Chapitre II

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— Ça va, détends-toi, c’est sûrement Agathe qui nous joue un tour ! ricana-t-elle sans conviction, avant de pivoter vers l’étage. Hey, meuf ! c’est pas cool de nous avoir plantées !… Agathe ? T’es là-haut ?

Comme aucune réponse ne leur parvint, elle commença à monter l’escalier, collée au train par une Marion terrorisée, vraisemblablement sur le point de faire une crise d’hystérie.

— Me laisse pas toute seule, steuplaît !

— Mais vas-y, tu soûles à flipper comme ça.

Loin d’éprouver l’assurance qu’elle affichait, Lucie s’agrippa précautionneusement à la rambarde, en prenant soin de tester la résistance des marches. Certaines d’entre elles avaient cédé, rongées par les mites. S’avisant que le reste du sol à l’étage pouvait peut-être se trouver dans le même état, elle fut traversée d’une pointe d’inquiétude et prenait soin de regarder où elle mettait les pieds.

— Agathe ? Réponds ! Est-ce que tu vas bien ?

Seuls les craquements du bois vieilli par les années se laissèrent entendre. Dehors, le vent fit crisser une branche d’arbre sur une fenêtre, arrachant un cri de frayeur à Marion qui sursauta, entraînant dans son sillage sa compagne.

— Mais vas-y pourquoi tu cries comme ça sérieux, s'agaça Lucie en soupirant Agathe, fais pas ta garce, merde ! Réponds ! Ajouta-t-elle en haussant le ton vers l'étage

— Tu crois qu’il lui est arrivé quelque chose ? intervint Marion en chouinant, au bord de l’évanouissement.

Parvenue en haut, Lucie se tourna vers son amie.

— Écoute, n’en rajoute pas, OK ? Elle nous fait une blague, c’est cert…

Soudain, la voix d'Agathe retentit : Hey, les filles ! Venez voir ce que j’ai trouvé, c’est un truc de ouf

À peine un instant plus tard, elle surgit dans le couloir de l'étage, excitée comme une puce, ignorant totalement les cris d'effroi de ses amies.

— Putain, meuf, tu nous as foutu les boules sérieux, t'étais passée où ? Tu aurais pu répondre ! râla Lucie.

— On pensait que tu… que tu… tenta Marion.

— j'tavais bien dit qu’elle nous faisait marcher Ajouta Lucie.

— Hein ? De quoi vous parlez ? s'interrogea Agathe, Allez, venez !

Lucie la rattrapa par la manche.

— Attends, attends. C’était quoi, le bordel qu’on a entendu tout à l’heure ? T’as même crié. Parce que c’était toi, hein ? Évidemment que c’était toi. Lucie se crispa légèrement, l'incertitude teintant ses paroles.

— Oh, ça ! Venez voir, vous allez comprendre.

Guidé par Agathe, le trio arpenta le couloir jusqu’à atteindre un endroit où le plancher s’était effondré, formant un trou sombre et menaçant.

— C’est ça que vous avez entendu. J’ai pas fait gaffe, j’ai senti mon pied s’enfoncer, j’ai juste eu le temps de me rattraper à la poignée de cette porte.

Cette dernière était à présent ouverte et donnait sur une chambre qui, étrangement, était plutôt bien conservée par rapport au reste de la maison. Les murs de la pièce semblaient avoir été préservés, ornés d’un papier peint vintage et encore en bon état. À la vue de cette scène, le visage de Lucie exprima une certaine déception.

— C'est ça, ton truc de ouf ? demanda-t-elle avec scepticisme.

— Quoi ça déchire non ?

— Mais… vous trouvez pas que c’est bizarre ? C’est comme si… le temps s’était arrêté, ici, s'exclama Marion perplexe

Agathe adressa un sourire complice à Marion, ce qui n'avait sûrement pas échappé au regard de Lucie. Cette dernière s'avança d'un pas discret et tendit sournoisement la jambe pour la faire trébucher. Marion tomba lourdement, tête la première, sur le vieux lit recouvert de poussière qui se trouvait contre le mur du fond, se retrouvant submergée par un mélange de surprise et de honte. Son visage, rougi par l'embarras et la douleur, reflétait son désarroi au bord des larmes, elle était Incapable de se défendre, elle demeura silencieuse face au regard méprisant de Lucie, qui la surplombait d'une tête de plus. Pendant ce temps, Agathe était absorbée par ses fouilles dans une vieille commode près du lit, ignorant la scène qui se déroulait à côté d'elle.

Quand soudain l'adolescente brandit devant elle un objet qui accaparait toute son attention. Il s’agissait d’une antique planche Ouija, très bien conservée.

—Tadaaaaa Regardez ce que j’ai déniché !

— Waouh, trop bien ! s’exclama Lucie.

