Chapitre 3 : De « souillon » à pognons.
Xena se leva comme chaque matin aux baraquements de l'Elfariat. Bon, ça ressemblait beaucoup à une caserne et bien plus à un ensemble de petites maisonnettes collées ensemble. L'important, ce n'est pas la tronche des bâtiments, mais plutôt de ses résidents. Les elfes rangers, malgré les difficultés posées par la hiérarchie, continuaient leurs diverses missions. Le crime, lui, ne s'arrêtait pas aussi facilement. Les elfes rangers se démultipliaient pour veiller sur tous les fronts.
C'était bien d'être actifs sur le terrain. Cependant, certaines missions très spéciales s'étaient perdues sur les bureaux des rangers. Enfin surtout un : celui de Xena. Surprenant comme idée, que de demander de l'aide à la personne considérée comme la plus autoritaire, et la plus brutale de l'Elfariat. Pourtant, c'est bien elle qui était appelée à la rescousse. Et le plus étonnant restait l'identité de l'expéditeur. Madame de Trémaine, la belle-mère de Cendrillon en personne, rien que ça.
Madame de Trémaine demandait de l'aide à propos de sa belle-fille qui lui posait des problèmes. Là, il y avait vraiment de quoi faire bondir tout individu qui connaissait la marâtre. Elle si solide, si forte, si sévère, se faisait marcher dessus. Xena reclassa ses affaires en cours comme « temporairement suspendues » pour s'occuper de celle-ci en priorité. Cela, en langage simplifié, voulait dire « tout lâcher et se barrer en douce » pour gérer ce cas, puisqu'il était à la limite de sa juridiction.
Donc, au cours d'une patrouille, elle se mit à vomir ses tripes, et se fit porter pâle. Avoir des tavernains qui lui devaient des services, c'était une bonne chose parfois. Surtout quand ça permet de se prendre une grosse cuite, rapidement, ni vu ni connu. Et la voilà qui par à cheval en direction du manoir de Madame de Trémaine. Le canasson fonça avec célérité, et en un rien de temps, l'elfe ranger était arrivée sur les lieux.
Xena enfonça comme une sauvage la porte du manoir de Madame de Trémaine. Ce qu'elle y découvrit n'avait rien à voir avec la situation décrite dans la lettre. Les filles de la bourgeoise s'engueulaient comme à leur habitude. Cendrillon, couverte de crasse, astiquait frénétiquement le sol comme à son habitude. Tout semblait normal, sauf Madame de Trémaine. Alors pourquoi ces tremblements et ce regard terrifié. L'elfe avait beau y réfléchir, elle n'arrivait pas à en trouver la cause. Mais puisqu'elle était là, elle n'allait pas repartir sans une fouille approfondie des lieux. Enfin, ça, c'était sur le papier.
- On ne bouge plus ! Les mains en l'air, l'elfe !
- Bordel, c'est quoi ces conneries !
- Agents Angèle et Greta !
- Et merde ! Putain de féedérots !
Et ouais, les féedérots, c'est ceux qui avaient juridiction sur toute la région, là où celle ne concernait que la forêt enchantée. Puis, eux, ils dépendaient avant tout du préfet, alors que Xena, c'était le Maire local. Et les féedérots, c'est le genre de flics qu'on ne peut pas rater, surtout ces deux-là. Le type de fée à taille humaine. Angèle, la fée blonde à lunette de soleil, et Gretta la fée aux nattes brunes, toutes deux vêtues de costards et pantalons noirs, laissant tout même ressortir leurs ailes ainsi que leurs plaques d'agents à la ceinture.
Xena ne les avait jamais aimés, surtout ces deux-là, auxquelles la ranger avait déjà eu à faire à plusieurs reprises. Elle ne comptait plus le nombre de fois où elles lui avaient chipé une enquête, sous prétexte qu'elle était hors de sa juridiction, pour manque de preuves, ou encore par souci de « violence » de sa part. Bon y'avait du vrai dans leurs arguments, même beaucoup. Mais c'était pas une raison pour autant de venir l'emmerder.
