Chapitre 02 (suite et fin)

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Omar dépose son arme dans le râtelier près de la cabine et retourne à l’extrémité du pont arrière pour continuer à observer le zodiac qui disparaît au loin. Il est toujours perdu dans ses pensées lorsqu’un hurlement de femme s’élève de la soute signalant que son viol vient de commencer. Omar sait que ce bruit ne va pas durer. Juste le temps que la victime se rende compte que sa résistance, ses cris, ses sanglots loin d’effrayer ses agresseurs ont plutôt tendance à les exciter. Elle fera une croix sur son amour propre et tentera de survivre aux assauts de l’équipage en silence. Les gémissements suivants seront causés par la douleur. Les hommes ne veulent pas faire l’amour avec un bout de bois et lui infligent des sévices pour rendre leur coït plus intéressant. Si elle résiste jusque là, Omar ira en profiter demain. Comme le capitaine ne partage pas sa couche avec ses soldats et apprécie modérément la violence, les instants passés avec lui sont une véritable pause dans le calvaire de la femme qui souvent en redemande en retour.

— Omar ?

Il se tourne vers la voix qui l’interpelle et se rend compte que c’est celle de son bosco. Un nouveau cri déchirant se fait entendre au-dessus du ronron du moteur diesel de leur bateau.

— Je suppose qu’à l’exception du navigateur, les hommes sont dans la soute ?

— Oui Omar. Ils m’ont envoyé te parler.

Depuis quand mon bosco est-il aux ordres de l’équipage ?

— Me parler !

— Comme je l’avais prévu, ces singes n’avaient rien d’intéressant à nous donner. J’ai jeté un œil au contenu des sacs. Il est minable !

— Je sens que nous allons avoir encore une de ces discussions sur l’opportunité de détrousser des navires occidentaux.

— Tu t’attendais à quoi Omar ? Les hommes en ont marre de risquer leur vie pour quelques breloques. Ils ne se sont pas engagés pour crever la dalle sur un bateau de pêche puant en espérant tirer un trésor des poches de plus défavorisés que nous.

Et dire que cet homme est chargé du recrutement de mon équipage. C’est un tableau assez juste, mais qui m’étonne venant de lui. Depuis quand est-il capable d’un tel raisonnement ?

Un hurlement se finissant en sanglots se fait de nouveau entendre.

— Tu oublies de dire que nous avons des compensations à notre existence aventureuse. Comme celle-ci n’est-ce pas, dit-il en désignant du menton l’entrée de la soute. Et le risque pour nos vies est vraiment faible par rapport aux affaires que nous pourrions avoir à terre. Sur ce navire nous sommes à l’abri. Nous pouvons voir arriver les ennemis au loin et nous enfuir.

— C’est ça ton plan Omar ? Nous enfuir devant tous les bateaux que nous devrions au contraire attaquer.

— Par le prophète, tu n’as pas compris que la méditerranée est une mer fermée. Que toutes ses côtes sont surveillées par des gardes bien moins arrangeants que les Libyens. Et même pire. Si l’on s’en prenait, comme tu l’as suggéré la semaine dernière, les vaisseaux qui passent par le canal de Suez on se heurterait immédiatement à des hommes bien entraînés et équipés.

— Mais je suis sûr qu’on pourrait viser mieux que ces embarcations remplies de tous les traîne-savates de krèle que l’Afrique peut créer. Un autre capitaine trouverait peut-être des possibilités...

« Un autre capitaine ». Ces mots sont, pour Omar, comme un seau d’eau glacée que l’on viendrait de lui jeter à la figure. Ils signifient « danger ».

C’est une mutinerie ! Ou peut-être de la bêtise. Il ne s’est peut-être pas rendu compte de ce qu’il vient de dire. Je le laisse préciser sa pensée ?

— Tu crois qu’il faudrait demander à l’équipage d’élire un nouveau capitaine ? Mais qui pourrait prendre cette responsabilité ? Tu veux t’en charger ?

Comme si nous étions en démocratie. Bouge un peu sur la droite, que je puisse attraper mon fusil mitrailleur pour t’expliquer mon point de vue.

— Je ne sais pas Omar. Je suis loin d’être suffisamment intelligent. Peut-être qu’un nouvel arrivant pourrait trouver de bonnes idées de business ?

Le nouveau. C’est lui qui lui a retourné la tête. J’aurais dû m’en douter. Je dois être plus attentif. Mais que fait cet imbécile ?

