II. ɢᴏʟᴅᴇɴ ᴇᴠᴇɴɪɴɢ

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La porte s'ouvrit sur un espace moderne et minimaliste équipé des dernières technologies. Il y avait des murs en marbre neutre, un bureau isolé dans un coin où y était déposé un PC portable, des rideaux gris épais, un lit soigneusement recouvert de draps, un mini frigo, ainsi qu'une salle de bain aux couleurs ternes parfaitement unifiées avec la chambre. Tout ce qui fallait pour y vivre confortablement.

Le professeur déposa les valises et, d'un soupir libérateur, il s'étira l'épaule ainsi que les bras pour les soulager de leurs efforts.

— Et voilà. Je te laisse t'installer et te faire à ton nouvel environnement, s'il y a le moindre problème n'hésite pas à le signaler. Dit-il en relâchant un bâillement.

— Oui, merci. Lui répondis-je, sans plus de politesse.

Cette réponse marqua, pour moi, la fin de cette discussion. Seulement au lieu de partir comme bon nombre l'aurai fait, c'est avec le visage contracté, et les manches retrousser sur ses avant-bras qu'il s'attarda de nouveau sur mon visage — toujours avec ce même air détaché que dans le bureau de Mr.Shredinger.

Il est amoureux de moi ou quoi ?

Je l'appelai pour tenter de le faire revenir à lui. Après la 5e tentative où j'avais pratiquement dû crier, le professeur de philosophie se gratta la nuque avant de se confondre, à nouveau, en excuses pour son attitude déplacée.

Le drôle d'homme tourna les talons, un peu penaud, il s'arrêta subitement sur le pas de la porte et me fit face :

— Au fait, on se fait un billard avec des étudiants. Ça te dit ?

Je fronçai les sourcils un peu décontenancés, les enseignants avaient-ils le droit de proposer ce genre de choses à leurs élèves ?

— Tu as le droit de refuser. Me rassura-t-il en passant une main dans ses cheveux gras.

— Avez-vous le droit de proposer ce genre de chose à une étudiante monsieur ?

— Bien sûr, affirma le professeur plein d'assurance, dans cette université les professeurs peuvent facilement sympathiser avec les étudiants. Tant que cela reste à la limite du raisonnable évidemment. À Oxford, la hiérarchie entre élèves et professeurs n'est pas marquée. Ça permet d'installer un climat de confiance entre nous et les étudiants qui pourront plus facilement se confier en cas de problème ou pour des interrogations.

— Je vois, ce n'était pas comme ça en France.

En France, c'était à peine si l'on connaissait le nom de l'enseignant. Ils ne s'intéressaient pas à nous, et réciproquement, cela ne me dérangeait pas plus que ça. Je me contentais d'écouter et d'écrire machinalement le cours, sans vraiment participer et sans grand intérêt non plus. Les enseignants, quant à eux, recrachaient le programme, sans aucune passion, ni âme, de 8 h jusqu'à tard le soir.

J'avais franchement eu du mal avec ce système qui refrénait ma créativité. Mes années, passées à l'école, étaient de loin les pires de ma vie. L'impression constante de perdre un temps fou chaque jour, me comprimais la gorge accompagnée par une frustration lancinante. J'aurai pu consacrer tout ce temps à mes passions. Le seul avantage étant que l'école servait de césure entre ma famille et moi.

— Comme partout ailleurs, mais tu t'y feras vite. Il marqua une pause. Et au sujet de ma proposition ?

— Désolé, je refuse. Je veux me reposer. Répondis-je presque instantanément.

— Très bien, c'est comme tu veux. Mais si jamais tu changes d'avis, je serai au living-room du troisième étage. Attention, il y en a plusieurs. Si tu es perdu, demande à un membre du personnel de t'indiquer une porte où il y a un heurtoir d'aigle accroché. Tu précises bien que c'est Mr.Trotsen qui t'a invité. D'accord ?

J'acquiesçai en guise de réponse ce qui le satisfait visiblement. Il partit après m'avoir adressé un fin sourire que je ne rendis pas, non par méchanceté, mais par manque de confiance. Un soupir de soulagement se dégageait de mes lèvres lorsque la porte fut clenché — j'étais enfin seul.