La ranger aurait pu leur botter le cul à toutes les deux. Et franchement ça la démangeait grandement de le faire. Mais, elle savait qu'elle allait s'en prendre plein la tronche, enfin juridiquement. Elle ne souhaitait pas recevoir une sanction, voir une suspension pour ces deux-là : elles n'en valaient pas la peine, sauf si y'avait pas de témoin. Elle les accompagna donc dehors, sans faire d'histoire.
- Bon, maintenant, qu'est-ce qu'elles me veulent les deux lucioles de mes fesses?
- Les lucioles t'emmerdent, la bouffeuse de salade ! Répliqua Greta.
- Allons, un peu de calmes mesdames, intervint Angèle. Ne voulez-vous pas discuter paisiblement ?
- Jamais avec la racaille !
- C'est toi la racaille, ranger ! C'est toi qui es en dehors de ta juridiction !
- Je suis à la limite, mais j'y suis encore, alors toi et ta blondinette de collègue, vous allez me foutre le camp de mon enquête !
- Ton enquête ? Les seuls crimes que j'ai vus ici, c'est ta tronche et tes mauvaises manières ! Cracha Greta.
- C'est dit de façon grossière, mais ma collègue a raison. Ajouta calme Angèle. À l'heure actuelle, c'est sur vous qu'on risque d'enquêter pour cette porte défoncée sans motif valable. Avez-vous au moins un mandat ?
- Ouais, tenez, le voilà ! Répliqua Xena en faisant un doigt d'honneur aux féedérots.
Et ouais ! Elles ne l'avaient pas vu venir, celle-là, les fées en noir ! Xena avait choisi de ne pas leur démonter la tronche. Rien ne l'empêchait de les envoyer bouler. Cela n'arrangea pas vraiment les choses, puisque ni une ni deux, l'elfe ranger se fit embarquer aux locaux des féedérots pour s'y faire interroger. Là, quand on voyait leurs bureaux, le favoritisme sauter clairement aux yeux. Bien bétonné, belle peintures, des colonnes et un fronton gravé à l'entrée, avec des sculptures de marbre.
Angèle et Greta emmenèrent directement la ranger en salle d'interrogatoire, n'osant pas trop la garder dans les locaux, celle-ci n'était pas menottée. Xena, s'étant rendue d'elle-même, les féedérots n'avaient pas tenté l'aventure de lui passer des entraves, de peur des représailles. Bon par contre, nous nous excuserons auprès des lecteurs pour la scène suivante, car les deux fées, protocole obligatoire, durement quand même fouiller la ranger. Elle n'avait rien sur elle, Xena, sauf dans sa besace magique. Les agents sortirent donc une tarte, puis une tarte, et encore une tarte...
La fouille aurait pu durer des heures, mais les féedérots eurent le bon sens de s'arrêter à la quatrième tarte. Puis, arriva l'infamie : Greta et Angèle eurent le culot de proposer un marcher à Xena. Si elle avouait les raisons de sa présence chez Madame de Trémaine, elles la laisseraient partir sans la moindre sanction. Elles ne rédigeraient même pas de procès-verbal, et aucune trace de l'interrogatoire. Malgré l'insulte, Xena prit le temps de la réflexion. Plus vite elle serait sortie des bureaux des féedérots, plus vite elle pourrait retourner à ses affaires. Elle prenait également en compte le fait que, malgré son aversion pour elles, les deux fées étaient dans le même camp qu'elle : la loi, et l'ordre.
L'elfe ranger se décida donc à tout déballer, mais le regretta assez vite. Non pas qu'en l'entendant, les deux fées furent tentées de revenir sur leur parole, mais plutôt qu'elles la regardèrent en haussant les sourcils. Bref, elles ne prenaient clairement pas Xena au sérieux. Ce qui eut le don d'énerver l'elfe.