Le bosco avait déposé son fusil sur le râtelier en bois à côté de celui d’Omar, à un pas derrière lui. A priori il semble désarmé, mais son attitude est étrange. Il tient sa main droite le long de son corps curieusement en arrière… L’entendement fait son chemin dans l’esprit d’Omar. La raison de cette posture lui glace le sang.

Il est là pour me tuer !

Son second a glissé un automatique dans sa ceinture derrière lui. Il attend le moment propice pour le dégainer et clore cette conversation avec du plomb chaud. Omar ne sait pas ce qui le retient, mais il est convaincu que s’il montre qu’il a compris ce qui se passe il risque de précipiter son exécution. Il tente de donner le change.

— Mais je suis ouvert aux suggestions. Si l’on peut trouver mieux sans augmenter les dangers, je suis prêt à en parler.

— Mais j’ai essayé d’en discuter avec toi Omar. Très souvent. Et tu ne m’as pas laissé une chance de te persuader. Le nouveau, il m’écoute et il a des idées intéressantes et je ne suis pas le seul à le penser.

C’est bien une mutinerie. Ils se sont tous mis d’accord pour m’éliminer. Je suis désarmé et je vais me faire exécuter par cet imbécile. J’aurais dû rester sur mes gardes et me rappeler la leçon donnée par…

— Tu sais Omar, si tu avais prêté attention à mes propos, ne serait-ce qu’une seule fois. Mais ta maudite fierté venue du désert. Tu t’estimes supérieur aux autres. Il n’y avait que le second, qui avait grâce à tes yeux. C’était le seul que tu considérais à peu près humainement. Je croyais qu’en prenant sa place ton attitude avec moi allait changer…

Omar suit les ballottements du bras de son bosco avec une vigilance décuplée. Il évalue ses chances de se saisir de l’arme en premier. Comment arriver à faire diversion ou anticiper le mouvement ? Il prête attention au discours de son ancien associé sentant le moment où il va dégainer son revolver se rapprocher. Il n’est pas totalement désarmé, mais ne sait pas par quel miracle il pourrait être le plus rapide.

— Si seulement tu m’avais écouté ne serait-ce qu’une unique fois répète le bosco. Les choses auraient été différentes, mais…

La conversation est de nouveau interrompue par un cri qui ne signifie plus un refus, mais plutôt une agonie. Le nouveau semble avoir déjà fini de s’amuser avec sa victime. Le bosco cesse brusquement son monologue pour afficher le visage désappointé d’un homme qui se rend compte qu’il ne pourra pas se soulager sexuellement. Omar profite de cet instant de flottement pour faire apparaître le couteau qu’il porte sur lui et le planter dans le cou de son opposant. Le bosco lève ses mains vers sa gorge avec un regard exorbité pour tenter d’en retirer la lame. Il s’efforce d’appeler des secours, mais seul du sang sort de sa bouche. Le capitaine exploite ce moment pour contourner l’homme et se saisir de son arme lorsqu’un coup de feu est tiré au-dessus de lui. L’individu qui tient la barre située en haut de la cabine essaie de l’abattre, mais le manque. Omar a plus de chance quand il réplique et le touche à la tête.

Merde, merde, merde, il faut que je m’échappe de ce guêpier !

Omar arrache le couteau de la gorge de son ancien associé. Un flot d’hémoglobine jaillit de la blessure tandis que l’homme s’affaisse sur lui même. Il se précipite vers l’arrière du navire et saute sur la chaloupe attachée à sa suite. Il coupe la corde pour libérer son embarcation et se tourne vers l’emplacement du moteur pour se rendre compte qu’il est vide. En effet pour éviter que les membres d’équipage ne s’éclipsent pour aller à terre lorsqu’ils sont proches des côtes Omar l’avait fait démonté pour le ranger dans la soute.

Il arrache l’assise d’un des deux bancs de nage et tente de l’utiliser comme rame pour s’éloigner de ses ennemis. C’est à ce moment-là que les premières rafales de Kalachnikov commencent à fuser de toute part pour soulever des gerbes liquides près de son canot. Il pagaye frénétiquement pour essayer d’échapper à ses agresseurs. Hors d’haleine il reprend son souffle et sent deux impacts dans son dos. Il est blessé.

Il tente de répliquer avec son pistolet. Après deux détonations la douleur qui le saisit le tétanise et il lâche l’arme qui s’enfonce dans l’eau.

Il s’efforce à nouveau de ramer, mais terrassé la souffrance, il s’évanouit sous les rafales de fusils mitrailleurs et les éclats de bois qui volent.

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