Je longeai la pièce plus en détail, un grand sentiment de vide me gagnait. Moi qui m'étais enfin émancipé du fardeau de mon foyer familial, je n'en tirai aucune source de satisfaction. Cette promesse, pour laquelle je m'étais inscrite dans cette école et pour laquelle je me trouvais en ces lieux n'était-elle alors qu'un fantasme ? J'angoissai à cette idée. « Dans cette école, tu trouveras le chemin qui t'élèvera... » M'avait-il assuré alors que nous contemplions le crépuscule. Repenser à ces paroles m'apaisait.

Je déposai une main légère sur ma montre à gousset, soigneusement gardé à l'intérieur d'une valise. Le cheminement de ces aiguilles avait le don de m'aider à me recentrer. La grande aiguille était posée sur le huit tandis que la plus petite était, elle, était plus proche du onze. Il était 22 h 45, et pour me changer les idées, je décida de prendre ma douche.

L'eau limpide me purifia de la sueur et détendit mes muscles oppressés par tous ses efforts. Je me saisis du gel douche qui se trouvait sur le support, et frotta la substance sur mon corps à l'aide d'un grattoir, une bonne odeur de cannelle s'en dégageait. Ensuite, j'appliqua mon shampoing en Kératine sur mon cuir chevelu en prenant soin de bien le masser avant de le rincer. Mes cheveux étaient devenus plus doux et plus malléable.

Prendre soin de mes cheveux était une étape qui me procurait une immense satisfaction, même s'ils pouvaient parfois être fatigants à entretenir. C'était une routine que je ne négligeais jamais, un rendez-vous quotidien dont je prenais plaisir à honorer. Mes cheveux symbolisaient mon appartenance à mes racines, un lien que j'avais trop souvent tendance à oublier en vivant en Occident. Bien qu'ils aient souvent été catégorisés comme "laids", je les trouvais d'une beauté renversante, avec leurs textures si particulières et uniques.

Grâce à mes soins et mon assiduité, mes cheveux possédaient une longueur jamais atteinte par les membres de ma famille. Je n'échappa donc pas aux remarques teintées d'aigreur des femmes de ma famille, comme « c'est grâce à la génétique ».

Un jour, ma patience avait battu son plein. J'avais répondu d'un calme olympien, intériorisant ma fureur ce qui donna plus d'impact à ma réplique : « Commencez par enlever vos tresses qui sont abîmées depuis neuf mois. Laissez vos cheveux respirer pardon. Après, vous vous étonnez de devenir chauves ? »

Cela m'avait valu une rafale de juron, et voir le déchaînement de leurs rages était étrangement jouissif. Après l'intervention des hommes, la tension s'était apaisée. Peu après, elles s'étaient mise à cracher sur mon dos, rien de nouveau, mais elles avaient atteint un stade plus avancé. Je n'en prenais pas compte, et passais mon temps à arborer fièrement mon afro durement acquis. Je jouai même de leurs mépris en les provoquant, secouant mes cheveux comme un mannequin lorsqu'elles passaient, avec un petit clin d'œil en prime. Elles m'adressaient toutes un regard empli de dédain avant de vaquer à leurs occupations.

Je sortis de la douche libérant la vapeur contenu, je séchai mon corps et emprisonnai mes cheveux humides d'une serviette.

Un peignoir était accroché au portemanteau mural. Je le contemplai, presque comme une pièce de collection. Étant issu d'une famille modeste vivant en banlieue, on ne pouvait se permettre ce genre de luxe. Je n'avais vu un peignoir que dans les films, généralement porté par les familles américaine de classe moyenne ou haute.

J'enfilai le peignoir, appréciant le tissu doux et confortable. Je m'amusa à caricaturer les bourgeois avec un verre de vin imaginaire dans la main, devant le miroir, en prenant un air hautain :

— Josiane ! JOSIANE ! M'écriais-je de manière exagérée. Que faites-vous donc enfin ?! Je vous somme de m'apporter un autre verre de vin au plus vite ! Oh les gueux, je vous jure !

