Aux courses
Aujourd'hui, j'ai fait les courses. Il le fallait bien.
Depuis une semaine, nous nous nourrissions des œufs de nos poules (au plat, à la coque, durs, en omelette) et des tomates du jardin (en salade, farcies, dans des pizzas ou sous forme de sauce), mais cet après-midi, il m'a fallu prendre mon courage à deux mains et y aller.
Je n'avais plus de levure : vous savez bien, ces petits cubes de levure dite "de boulanger", pour la pâte de mes pizzas (qui n'est ni plus ni moins qu'une pâte à pain). Cette capricieuse levure dont les effets varient selon le degré d'humidité, la température de l'air, celle de l'eau dans laquelle elle est délayée, et, c'est sûr, selon d'autres critères que je n'imagine même pas... Si j'en avais idée, je réussirais ma pâte (comme belle maman) , or, la mienne est tantôt plate comme une crêpe, tantôt aussi gonflée qu'un biscuit de savoie...
Je n'avais plus de chocolat en poudre pour mon fils, qui en boit tous les matins : et pas questions d'acheter ces granulés bon marché qui d'après ma maman "n'ont de chocolat que le nom". C'est pour Paul, son petit-fils, alors il faut la qualité d'un chocolat "grand arôme", toujours le même, dans sa boîte en plastique orange (recyclable heureusement).
Il me fallait de GROSSES éponges : en effet, mon mari, qui râle tous les matins contre la boîte de chocolat grand arôme à cause de son col trop serré ou la cuillère ne passe pas assez aisément à son goût, râle aussi régulièrement contre les éponges (trop petites ! avec lesquelles on met "huit jours à essuyer la table !" - table maculée du chocolat qu'il renverse invariablement... Ce n'est pas pour rien que les neveux disent toujours "maladroit comme tonton Benoît !")
Il me fallait de la colle forte : mon exemplaire de "Des Grives aux loups", lus pour la treizième fois, part en lambeaux, et il n'est point question de le jeter. C'est un coffret de trois livres, que j'avais acheté avec le billet que ma tata Simone m'avait donné pour mes vingt ans : l'argent n'a pas d'odeur... j'aurais sans doute depuis longtemps oublié son cadeau si je ne lui avais donné corps en achetant ces livres, que je dois ce soir réparer (avec adresse si possible).
La colle se trouve évidemment au rayon "rentrée des classes" (infréquentable ces jours-ci) où une mère de famille connue de moi et qui me regarde de travers pour la bonne raison que je suis prof, fait le plein en compas, rapporteur, règle, équerre, trousse, en râlant sur le prix du classeur à l'effigie de Barbie. Je m'esquive vite.
Je m'esquive pour ne pas lui demander pourquoi sa fille DOIT changer de trousse chaque année, pourquoi elle ne vide pas le classeur de l'an dernier pour le réutiliser, pourquoi elle perd systématiquement ses instruments de géométrie...(Pas moins de seize rapporteurs et sept règles graduées ont été retrouvés en juin dans ma salle de classe sans que personne ne les ait réclamés !). Je m'esquive pour ne pas lui demander pourquoi elle, sa mère, choisit d'acheter 4 cahiers à l'unité à 2.5€ pièce et non 5 à 3.5€ le lot...
J'arrive à la caisse avec un caddie plein (contrairement au consommateur qui me précède et n'a acheté qu'une seule bouteille de bière à soixante-cinq centimes), caddie plein qui permettra j'espère de ne pas revenir de si tôt.
"Pourquoi vous ne passez pas à la caisse automatique ?"
Le ronchon qui m'a posé la question tout en me suivant à une caisse NON-AUTOMATIQUE s'entend répondre :
"Le sourire de la caissière est gratuit et c'est aussi pour lui que je suis venue"
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