Marion, malgré les tourments causés par Lucie, demeurait envoûtée par l'ambiance de la chambre. Au lieu de se focaliser immédiatement sur la découverte de son amie, elle observait les environs, son regard oscillant entre méfiance et étonnement. Ce n'est qu'après un moment qu'elle tourna enfin son attention vers l'objet que tenait sa camarade, cependant elle ne put s'empêcher de poser des questions.

— C’est étrange quand même, pourquoi cette pièce est en bon état ? interrogea-t-elle.

— On s’en fout de la chambre, regarde ! lança Agathe, tout excitée.

— On dirait que quelqu’un entretient cet endroit, insista Marion.

— Oui, peut-être… On s’en fout, je viens de trouver un petit bijou là !

— Non, c’est tout sauf un bijou, c’est dangereux de jouer avec, ça s'inquiéta Marion.

— Et voilà, elle repasse en mode relou. C’est bon, ça n’existe pas réellement, les esprits, balança Lucie sur un ton condescendant.

— Si, ça existe, j’en ai déjà vu.

— Ah oui ! bhouuu… Marion a vu un fantôme !

— Arrête de la faire chier ! Moi aussi, j’y crois, j’en ai eu la preuve, répliqua Agathe en glissant la planche de Ouija dans son sac à dos.

Puis, elle sortit en échange son étrange matériel qu’elle avait mis dans son sac avant que son père fasse irruption dans sa chambre.

— Et c’est quoi, ça ? demanda Lucie.

— Ça, c’est un K2, un appareil de détection d’activité électromagnétique. Les esprits ou les phénomènes paranormaux peuvent influencer les champs électromagnétiques et cet appareil va nous aider à les repérer. Et ça, c’est une spirite box, un dispositif électronique qui scanne rapidement les fréquences radio, créant un flux continu de bruits blancs ou de sons aléatoires. Les esprits peuvent utiliser ces fréquences pour communiquer avec nous.

— Waouh t'ai calée et on peut les entendre avec ce machin ?

— Ouaip ! on essaie ?

— OK, je comprends pourquoi tu n’avais pas d’argent de poche ces derniers mois, tout est parti là-dedans !

— Ouaip… bon, tu soûles là, on tente ou tu vas continuer d’me poser des questions ?

— Non, s’il te plaît, j’ai pas envie de les appeler, dit Marion d’une voix inquiète.

— T’inquiète, on les appelle pas, ils sont déjà avec nous, ils vont simplement nous répondre.

— Ouais, allez, fais pas ta relou, balança Lucie.

— Bon… d’accord, mais pas longtemps alors.

— Oui, promis ! clôtura Agathe.

La trotteuse de la montre de la jeune fille avait eu le temps de parcourir deux fois le cadran de sa montre, soudain, le K2 qu’Agathe tenait dans sa main se mit à scintiller.

— Putain ! je crois qu’on a quelque chose, les meufs, s’exclama-t-elle, surexcitée.

— OK ! et après ? s’interrogea Lucie.

— Après, on pose des questions ! Bonjour, c'est vous qui nous avez fait signe ? demanda-t-elle d'une voix peu assurée. Vous êtes avec nous ? ajouta-t-elle.

Le K2 répondit aussitôt par un clignotement.

— Wow ! OK, et combien êtes-vous dans cette pièce ? Vous pouvez faire clignoter le K2 ? jusqu'à que le nombre tombe juste.

Après cette question, un silence s’abattit dans la pièce. La jeune fille ressentit une pointe de frustration en ne recevant plus aucune réponse. Elle ne pouvait pas s’empêcher d’être déçue.

— OK, les filles, je dois rentrer bouffer, annonça-t-elle finalement.

— Ouais, moi aussi. Ma mère va me tuer si je rentre pas à temps, clama Lucie.

— Pareil ! Mon daron va me faire une scène… On se rejoint au même endroit que tout à l’heure vers quatorze heures pour retenter de communiquer ? demanda Agathe tout en s’amusant avec le K2.

— Ça m’va.

— Et toi, Marion ?

— Je sais pas… J’aime pas trop jouer avec ces choses-là, répondit-elle d’une voix craintive.

— Allez, steuplaît, Lune, tu s’ras pas seule.

— Je sais pas ! rétorqua Marion, hésitante.

— Steuplaît ! Steuplaît ! Steuplaît ! On forme une bonne équipe, toutes les trois, non ?

— Oui, mais…

— Cool ! Allez, v’nez, on s’barre… À TOUTE, LE TAUDIS ! lança Agathe.

Les amies se séparèrent là où elles s’étaient retrouvées quelques heures auparavant. Agathe s’engagea vers son domicile, traînant des pieds, sachant que son père ne lui laisserait pas une seconde de répit. Arrivée devant la maison, elle prit sur elle et entra en claquant la porte derrière elle. La jeune fille grimpa les escaliers trois par trois pour éviter de croiser son paternel, se réfugia dans sa chambre et ferma à clé. Après avoir fait glisser son sac à dos au sol et allumé son enceinte connectée au volume le plus fort pour écouter son groupe préféré, elle s’affala sur son lit à plat ventre. Soudain, on tambourina…

— Hey ! tu ne te foutrais pas de la gueule du monde par hasard ? Éteins-moi ce bordel !

