pas tirant le cheval devant lui après avoir tout de même vérifié la stabilité de la jeune femme.
Evan avait assisté à la scène de loin, il passa une main sur son visage terni par la fatigue et l'angoisse. Et dire qu'il s'était promis de ne plus s'impliquer autant dans une équipe après que la sienne ait été décimé. C'était trop tard à présent…il aimait ses sales mioches. La mort de l'un d'eux l'avait, lui aussi, marqué, mais les voir se déchirer ainsi était peut-être pire.
- C'est ce qu'y arrive dans les moments trop difficile. C'est peut-être mieux, regarde : nous avons pu avancer tous les deux, déclara Amy après avoir arrêté son cheval à sa hauteur alors qu'il entrait dans le camp.
Il haussa les épaules, regardant un groupe d'enfant admirer les chevaux en poussant des cris de joie.
- Possible... mais nous voilà à nouveau réuni. Peut-être que si notre Capitaine ne nous avait pas lâché, nous aurions continué de former un duo. Je ne vais pas les lâcher, c'est la meilleure équipe que je n'ai vu depuis dix ans. Je sais que tu es d'accord avec moi. Il faut juste espérer que le procès épargne la jeune Iris.
Amy approuva tout en affichant un sourire en coin. Elle était heureuse de voir son ami de nouveau prêt à nouer des liens sociaux avec les autres. Il avait raison, si cette équipe n'était pas soutenue, il y avait de fortes chances qu'ils deviennent aigri, alcoolique, associable et dépressif. Hors, ils avaient trop de potentiel pour laisser arriver un tel gâchis.
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