Après plusieurs minutes consacrées à ma pièce de théâtre, je leva le rideau.

Une idée me venu en tête aussi soudaine et brillante que le flash d'un appareil photo : mettre de la musique. Une chose qui m'était pratiquement impossible chez moi sans me prendre une remarque désobligeante.

Mon tourne-disque préparé, je l'actionnai, et les sonorités d'un saxophone retentirent dans la pièce ce qui me stimula gaiement. Je me mis à chanter « Hit the road Jack » de Ray Charles, chaque note de ce son faisait bouger mon corps en rythme, mes cordes vocales accompagnait cette symphonie : « HIT THE ROAD JACK !!! »

On toqua à ma porte, le son brusque me fit sursauter. J'éteignis mon tourne-disque et à travers le judas, j'aperçus une fille blonde qui n'avait pas l'air d'être là pour me souhaiter la bienvenue. Je soupira d'exaspération vis-à-vis de ma propre bêtise.

Évidemment, les murs n'étaient sûrement pas insonorisés.

Me tenant derrière la porte sans l'ouvrir, je répondis :

— Oui ?

— Excuse-moi ! Pourriez-vous faire moins de bruit, vous n'êtes pas toute seule ? Me fit-elle remarqué avec hargne.

Je comprenais son énervement.

— Oui, désolé.

— Nous sommes à Oxford bon sang ! Ce comportement est inadapté pour le prestige que représente cette honorable académie ! Des étudiants viennent de très loin pour...

La fille se lança dans une tirade qui me parut interminable, jouant la moralisatrice. Cette scène me paraissait étrangement familière entraînant des souvenirs irritable. Un mal de tête me prit s'intensifiant à mesure qu'elle développait sa tirade.

Elle parle trop seigneur ! Pensais-je en massant mon front pour tenter de chasser cette migraine nouvelle.

— Oui. Lâchais-je pour la couper dans son élan. Je me suis déjà excusé, la musique a été coupée, le problème à été résolu, point. Pas besoin de me sortir tout un monologue. En ce moment celle qui dérange, c'est toi.

Elle devenu rouge pivoine.

— Compté sur moi pour avertir le proviseur de votre tapage nocturne ! Cracha-t-elle.

— Bonne nuit.

Outrée par mon indifférence, elle partit en trombe plus remonter que jamais. Je lui adressa un tchip sonore avant de m'affaler sur mon lit, me couvrant les yeux de ma paume pour ne plus être gêné par la lumière. Les battements de mon cœur tapaient fort contre ma poitrine et ma respiration était saccadée — j'avais vraiment tout donné dans ce show.

Le silence reprit ses droits, ceci dit, ce pas n'était pas celui que j'aimais. Non. Ce silence avait quelque chose de différent, de lourd, qui compressait ma cage thoracique. Je ne me comprenais pas, mon ancien foyer était si bruyant que chaque nuit, je priais pour un peu de paix et maintenant que je l'avais, il ne me rendait pas heureuse.

Mon regard se tourna vers la valise noire qui renfermait mon téléphone. J'étais sûr d'avoir au moins cinquante appels manqués de mon frère Chadrack qui était probablement furieux, car il était censé me déposer à la gare. Pourtant, je m'y étais fermement opposé, mais ils avaient décidé de l'ignorer. Encore une fois...

Pour mon dernier jour en France, je ne tenais pas à me coltiner la lourde présence de mon frère, alors j'étais simplement parti en douce. J'esquissais un rictus mauvais lorsque j'imaginais la tête qu'il avait pu faire, lorsqu'il ne m'avait pas trouvé. Il était revenu de loin pour m'emmener. Cependant, je n'avais pas à me sentir coupable étant donné que je ne lui avais rien demandé.

La lumière étant éteinte, la nuit en profita pour plonger ma chambre dans l'obscurité. Le sommeil ne venu pas à moi, il se faisait désirer. Je me retournai mille et une fois dans mon lit qui me semblait tout un coup inconfortable. « Et si je sortais, pensais - je passivement. Je balayai l'idée de mon esprit, il en était hors de question. Seulement, cette simple idée faisait maintenant place à l'envie, une envie grandissante à mesure que je la refoulais.