Agathe fit semblant de ne pas entendre, mais son père insista. Finalement lassée, elle se leva pour lui ouvrir. Une fois la porte déverrouillée, elle retourna se vautrer, et la musique cessa brusquement.

— Tu es obligée d’écouter ça à fond sans déconner ?

Agathe demeura silencieuse, ignorant les paroles de son père.

— Oh, je te parle !

— Quoiii ? répondit la jeune fille, exaspérée.

— Viens manger maintenant.

— J’ai pas faim !

— Je m’en fiche que tu n’aies pas faim, tu viens à table, c’est tout !

Avec une exaspération palpable, Agathe se leva d'un pas lourd et agacé, dépassant son père d'un geste brusque, elle lui infligea un coup d'épaule au passage le laissant figé, déconcerté par l'audace soudaine de sa fille. Finalement, il descendit les escaliers pour la rejoindre à l’étage inférieur où les assiettes étaient déjà disposées dans la cuisine.

— Tu étais avec Lucie et Marion ?

— Ouais ! et alors ?

— Je demande, c’est tout.

— OK…

— Au fait, j’ai retrouvé ton pendentif, tu l’avais oublié dans une de tes poches. Tiens ! s’exclama Gabriel en lui tendant le bijou. tu sais… Moi aussi, j’ai du mal à accepter que ta mère nous ait quittés, ajouta-t-il avec hésitation, mais…

— Mais quoi, hein ? Pourquoi tu ramènes ça sur le tapis ? Tu crois que j’en bave ? Elle était malade et maintenant là où elle est, elle ne souffre plus.

— Je voulais juste te dire que si tu as besoin de parler, je suis là. Et puis Aline va bientôt venir habiter à la maison avec nous, on est là pour toi.

— Ah ouais ! parlons-en de ta pétasse !

— Je ne te permets pas de parler comme ça d’elle ! Aline est gentille et attentionnée. Elle ne t’a jamais manqué de respect.

— Ouais, c’est ça ! T’as remplacé maman comme si c’était une conquête d’un soir alors que vous étiez mariés… Putain, quand je te vois rire avec ta pouffiasse, j’ai envie de gerber ! On dirait que tu n’en as plus rien à foutre de maman la preuve, tu ne portes même plus ton alliance. Tu l’as vite oubliée, alors arrête de me faire croire que tu en as quelque chose à faire.

— Ça fait huit ans maintenant, je n'ai pas oublié ta mère, mais...

— Quoi, la vie continue, c'est ça ? J'en ai rien à foutre que ça fasse huit ans. s'écria Agathe a plein poumons 

La colére d'Agathe emplirent la pièce, un hurlement de désespoir et de rage qui déchira l'air chargé de tension, vibrante comme un écho. Ses sanglots, étouffés accompagnaient le bruit assourdissant de sa chaise reculant violemment sur le sol, tandis qu'elle se levait avec une frénésie incontrôlable. Dans un geste de fureur, elle fit voler son assiette pleine de nourriture contre le mur de la cuisine, éclaboussant la pièce d'éclats de colère et de désarroi. Puis, sans un mot de plus, elle prit la direction des escaliers, les grimpant à toute vitesse, cherchant refuge dans son cocon de solitude.

Agathe prit délicatement entre ses mains le petit cadre contenant une photo d’elle avec sa mère qui reposait sur sa table de nuit. Empreinte de mélancolie, elle le fixa avec une profondeur évidente, perdant la notion du temps, tout en jouant nostalgiquement avec le pendentif en forme de croix qu’elle avait replacé autour de son cou. Un flot d’émotions la submergea, soudainement les perles qui menaçaient ses yeux finirent par se déverser en un torrent incoercible. Un sentiment d’injustice la saisit et la poussa à émettre un cri de tourment, sa tête enfouie dans son oreiller. Agathe pleura toutes les larmes de son corps, libérant sa douleur et son chagrin.



Subitement, elle ressentit comme une marée d’amour, une chaleur apaisante l’enveloppa. Une vague d’affection inonda son être et la calma progressivement, laissant place à un réconfort. La fatigue émotionnelle la gagna, et elle s’endormit finalement, portée par cette douce étreinte.

Soudain, Agathe fut arrachée de son sommeil par des vibrations, qui s’arrêtèrent aussitôt. Sa main empoigna instinctivement le smartphone posé à côté d’elle sur la table de chevet, ses doigts glissant sur le cadran avec une familiarité presque automatique. Sur l’écran fissuré de son téléphone, il était affiché dix appels manqués et six SMS. Sur le dernier, il était écrit : « T’es où ? » La panique s’empara de la jeune fille qui contacta aussitôt Lucie.

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