- Bon, si vous avez fini de vous foutre de ma gueule, vous allez me laisser partir, et arrêter de me les briser.
- Parce que y'a quelque chose à briser ? Répliqua Greta.
- Elle veut une tarte dans la gueule, la luciole ?
- Et tu comptes la sortir d'où ? De ton cul ? C'est nous qui les avons, tes tartes.
- Je peux toujours t'en coller une au sens figuré.
- Allons, pourriez-vous arrêter ces enfantillages ? Quant à vous, ranger, à votre place je laisserais tomber cette histoire. Cela m'a tout l'air d'un canular.
- Et la belle-mère terrorisée ? C'est juste pour se rendre intéressante ?
- Allez savoir. En tout cas, s'il se passait vraiment quelque chose de grave, c'est à nous que la missive aurait été envoyée, pas aux rangers, encore moins à vous et vos... Méthodes discutables.
Xena était sur le point d'incendier les fées, de leur botter les fesses, leur éclater les dents et leur faire bouffer une par une. Mais elle se retint, préférant faire une sortie en douceur et récupérer ses effets personnels. Elle allait se venger en faisant passer le duo de luciole, pour un duo de luciole débile et inutile. Pour ça, il lui fallait juste retourner chez Madame de Trémaine, et trouver la, ou les preuves de sa théorie. Sauf que ça n'allait pas être possible, enfin pas de façon légale et courtoise. Pas après ce qui s'était passé. Puis, pour sûr que les deux autres allaient l'avoir à l'œil si elle faisait mine de vouloir s'approcher du manoir.
L'intelligence elfique de la ranger l'emmena vers un lac proche de la demeure en question. Comme elle s'y attendait, les deux féedérots la suivaient à distance. Soit, si elles tenaient tant que ça à la surveiller, elles en auraient pour leur argent. Elles allaient pouvoir se rincer l'œil tandis que Xena se déshabilla pour aller faire un gros plouf. Et c'est ce qu'elles firent, en tout bien tout honneur. Elles regardèrent l'elfe barboter pendant plusieurs heures avant de se lasser, et enfin lui foutre la paix. Lorsque les féedérots quittèrent les lieux, Xena resta quelque temps à sécher sur la berge, surtout pour s'assurer que Greta et Angèle ne reviendraient pas.
C'est seulement au couché du soleil que la ranger se remit en mouvement. Elle retourna au manoir de Madame de Trémaine, en mode infiltration. Xena rampait sur le sol, une corde créée à base de plante autour de l'épaule, et s'arrêta devant le mur Est du bâtiment. Elle lança son lien rde tel un lasso, et parvint à lui faire entourer la cheminée. L'elfe entama son ascension du manoir jusqu'au toit. Une fois en haut, elle attendit que la nuit soit totale, et que les résidents s'en aillent dormir. Xena descendit par la cheminée.
Elle commença à fouiller « discrètement » mettant les doigts partout, ouvrant tout les tiroirs de chaque pièce. Mais rien, pas le moindre papier, document, objet pouvant justifier la situation. Cependant, elle n'avait pas perdu sa nuit, car elle avait laissé tellement de traces de suie sur son passage, qu'elle avait donné du travail à Cendrillon. Elle se cacha à l'arrivée des résidentes du manoir, et observa. Madame de Trémaine fut horrifiée par ce qu'elle vu et, chose improbable, c'est elle qui se saisit d'une brosse et d'un chiffon pour nettoyer, avant de se faire interpeller par une Cendrillon bien mieux vêtue que la veille.
- Ne touchez pas à ça, Madame !
- Mais il faut bien que je nettoie...
- Pas maintenant ! La police féérique va sûrement vouloir examiner les lieux, et les traces !
- Vous les avez prévenus ?
- J'ai l'air d'être prête à les recevoir ? Contentez-vous de préparer le repas et du vin pour trois !
- Trois ?
- Bien sûr, comme si vous alliez avoir le temps de manger et boire avec nous. Une fois la police repartie, il va bien falloir que quelqu'un nettoie tout ça.
