Chapitre 4.

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L’Iphone vibra à huit heures et deux minutes. Les heures piles avaient toujours stressé Marguerite. Elle ouvrit les yeux, fixa le plafond immaculé de sa chambre et une impulsion irrépressible de changer de vie la saisit. Une envie de tout plaquer. Et de tout recommencer à zéro.

Malgré tout, elle avait eu une nuit réparatrice. Le Dormonyl avait fait son travail.

Victor n’était plus dans le lit. Il devait être surement déjà en bas, lavé, coiffé, habillé, motivé à entamer une nouvelle journée.

Pourtant, là, dans l’immédiat, elle ne pouvait pas se résoudre à aller bosser. C’était impossible. Une force invisible semblait l’avoir entièrement figée. Elle l’empêchait, par tous les moyens, d’émettre la moindre volonté pour actionner toute la mécanique nécessaire pour partir au bureau.

Elle attrapa son iPhone, dont l’alarme venait de retentir pour la troisième fois, et envoya un SMS pour prévenir qu’elle ne serait pas présente cette semaine. Elle avait hésité entre un jour ou deux, mais il était temps qu’elle pense enfin à elle-même. Elle avait toujours agi en fonction des autres, de leurs besoins et de leurs intérêts. Il était temps d’arrêter de s’en soucier.

Elle décida finalement de traîner un peu plus longtemps au lit. Elle appela Camille pour lui demander de s’occuper de sa petite soeur. Camille, rechignant à moitié, accepta, consciente que sa mère n’était pas dans son meilleur jour.

Une fois les enfants prêts, ils passèrent une tête dans sa chambre en lançant « On y va » avant de disparaître.

Les bruits familiers de la vie de maison firent place à un silence absolu. Elle ressentit un calme monastique. Mais c’était également le signal qu’il était temps de sortir du lit. Toujours en nuisette, elle descendit à la cuisine se préparer un Nespresso. Elle choisit Vanille. Elle avait envie d’un peu de douceur et de réconfort dans ce monde de brutes. Pendant que le café coulait dans sa tasse Gien dans un bruit assez assourdissant - il était temps de changer de machine, pensa-t-elle - , elle attrapa son téléphone et pianota le nom de son amie d’enfance.

« Allo, Sienna « 

- Hé Marguerite, comment vas tu, mon amour? répondit la voix familière de sa meilleure amie depuis plus de trente ans, Sienna Rossi. Elle avait quarante-cinq ans et vivait à Saint-Germain-en-Laye avec son mari et deux enfants. D'origine italo-française, elle était une femme passionnée et extravertie, dotée d’un fort caractère qu’elle avait dû garder en héritage du Sud. Avec un parcours en histoire de l'art et un MBA, elle avait ouvert une petite galerie Rue Poussin dans le 16ème arrondissement, dans un quartier qu’elle adorait non loin de la porte d’Auteuil et de Rolland Garros. En plus d’être une confidente, elle était toujours un soutien indéfectible pour Marguerite.

Marguerite lui raconta toute son histoire de la veille tandis que Sienna écouta attentivement. Acquiesçant parfois d’un « D’accord », ou demandant davantage de précisions.

- Tu sais ce que tu devrais faire?, lança Sienna enfin dans un ton décidé, « C’est de te changer les idées, Marguerite. Tu devrais t’inscrire sur un site de rencontres. Si Victor ne te donne plus ce que tu mérites, tu devrais penser à toi »

Marguerite haussa les sourcils, surprise.

- T’es folle, Sienna. Ce n’est absolument mon genre. Tromper mon mari, jamais de la vie.

- Avant de le tromper, il peut se passer beaucoup de choses, répondit Sienna calmement. Mais déjà, rencontrer quelqu’un d’autre, échanger, te sortir de ton quotidien. Je ne te dis pas de coucher avec le premier venu. Je te dis juste « change-toi les idées ».

- Ok, et je fais comment? Je vais où?

- Il y a cette application Ashley Madison, expliqua Sienna. Tu te connectes. Je pourrais t’expliquer.

- Attends une minute, tu l’as déjà utilisé? Tu as trompé Roman? demanda Marguerite, abasourdie.

- Ecoute, cela m’arrive parfois. Juste histoire de m’amuser. Je ne cherche rien d’autres qu’un petit moment à moi. Si cela permet de maintenir l’équilibre de mon couple sur la durée, où est le mal?.

Marguerite ne peut s’empêcher de rire nerveusement « Petite cachotière, tu ne m’en as jamais parlé. »

- Parce que tu ne me l’as jamais demandé. Répondit Sienna avec un sourire dans la voix.

- Mais tu as déjà couché avec d’autres d’hommes?

- Oui, cela m’est arrivé. Mais tu vois, c’est juste pour ressentir des émotions oubliées, celles que nous avions lorsque nous étions ados: la palpitation des échanges, l’adrénaline de la séduction, le coup de chaleur de la première rencontre, le lâcher-prise de la baise sans conséquence du lendemain. C’est une concentration d’émotions primaires sans aucune conséquence, car une fois, la baise consommée, c’est fini. Je suis allée au bout du truc, et je passe au suivant.

Marguerite resta silencieuse un instant, interloquée par les révélations de son amie.

