Chapitre 1 : Partie 2/3
Les deux inséparables traversèrent le parking pour atteindre la voiture retapée de Franck. Les ombres déformées des arbres s’étendaient sur la carrosserie cabossée et la rendaient inquiétante. Eileen s’installa tranquillement, puis sursauta quand le moteur se mit à gronder.
Plus ils roulaient, plus elle se forçait à sourire pour dissimuler la vague de stress qui la submergeait. Bien qu’elle fût habituée à la vieille Renault, elle ne s’y sentait toujours pas en sécurité et le changement d’ambiance n’aidait pas. La jeune femme s’enfonça dans son siège en regardant les dernières lumières de la ville disparaître de son champ de vision. A présent, seul l’éclat de la lune éclairait le chemin de terre irrégulier. Les spectres des bois formaient des entrelacements fantomatiques et menaçants, si bien qu’Eileen sentait son ventre se nouer en les observant onduler sur le sol. A chaque fois qu’ils empruntaient cette route, surtout la nuit, elle angoissait à l’idée que le tas de ferraille tombât en panne. Chaque secousse due au chemin bosselé accentuait cette peur. Le moteur crachotait comme un asthmatique en pleine crise et donnait l’impression qu’il pouvait rendre l’âme à tout instant. C’était comme se retrouver bloqué dans une attraction mal fixée : un très mauvais moment à vivre. Plusieurs minutes interminables défilèrent avant qu'ils ne découvrissent un coin dégagé. Le reste de l'équipe patientait autour d'un feu… et la peur laissa place à la colère.
- Un feu ?! Mais ils sont fous !
Elle n'attendit pas que Franck coupât le moteur pour descendre comme une furie.
- Non mais ça ne va pas ! Vous faites du feu ?! Faut pas qu’on se fasse prendre, j’vous rappelle !
- Ça fait déjà trois fois qu’on vient ici et on n’a jamais eu de problème, la rassura Isabelle.
Quoique la remarque fût bien intentionnée, son air de « première de la classe » l’insupportait. Ils n’avaient rien trouvé d’autre que ce terrain privé et si le propriétaire s’apercevait de leur présence, ils pourraient tirer un trait sur leur court métrage.
- Jusqu’au jour où on en aura !
Samuel jeta son mégot de cigarette et se leva, impassible. Il étouffa les flammes sans un mot et la toisa de haut en bas. Eileen détestait ce comportement. A vrai dire, elle n’appréciait pas ce type. C’était le nouveau venu du groupe et manifestement, faire preuve de bon sens était trop lui demander. Elle ne décoléra pas et se contenta d’ignorer les jurons qui parvinrent à ses oreilles. Elle avait promis de mener à bien ce film et le meilleur moyen d’y arriver restait d’éviter les conflits. Franck n’avait d’ailleurs sans doute rien entendu et continuait à décharger la voiture.
- Il faudra qu’on parle du cas de Samuel, lui glissa-t-elle à mi-voix, contrariée.
Elle sortit un paquet de feuilles du coffre, le tria puis revint près du groupe, laissant son ami transporter le matériel avec Robin. Ses quatre autres camarades se levèrent et se réunirent autour d’elle.
- D’abord, pardon de m’être énervée. Mais on n’est pas censés être là, alors on évite les feux de camp ! Ensuite, super nouvelle à vous annoncer : on nous cite dans le magazine Découvertes de la toile ! Cerberos Movie va enfin connaître le succès qu’il mérite !
La tension retomba d’un coup. Tous retrouvèrent le sourire et se félicitèrent dans une ambiance bon enfant.
- Je ne sais pas si cet article suffira pour ça, tu t’enflammes un peu, plaisanta Franck.
- Tu étais plus enthousiaste tout à l’heure !
Son ami haussa les épaules et lui tapota le dos, tout sourire. Une fois le groupe de nouveau attentif, Eileen donna ses instructions.
- Bon ok, je vous ai imprimé la dernière version du scénario. Ce serait bien de faire le plus gros ce soir, comme ça, si je commence le montage demain, on pourra publier la vidéo ce week-end.
Elle expliqua les changements importants dans le rôle de chacun, puis pivota vers Franck.
- On devrait pouvoir tourner deux séquences, en s'autorisant quelques ratés. J’ai vidé la carte SD, il y aura la place, c’est sûr. On va commencer par mes plans, comme ça, ce sera fait.
- Je prépare la caméra et on s’y met.
Accompagnée de Franck, Robin le perchman et Annie la scripte, elle s’éloigna de la voiture et s’enfonça dans la forêt. Le reste du groupe demeura en retrait le temps qu’ils finissent la scène, pour continuer à discuter sans déranger.
Eileen prenait son rôle de réalisatrice très à cœur et se sentait vraiment responsable de son groupe. Elle n'avait pas un caractère difficile, au contraire, elle était plutôt facile à vivre. Mais quand elle travaillait, elle aimait diriger les choses, sans tomber pour autant dans la dictature. Franck ne manquerait pas de la remettre sur le droit chemin si elle venait à s’égarer. Malgré tout, il lui arrivait de trop exiger des autres et de se retrouver avec des tensions inutiles. Elle en était consciente et cette idée lui générait un nœud au creux de l'estomac.
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