Lyra

Il me faut quelques instants pour reprendre le contrôle. Mon cœur tambourine encore, répercutant l’impact de cette rencontre étrange avec Daemon. Ce regard… cette intensité… Tout chez lui semble m’avoir frappée au plus profond de moi, comme une onde de choc qui ne s’est pas dissipée.

Mais au lieu de me paralyser, ce tumulte devient un moteur. Une motivation à comprendre. À poursuivre ce que j’ai commencé en venant ici. Je traverse le parking, l’air chargé de cet étrange parfum boisé qui, quelques instants plus tôt, avait saturé mes sens. Désormais, il s’estompe, me laissant avec cette impression frustrante d’avoir oublié quelque chose d’essentiel. Je respire profondément, essayant de chasser cette sensation persistante. Lorsque j’entre dans le hall de Lykos Industries, mes pas ralentissent instinctivement. L’atmosphère ici est… particulière. L’air semble presque vibrant, comme chargé d’une énergie subtile mais palpable. Une chaleur, à peine perceptible, semble flotter autour de moi, comme un courant sous-jacent que je ne peux pas nommer.

Le hall est baigné de lumière, et un mélange d’odeurs familières m’accueille : café chaud, une touche d’armoise, et cette même note boisée qui me poursuit depuis mon arrivée dans cette ville. Mon regard est attiré par le logo projeté sur le mur derrière la réception : un loup argenté hurlant à la lune, entouré de silhouettes d’arbres. Je frissonne. Cette image me ramène à mes rêves, à cette forêt, et je sens mon pouls s’accélérer sans raison apparente.

Je secoue la tête, me forçant à avancer.

Une petite équipe est rassemblée près de ce qui semble être une cafétéria. Ils discutent, leurs voix basses créant une mélodie étrange, presque harmonieuse. Lorsque j’entre, leurs regards se tournent instantanément vers moi. Je m’arrête, prise au dépourvu. Ce n’est pas leur curiosité qui me dérange. C’est autre chose. Une impression subtile mais persistante : ils m’attendaient. Pas comme une nouvelle stagiaire qu’on accueille avec bienveillance. Non. C’est plus profond, plus instinctif. Comme si ma simple présence comblait une attente silencieuse qu’ils n’avaient pas exprimée.

Une femme se détache du groupe et s’avance vers moi. Grande, élancée, avec des cheveux bruns qui tombent en cascade sur ses épaules. Ses yeux noisette brillent d’une chaleur sincère, et son sourire est désarmant, presque rassurant.

“Lyra, c’est bien ça ?” demande-t-elle d’une voix douce mais assurée. “Bonjour, je suis Selene, cheffe des recherches pharmaceutiques et ta responsable de stage ici, chez Lykos Industries. Bienvenue parmi nous !”

Je hoche la tête, tentant de sourire malgré la tension qui me serre encore la poitrine.

“Viens, je vais te présenter à l’équipe.”

Elle me guide vers le groupe, et les présentations commencent. Un grand blond, aux yeux rieurs, me tend la main avec un sourire amical.

“Bienvenue dans notre équipe, Lyra.”

Je serre sa main, mes doigts légèrement tremblants. L’accueil est chaleureux, mais je ne peux m’empêcher de ressentir ce même courant étrange. Comme si quelque chose circulait entre eux, invisible mais puissant, un lien que je ne comprends pas encore. Puis un homme s’avance, sa carrure imposante contrastant avec la légèreté de l’ambiance. Ses traits ressemblent à ceux de Selene : des cheveux bruns impeccablement coiffés et des yeux noisette. Mais là où elle rayonne de chaleur, lui dégage une gravité froide, presque intimidante. Il tend la main, sans sourire.

“Elias,” dit-il simplement. Sa voix est grave, posée, chaque mot soigneusement pesé.

Son regard s’ancre dans le mien, perçant, comme s’il cherchait à évaluer quelque chose que je ne savais même pas posséder. Ce n’est pas de l’hostilité, mais une intensité presque clinique qui me pousse à soutenir son regard un instant de plus que je ne le voudrais.

“Elias est notre expert en stratégie et en logistique,” explique Selene, son sourire toujours éclatant. “Monsieur Pragmatique, comme on l’appelle.”

Il incline légèrement la tête, un éclair d’ironie traversant ses yeux. “Il en faut bien un.”

“C’est vrai,” renchérit Selene avec un clin d’œil. “Mais il a ses bons côtés.”

“Certains,” réplique-t-il, l’ombre d’un sourire jouant sur ses lèvres.

Un silence court, puis il ajoute, plus neutrement : “Bienvenue, Lyra.”

Je hoche la tête, répondant avec un sourire un peu incertain. Ses mots sont polis, mais dénués de chaleur. Pourtant, je ne peux m’empêcher de sentir une certaine fiabilité émaner de lui. Comme si, sous cette froideur, se cachait un pilier invisible qui soutient tout l’équilibre de l’équipe.

Le reste des présentations se poursuit, et bien que tout le monde soit amical, je ne peux ignorer cette impression persistante. Quelque chose m’échappe. Ils semblent… trop accueillants. Trop attentifs. Comme s’ils attendaient quelque chose de moi.

La matinée commence, et les premières heures passent dans un tourbillon de tâches administratives et de consignes pour le stage. Selene m’explique les bases du fonctionnement du laboratoire, tandis qu’Elias se contente d’observer, répondant parfois à mes questions avec des réponses brèves mais précises. Je tente de me concentrer, mais mes pensées reviennent sans cesse à Daemon. À son regard. À cette chaleur étrange qui m’a envahie lorsqu’il m’a touchée.

Pourquoi ai-je l’impression qu’il me connaît, alors que je ne sais rien de lui ?

Et pourquoi cette équipe, malgré toute sa bienveillance, me donne-t-elle l’impression qu’ils me cachent quelque chose ?

Je serre les poings sous le bureau, décidée à ne pas laisser mes doutes m’envahir. Ce n’est qu’un stage, rien de plus. Et pourtant, une petite voix murmure dans mon esprit : “Rien ici n’est ce qu’il semble être.”