C'était une habitude que je m'étais juré de perdre lors de mon arrivée au Royaume-Uni, mais c'était plus fort que moi, comme une drogue dont l'on ne pouvait se passer. Au début, je l'avais fait pour fuir le quotidien étouffant de chez moi, une fois, puis deux, puis trois...avant de tomber dans un cercle infernal. Petit à petit, sans m'en rendre compte, j'étais devenu esclave de cette liberté sommaire.

J'enfila un sweat à capuche noir et un jogging de la même couleur suffisamment amples pour effacer mes courbes. Ma capuche recouvrait l'entièreté de mon crâne, et mes baskets chaussaient mes pieds. Ces vêtements me permettaient de changer de genre, d'identité - parfois même d'inspirer la crainte. C'était un des seul moyen de m'assurer un semblant de sécurité dans le monde de la nuit où les femmes n'étaient malheureusement pas les bienvenus.

Je sortis dans la plus grande discrétion emportant mon téléphone, un calepin de poche ainsi que mon spray au poivre. Certes, ce que je m'apprêtais à faire était inconscient, je n'étais cependant pas totalement dénué de bon sens. Je prévoyais toujours de quoi me défendre un minimum.

Mon téléphone afficha 150 appels manqués de mon frère, 50 de ma mère ainsi que 500 notifications de message non lu. Je pouffa de rire - c'était un record, beaucoup plus que je ne l'avais imaginé. Je rangea négligemment mon téléphone dans ma poche et repris ma marche dans les rues de la ville d'Oxford.

La lumière des lampes dorait ces rues lui conférant une ambiance précieuse, des magasins en tout genre les longeaient apportant leurs touches à ce grand spectacle. À mesure que, je gravissais le bitume, mes pas ne cherchant pas une destination précise, je me laissai aller à une douce ivresse de gaieté - Dire que tout partait d'un simple poème qui avait bouleversé les lois de mon univers.

Je m'en alla au rythme du vent, dansant à travers un refrain que je m'imaginais, sautillant comme un criquet en gloire à cette énergie qui ne cessait de croître. Mes idées virevoltaient et je les écrivis dans mon petit calepin :

« Un soir d'or, tellement d'or, si d'or qu'il dépeignit sur mes chaînes devenues indolores.
Vivant, dansant, respirant, au rythme de cet orchestre : je me laissai aller à cette douce ivresse.
Me prenez-vous pour un fou ? Un aliéné ? Un arrêté ? Un dérangé ?
- Cela n'a pas d'importance.
Seul compte : moi. Je suis mon tout, vous êtes mon rien. »

« Petit-poucet rêveur », calepin en main, je repris ma fuite toujours plus loin, explorant avidement cette inspiration qui me submergeait.
« J'égrenais dans ma course des rimes », ces ornements oniriques défilaient sans que je ne puisse rien y faire. Mes yeux se levèrent au ciel repensant aux vers du barde qui avait tant bercé mon adolescence par son esprit vacant : « J'allais sous le ciel, Muse ! Et j'étais ton féal... »

— ALERTE À LA BOMBE !!!

Une énorme explosion éclata, son grondement aussi puissant que soudain me figea sur place. Une intense lueur orangée se fit plus vive de seconde en seconde, s'étendant jusqu'au ciel noirâtre ce qui créa un dessein des plus onirique. Dans ce chaos des éclats de rire en ressurgirent aussi perturbante qu'inconvencionnelle. Six hommes, masqués d'un visage inexpressif, se précipitèrent hors du parc maintenant incendié, sautant par-dessus le grillage. Les hommes s'esclaffèrent plus fort, tandis que j'observais la scène d'un recoin isolé. Ce qui m'horrifia le plus était leur détachement grotesque vis-à-vis de la situation, rigolant et discutant de vive voix comme si de rien n'était, comme si un parc n'était pas en train de se consumer juste à quelques mètres d'eux.

Qu'est qu'il fallait que je fasse ? Fuir ? Appeler la police ? Les pompiers ?