Et voilà la belle-mère obligée d'enfiler un tablier, pendant que Cendrillon s'en va remettre sa tenue « d'esclave ». Au moins, Xena avait désormais une partie de la réponse : l'explication du comportement de Madame de Trémaine. Il ne manquait plus qu'à comprendre le mobile de Cendrillon pour agir ainsi, puisque la maltraitance n'était pas, ou plus, d'actualité quand on la voyait cheffe de maison. C'est alors que revint Cendrillon, accompagnée de ses belles-sœurs Anastasie et Dorothée. Les trois semblaient plus qu'en bon terme, elles qui étaient réputées pour se disputer pour un oui ou un non.
Malgré cette « soudaine » complicité, Cendrillon restait manifestement la tête pensante et dirigeante de la maison. Elle n'avait aucun problème à faire faire ses quatre volontés à ses sœurs, celles-ci s'exécutant sans broncher. Puis, arrivèrent les féedérots. Mais là où Xena aurait pu y voir une grosse difficulté en la présence d'Angèle et Greta. Cependant, elle hérita d'une aide providentielle, car ce furent deux de leurs collègues qui se présentèrent. Les agents Meuledor et Pourry. Ceux-là aussi, la ranger les connaissait bien : avec eux, la vérité était toujours ailleurs, mais rarement là où on en avait besoin. Même Cendrillon tirait la tronche. Comme quoi, leur réputation n'était plus à faire.
- Regarde, Meuledor ! Des traces noires, sans doute des créatures charboniques venues d'ailleurs !
- Tu as raison Pourry ! Et l'absence de Madame de Trémaine ! Sans doute enlevée par ces mêmes visiteurs !
- Mais de quoi est-ce que vous parlez, vous deux ?
- Comme l'a dit Meuledor, des visiteurs venus d'ailleurs !
- Tout à fait Pourry ! Ils sont sûrement passés par la cheminée. Regarde ! Il y a même une corde qui dépasse !
- Quoi ? Les coupa Cendrillon.
La demoiselle s'empressa de vérifier l'information, et oui, il y avait bien une corde. Sauf qu'il fallait vraiment être aveugle, ou très con, pour ne pas remarquer qu'elle était faite en matière végétale bien locale. Mais voilà, pour Meuledor et Pourry, la vérité n'était jamais celle devant leurs yeux. Cendrillon, elle, n'était pas aussi bête.
- Vous comptez fouiller le manoir, chercher l'intrus, ou vous allez continuer votre délire ?
- Mais on enquête, n'est-ce pas Pourry ? On a déjà résolu le mystère de la disparition de Madame de Trémaine.
- Vous n'avez rien du tout ! Elle est toujours au manoir !
- Pourtant, nous ne la voyons pas avec Meuledor ! Donc c'est qu'elle a disparu !
Devant tant de médiocrité... Non, devant tant de stupidité et d'incompétence, Cendrillon dû faire venir sa belle-mère qui, tout en tremblant de peur, déballa le discours préparé par sa belle-fille. En tout cas, cela arrangeait bien les affaires de Xena. Les deux féedérots repartirent, et Madame de Trémaine se mit à briquer le manoir de fond en comble. Pendant ce temps-là, les trois demoiselles de la maison festoyèrent en se moquant de la pauvre marâtre. Xena était persuadée de ne rien pouvoir apprendre de plus aujourd'hui, jusqu'à ce que le carillon de la porte d'entrée ne retentisse.
La ranger suivit le mouvement, discrètement, et pu voir de ses propres yeux l'identité des visiteurs, qui étaient en fait des visiteuses : les princesses Raiponce et Blanche Neige. Là, il y avait vraiment de quoi se poser des questions. Si tout ce petit monde était de mèche, alors l'affaire était bien plus grave que prévu. Xena aurait sûrement besoin de soutient, mais qui irait la croire sans preuve, et l'aiderait, elle ?
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