- T’es dingue. Mais j’aurais jamais pensé ça de toi. Ton couple, toi, Roman, tes enfants…

- Ecoute, c’est justement parce que tout va bien avec Roman que cela n’a aucune conséquence, rétorqua Sienna avec assurance. Je l’aime, j’aime notre famille, nos projets, ce que nous avons construit, mais voilà, parfois il me faut juste un petit frisson pour rompre la monotonie. Un scintillement dans notre quotidien.

- Ok.. tu piques ma curiosité, admit Marguerite. Je vais peut-être jeter un coup d’oeil.

Sienna éclata de rire. « Méfies-toi! »Dit-elle malicieusement. « Mais oui, tu me diras si tu touches au grand méchant loup »

- Ouais, t’emballes pas non plus. Je t’embrasse, conclut Marguerite, un sourire en coin.

- Bisous, ma belle, répondit Sienna avant de raccrocher.

Marguerite réfléchit à ce que venait luire dire Sienna, en remontant les marches. Allongée dans sin lit, elle essayait de remettre de l’ordre dans ses pensées.

Tromper Victor n’était pas dans ses valeurs mais Sienna avait marqué un point. Penser à un autre homme n’était pas vraiment tromper. S’inscrire sur un site de rencontres n’était pas vraiment tromper. Echanger n’était pas vraiment tromper. Pas vraiment, n’est ce pas? Pourtant, au fond d’elle, Marguerite se demandait à quel point elle se mentait pour justifier tout cela. Jusqu’à présent, elle n’avait couché avec personne et elle se disait qu’elle aurait bien le temps de faire marche arrière ou choisir de ne pas aller plus loin. Tout ce qu’elle devait faire, c’était de déterminer où se trouvait sa limite à ne pas franchir.

Elle saisit son iPhone, ouvrit l’Appstore et pianota rapidement « Ashley Madison ». Elle regarda l’application. Le logo était tout noir, avec juste une ligne blanche en bas. Elle hésita pendant une bonne dizaine de minutes, tiraillée entre une excitation certaine et une culpabilité sentie.

« Allez vas-y, Marguerite ». Elle appuya sur le bouton « Obtenir ». Son coeur battait à toute allure. Elle n’aurait jamais imaginé pu ressentir cette sensation en téléchargeant une simple application. Elle se sentait comme une petite fille prise en flagrant délit dans le portefeuille de ses parents. Ce n’était pas encore la ménopause, mais elle ressentait des bouffées de chaleur.

Une fois l’application installée, elle procéda à son enregistrement.

Pseudo. FleurSurSeine. Fleur92989480932. Elle trouva « Fleursurseine » jolie.

Age: Elle tricha. Elle indiqua trois de moins, 42 ans.

Description du profil: Elle buta. Elle indiqua simplement en cours de construction.

Préférence sexuelle. Elle n’en avait aucune idée. Elle saisit «  Je le garde pour moi »

Elle devait uploader aussi une photo pour son album privé.

Elle chercha dans son téléphone, Elle n’avait pas de photos d’elle. En fait, elle ne s’était jamais pris en selfie. Pour l’envoyer à qui?

Elle se dirigea dans la salle de bain et commença son shooting. Elle dut s’y prendre à vingt reprises avant de se dire qu’elle avait enfin d’une photo correcte. Elle se trouvait jolie, mais elle ne s’aimait pas spécialement sur ces photos. Elle ajouta quelques filtres. Elle se dit qu’elle aurait plus dû écouter sa fille sur ses conseils Girly.

Une fois, l’inscription finalisée, elle descendit à la cuisine se prendre un verre d’eau.

Elle remonta et repris son téléphone: « Quoi, vingt-quatre messages? » Mais c’est quoi ce supermarché? »

Elle ouvrit quelques messages: « Coucou ça va? » «  Tu veux ken? »

Ridicule. Les messages étaient soient d’une extrême banalité, soient d’une affligeante obscénité.

Scrollant ses messages, un message attira son attention.

« Il paraît que le papillon n'a qu'une seule journée pour vivre pleinement sa métamorphose, mais moi, je crois que certaines rencontres peuvent transformer bien plus qu'une seule journée. Je suis l'Amant aux Papillons, et si tu me laisses entrer dans ton univers, je t'inviterai à voler avec moi, là où la routine n'existe pas. Oseras-tu explorer cette transformation avec moi ? »

Il était intrigant. Poli. Bienveillant.

Son pseudo indiqua « lamantauxpapillons ». Elle y vit un signe.

Elle répondit immédiatement « Coucou, merci beaucoup pour ce charmant message qui me rappelle un livre lu dans ma jeunesse »

Elle attendit, pleine de palpitations une réponse à ce message. Soudain une notification apparut. Elle glissa vers la messagerie et cliqua sur la réponse.

« Ravi de voir que mon message a résonné en toi. …et oui L'Amant de Marguerite Duras… un classique envoûtant, tout comme l’idée d’une expérience interdite qui transcende.

- Exact, répondit-elle rapidement. Trop rapidement. Pourquoi avait-elle écrit ça?

Elle avait l’impression de venir d’approuver quelque chose qu’elle n’était pas certaine de vouloir. Calme-toi, Marguerite. Ils continuèrent leurs échanges de tout et de rien. Le coeur de Marguerite palpitait à chaque nouveau message. A chaque mot. Puis il lui envoya encore un message.

« Veux-tu prendre un verre avec moi? »

Marguerite ressentit un coup de chaleur.

Il lui proposait de se rencontrer. Le virtuel était en train de devenir réel. Et avec cela une décision à prendre. Cela était en train de tout changer.

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