Chapitre 16
Lyra
Une multitude de questions se bousculent dans ma tête, un tourbillon incessant. Pourquoi moi ? Que suis-je réellement ? Pourquoi tout en lui, en cet endroit, m’appelle irrésistiblement ? Et ces réactions qu’il a eues… Sa façon de m’observer, de me contenir comme si quelque chose en lui menaçait d’exploser à tout moment.
Je me retourne lentement, et mes yeux rencontrent les siens. Son regard noir me transperce, brûlant et insondable, comme s’il portait mille réponses que je ne peux encore comprendre. Ce feu qu’il m’envoie, silencieux mais dévorant, réveille en moi une faim que je ne savais pas posséder.
Un désir bestial m’anime, une force que je ne contrôle pas. Alors, d’une voix ferme, presque grondante, je prononce les mots qui m’échappent avant même que je les réfléchisse :
"Tu es un loup, Daemon."
Son regard change, imperceptiblement. Je vois un éclat, un mélange de soulagement et d’excitation brute. Il ne bouge pas, mais tout en lui hurle. Le loup en lui, ce loup que j’ai vu dans mes rêves, menace de franchir la barrière qu’il s’efforce de maintenir.
Et moi ?
Je vacille, troublée par ma propre déclaration. L’assurance dans ma voix se dissipe, remplacée par une incertitude oppressante. Je murmure, presque pour moi-même :
"Mais moi… Je ne sais pas. Ça me semble irréel."
Je repense à ma mère, à ses mots. "Tu es rare." Mais à quel point ? Qu’est-ce que cela signifie, vraiment ? Mon regard dérive à nouveau vers la fresque. Ce loup noir, imposant, protecteur, semble presque respirer sous mes yeux. Il m’attire et me terrifie à la fois.
Derrière moi, je sens Daemon s’approcher. Son souffle court caresse ma nuque, et mon corps tout entier frissonne. Il est si proche que l’air lui-même semble vibrer entre nous. Je peux ressentir la chaleur de son corps, la puissance contenue de chacun de ses mouvements, et les battements de son cœur qui résonnent comme un écho au mien.
Je lève une main hésitante vers la fresque, mes doigts effleurant la peinture, ce loup qui m’obsède. Puis, sans me retourner, je murmure :
"Le loup… Il ressemble à celui de mes rêves. Il ressemble à toi… cette nuit."
"Il s'agit d'un de mes ancêtres. Cette fresque représente l'histoire de ma meute et de cette région." Daemon parle d’un ton solennel, chaque mot pesé avec soin, comme si ce qui allait suivre portait un poids immense.
"Il y a plus de cinq siècles," commence-t-il, sa voix vibrant d’un mélange de fierté et de gravité, "cette région appartenait aux humains. Les loups, comme nous, vivaient reclus, traqués, chassés comme des bêtes sauvages. Chaque meute luttait pour sa survie."
Il marque une pause, et je vois sa mâchoire se contracter. Il inspire profondément, cherchant à garder le contrôle, mais je sens sa tension, comme un fil tendu prêt à céder.
"Puis, une menace est apparue," reprend-il, sa voix légèrement rauque. "Les vampires. Une force inhumaine, brutale, insatiable. Ils ne faisaient aucune distinction entre humains et loups. Leur soif de sang détruisait tout sur son passage."
Un frisson glacé parcourt ma colonne vertébrale. Les vampires. Je n’ose pas bouger, captivée par son récit, mes yeux glissant de la fresque à son visage. Son ton, grave et vibrant, semble imprégner l’air d’une tension presque palpable.
"Face à cette menace, une alliance improbable s’est formée," continue-t-il. "Les Chefs humains et l’Alpha de l’Égide Noire ont uni leurs forces pour combattre cet ennemi. Ensemble, ils ont affronté les vampires dans une guerre sans merci. Des années de sang et de souffrance. Mais ils ont vaincu."
Je reste figée, captivée par ses mots. La fresque, avec ses ombres et ses lumières, semble s’animer sous mes yeux. Je sens le poids de son récit, sa vérité brute.
Daemon avance encore, et cette fois, sa main recouvre la mienne. La chaleur de son contact me foudroie. Mon souffle se coupe, et une vague de sensations contradictoires m’envahit : sécurité, désir, peur. Mes doigts tremblent sous les siens, mais je ne les retire pas.