De l'endroit où je m'étais réfugiée, je ne pouvais pas entendre que des bribes de leur conversation :

— ....On va....problème...

— Pas....preuve...

Face au danger, je décidai de prendre la décision la plus judicieuse à l'heure actuelle : la fuite ! Je fis demi-tour et commença à courir, mais soudain mon corps se retrouva à être freiner par un obstacle - J'étais pourtant sûr qu'il n'y avait pas de mur. Mes mains se portèrent à mon visage pour tenter d'apaiser la douleur qui me gagnait.

— Bonsoir.

Tout mon corps se crispa face à cette voix suave transcendante. Elle gagna en intensité, comme un sombre écho dans mon esprit. Mon être me hurlait le danger auquel j'étais confronté - c'était une menace encore plus grande que ces six autres hommes. Dans un réflexe, je fis demi-tour rapidement, et avant que je n'ai pu réussir à m'enfuir, il me retint d'une voix calme : « Vous m'avez l'air bien pressé. Je peux vous aider peut-être ? » Demanda-t-il ironiquement. Je saisis instantanément l'ironie de ses mots : c'était une mise en garde. Je le savais, je le pressentais. Un avertissement clair, si je fuyais, il pouvait donner l'ordre à ces complices de me poursuivre.

Un frisson me parcourut l'échine alors que je surprenais mon corps à trembler. Je m'imaginais déjà le pire. Je me fis violence pour atténuer la panique qui me submergeait : « Si tu paniques, c'est fini. » Pensais-je en boucle. Bien que l'effet soit minime, elle me permit de reprendre un semblant de ma lucidité.

Face à mon mutisme, l'aura funeste, proche du surnaturel, qui se dégageait de l'homme en face de moi, se décupla. « Ce n'est pas poli de ne pas répondre, tu sais ? Et encore moins de tourner le dos à quelqu'un qui te parle » s'impatienta-t-il. Il ne fallait pas que je réponde, surtout pas. La dernière dont j'avais besoin était qu'il découvre que j'étais une femme. Je me retournai lentement, faisant bien attention au moindre de mes gestes comme si la moindre erreur pouvait me coûter la vie.

J'étais maintenant face à cet homme, notre différence de taille et de carrure me sauta drastiquement aux yeux. Cette différence réduisait la probabilité que je puisse m'enfuir. Il porta un masque au visage neutre, ce qui me confirma son lien avec ce groupe d'hommes hystérique un peu plus loin et cela m'inquiétait d'autant plus.

Garde ton calme...

Toute ma bonne volonté s'envola alors que je rentrai en contact avec ses yeux d'une couleur à la fois froide et intense. Ses yeux semblaient me sonder, attaquer mes défenses sans retenue. Les plis de ses yeux s'étirèrent, je compris qu'il me souriait ; cela me frigorifia sur place. Il tapa du pied, chaque son était espacé de façon à m'insinuer la peur de façon langoureuse. Il attendait toujours sa réponse et son impatiente était palpable. Qui sait ce qu'il pourrait me faire si je ne lui obéissais pas ?

Ma tête se tourna de gauche à droite pour lui communiquer un « non » implicite.

« Tu es muet ? » Demanda-t-il d'un sarcasme évident dans la voix. Je me contenta d'acquiescer, il se tenait le menton en inclinant légèrement la tête d'une nonchalance qui attisait le mépris. Il déplaça son visage à quelques centimètres du mien et me fixa de ses iris monocordes qui avaient l'air de se jouer de mes réactions - « C'est vrai ce mensonge ? » Rétorqua-t-il d'un ton ampli de sarcasme.

Mon instinct, d'un coup, reprit sa vivacité. Je profita de sa proximité soudaine pour lui asperger une bonne quantité de spray au poivre en plein visage. Il recula, se frottant frénétiquement les yeux. J'en profitai pour prendre mes jambes à mon cou, mais il m'agrippa violemment le bras. Pour me libérer de son emprise, je le frappa le bras, le griffa, et lui infligea même une morsure, mais rien ne semblait l'atteindre. J'avais l'impression de lutter dans le vide.