"Orion," murmure-t-il, sa voix rauque, presque brisée. "C’était son nom. L’Alpha qui a mené cette bataille. Il était le lien entre les loups et les humains. Il a scellé l’alliance et a permis à nos deux espèces de coexister, en paix.”
Ses mots résonnent, mais tout mon esprit est absorbé par sa main sur la mienne, par cette chaleur qui pulse entre nous. Je lève les yeux vers lui. Son regard est sombre, intense, rempli d’un conflit que je ne comprends pas.
Puis, brusquement, il retire sa main, rompant ce lien si puissant qu’il me laisse presque étourdie. Il détourne les yeux, et je vois le tremblement imperceptible de sa mâchoire, la tension dans ses épaules.
Daemon continue : "Depuis ce jour, les loups sont devenus un symbole sacré pour cette région. L’emblème de la protection et de la force. En échange de leur sécurité, nous avons juré de respecter nos terres et de ne plus interférer avec les humains. Aujourd'hui, aucun d'entre eux ne connaît notre existence. Pas vraiment.”
Je fixe à nouveau la fresque, mon regard attiré par le loup noir, imposant et majestueux.
Ses derniers mots résonnent étrangement, lourds de sens. Je sens son regard sur moi, brûlant, presque accusateur. Comme s’il attendait quelque chose. Une question ? Une réaction ? Mais je ne dis rien. Mon esprit est trop en ébullition, chaque morceau de son récit se mêlant aux souvenirs de ma mère, à mes rêves, à tout ce que je pensais savoir.
"Je suis une louve, Daemon. C'est ça ?" Ces mots, à peine audibles, portent un poids immense. Ils résonnent dans l’espace, entre nous, comme une vérité qui ne peut plus être ignorée.
Je n’ose pas me retourner. Une étrange pudeur me retient, comme si quelque chose restait flou, encore trop fragile pour être affronté directement. Pourtant, tout commence à s’assembler dans mon esprit. Les rêves, l’aconit, cette sensation qui gronde en moi depuis que je suis ici. Tout cela mène à une seule conclusion : je suis une louve. Et c’est ce que les inhibiteurs de ma mère tentaient de dissimuler. Pour me protéger de ceux qui ont massacré mon père, ma famille, ma meute. Un contraste saisissant avec l’Égide. Là où ma meute a été anéantie, eux ont prospéré, unis, forts.
Un soupir s’échappe de mes lèvres, chargé d’un mélange de résignation et de douleur. "Ma meute n'a pas survécu, Daemon. Je comprends un peu mieux le choix de ma mère maintenant… pourquoi l'aconit."
Ces mots, pourtant si simples, portent un poids immense. Ils résonnent dans l’espace entre nous, remplis de regrets, de colère et d’une peine que je n’arrive pas à nommer. Une partie de moi comprend enfin : ma mère m’a protégée. Mais l’autre, plus vive, hurle encore. Elle m’a volé mon identité, mon histoire, ma meute.
"Est-ce que ma louve est toujours là ?" demandé-je, ma voix brisée, les larmes au bord des yeux.
Je n’attends pas vraiment de réponse, mais Daemon bouge avant même que je puisse dire autre chose. Il se retourne lentement, ses yeux accrochant les miens avec une intensité dévastatrice. Il ne répond pas immédiatement, et le silence qui s’installe est écrasant.
Puis, avant que je ne puisse dire quoi que ce soit d’autre, il m’attire doucement contre lui. Son étreinte est intense, presque brutale dans sa sincérité. Sa chaleur m’enveloppe, sa respiration irrégulière contre ma nuque. Je sens chaque battement de son cœur, chaque tension dans ses muscles.
"Ce que tu ressens là, c’est elle," murmure-t-il, sa voix rauque, tremblante. "Je la ressens aussi. Mais l’aconit… nous ne savons pas ce qu’il lui a fait. Ni comment ton corps supportera le sevrage."
Je relève les yeux vers lui, et tout ce que je vois, c’est un conflit. Un mélange de force, de désir et de contrôle. Ce regard, aussi rassurant qu’il est dévastateur, me laisse sans voix.
Annotations
Versions