Des pas de plusieurs hommes se rapprochaient, ce qui décupla l'urgence de la situation. Mais plus important encore, cet homme, était-il surhumain ? Comment pouvait-il même se tenir debout après avoir reçu une telle quantité de bombe au poivre en pleine face ? Il devrait se tordre de douleur et hurler à plein poumon, mais aucun son n'était sorti de sa bouche bien que ses yeux soient à présent fermé. « J'espère pour toi que tu pourras assumer la responsabilité de ton acte. » Dit-il, avant de me relâcher brusquement, je manqua de justesse une chute brutale.

La respiration accélérée, le cœur tambourinant violemment dans ma poitrine, le front perlé de sueur, je me ruai à toute vitesse vers le chemin de l'académie sans prendre le temps de regarder en arrière ou de me poser la moindre question. Mon esprit était embrumé dans un océan de panique qui me compressa l'abdomen. J'avais déjà eu à me confronter à une situation dangereuse, mais jamais de ce calibre. Auparavant, j'avais toujours réussi à m'en sortir grâce à mes ruses et à mon ingéniosité, mais pour la première fois, je n'avais trouvé aucun espoir de m'en sortir, pris au piège petit à petit, alors que je croyais pouvoir m'en défaire.

Par je ne sais quel miracle, il m'avait libéré de lui-même. Mais pourquoi ? Pourquoi m'avait-il relâché alors qu'il avait réussi à me maîtriser si facilement ? Il aurait pu me violenter, me menacer, ou même me tuer. Mon esprit repensa à ses mots d'une profondeur frappante : « J'espère pour toi que tu pourras assumer la responsabilité de ton acte. » Qu'entendait-il dire par là ? Quel étaient les sous-entendus derrière ses paroles sonnant comme un avertissement ? Qu'est-ce qu'il comptait faire ?! Toutes ces questions sans réponse me rendaient folle.

Je me prêta à des idées tout autant horripilantes les unes que les autres. Je compris que j'avais déclenché quelque chose de mauvais, de sombre en le heurtant. Peut-être m'avait-il épargné pour mieux me poignarder, peut-être voulait-il s'amuser à me poursuivre pour me faire payer.

Arrivé dans ma chambre, je claqua précipitamment la porte et me dépêcha de la refermer comme si le danger était toujours à mes talons. Je surveilla en permanence mes arrières à cause de cette désagréable sensation d'être épié — il était toujours là. Je le sentais. Mais je savais que ce ressenti était biaisé par la paranoïa de ma terreur. Je m'assura d'être bien seul dans mon logement, mes craintes s'envolèrent lorsque je finis mon inspection, et je me laissa tomber au sol, épuisé par cette vigilance constante.

Mon corps se détendit, mon souffle reprit son courant et les battements de mon cœur s'apaisèrent. « Quelle soirée... » Soufflais-je comme d'une confession à moi-même. Mais alors que je tentais de me relever, une lassitude mirobolante me prit, mon corps devenu très lourd et me cloua au sol. J'aperçus une fissure sur le plafond, je la fixai ce qui me permit de faire le vide dans mon esprit. Le silence désagréable ne l'était plus, il était apaisant. Sous le poids de la fatigue, je céda au doux bras de Morphée.

Le cri d'un oiseau me poussa à ouvrir les yeux, dans une immense étendu noir. Mon corps était suspendu à des fils de fer s'accrochant à leurs extrémités. Les fils de fer se resserrèrent devenant plus douloureux alors que j'opposais de la résistance, des filaments de sang s'écoulaient de mes lésions. Ces fils de torture se dessinaient partout, autour de moi, leurs points d'accroche s'étaient effacés dans l'immensité du vide. Un bruissement sourd me fit lever la tête, un aigle immense était suspendu à un barbelé ; majestueux, beau, et implacable avec le plumage blanc d'une pureté sans égal. Je fus hypnotisé par le grand déploiement de ces ailes grandiose. Mon reflet se transposa dans son regard brumeux me rendant moindre, insignifiante. J'étais à sa merci et je ne pouvais rien y faire — j'étais sa proie.

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