Chapitre 2 : Partie 1/4

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Sa respiration était lente et sifflante. Une atmosphère plombée l'étouffait. Sa gorge brûlait. Elle toussa jusqu’à ressentir un goût de sang. Eileen ouvrit un œil, puis l’autre. Ses muscles engourdis et une sensation de tournis lui procuraient l'impression d’avoir fait une terrible chute. La vue brouillée, elle songea un bref instant se trouver à l'hôpital. Franck devait se tenir à ses côtés, puisque, si elle avait eu un malaise, lui seul se serait occupé d'elle. Pourtant, l’odeur médicamenteuse ne s’engouffrait pas dans ses narines et la dureté de sa couche n’avait rien du confort d’un matelas. Un vacarme confus martela progressivement ses oreilles. Elle réussit à se mettre debout malgré sa tête lourde.

Elle se frotta les yeux.

Des femmes et des enfants couraient dans tous les sens, alors que des formes volubiles semblables à des flammes se dessinaient au loin. Des nuages de cendres parsemaient le paysage apocalyptique que dépeignait le triste tableau.

Des hommes s'effondraient, protégeaient leur vie et celle de leur famille. Des habitations prenaient feu et le sang teintait l'herbe sèche. Des murs de pierre s'écroulaient sur des chevaux, restés prisonniers à l'intérieur des stalles d’une écurie. Les toits de paille s’enflammaient, des braises volaient dans l’air. Tout paraissait trop vrai pour n'être qu'un simple cauchemar. Peu à peu, le tumulte s’éclaircit, les sons se précisèrent.

Tous ces cris et ces pleurs.

La panique envahit Eileen de plus belle. Ahurie, la jeune femme avança en titubant sans comprendre. Tout semblait tourner autour d’elle, le paysage se déformait et se reformait sans cesse.

Le sol trembla.

Eileen tomba à la renverse et écarquilla les yeux : un tronc d’arbre chutait droit sur elle. Sa respiration se bloqua et les battements de son cœur s’accélérèrent. Elle essaya de fuir, mais ses muscles tétanisés l’en empêchèrent. Son seul réflexe fut de fermer les yeux et se couvrir la tête de ses bras. Elle allait mourir... comme ça, ici, dans cet endroit inconnu et improbable. Elle voulut hurler sa détresse, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Les secondes s’éternisaient, puis un fracas la fit sursauter : l’arbre était tombé juste à côté. Un mélange de soulagement et de peur lui noua l’estomac et elle se redressa sur ses coudes. Soudain agressée par les braises et la poussière, Eileen serra les dents et porta ses mains à son visage. Quand elle se découvrit enfin les yeux, une forme humaine imposante apparut au-dessus d’elle. Dans ce chaos, ses longs cheveux blonds rayonnaient et son armure brillait de mille éclats. Était-ce un ange ? Une main puissante et robuste, tendue vers elle, n'attendait plus que la sienne. Elle l'attrapa sans réfléchir et fut remise d’aplomb comme si son poids rivalisait avec celui d'une plume.

- Cet endroit n'est pas fait pour vous !

Eileen n'avait pas eu le temps de voir son visage, mais vu les circonstances, accepta de se laisser guider.

Son sauveur l’entraîna jusque dans une forêt d'arbres difformes qui prenaient feu. Elle leva le nez. Ces bois étaient vraiment bizarres. Elle pouvait juste distinguer quelques formes, compte tenu de la vitesse à laquelle ils couraient. Certains troncs paraissaient démesurément larges et ronds, tandis que d'autres, très fins, s’élançaient vers le ciel et ressemblaient à des champignons géants. Des feuillages roses et d'autres d'un bleu intense monopolisaient son attention. Eileen détourna les yeux et elle faillit trébucher contre une racine qui dépassait du sol. Un frisson lui parcourut l’échine et la nausée la gagna lorsqu’une odeur de soufre et de chair brûlée agressa son nez. A deux pas de là, une petite fille chancela sur un corps et se mit à pleurer ; sa mère se précipita et la tira par la main. Des femmes affolées couraient avec leur nourrisson dans les bras. D'autres, à genoux et les yeux au ciel, priaient.

Une nouvelle secousse survint, plus violente… et plus proche, aussi. La jeune femme fut projetée en avant et resta sonnée plusieurs secondes. Quand elle releva la tête, son sauveur scrutait l'horizon à plat ventre. Eileen rampa jusqu'à lui. Son t-shirt et son jean s'accrochèrent dans des aspérités du sol qui les déchirèrent et marquèrent sa peau. Elle geignit mais ne s’arrêta pas dans sa lancée.

- Reste couchée ! ordonna-t-il.

- Quoi ?

Elle commençait à se redresser quand il lui donna une claque dans le dos, ce qui la fit cogner le sol. Eileen hoqueta, puis leva la tête. Une énorme masse noire les survola à plusieurs mètres au-dessus d'eux en poussant un terrible hurlement. Ses longues griffes acérées embrochèrent de pauvres gens qui essayaient de fuir, avant de les laisser retomber un peu plus loin.

- C’est… c'est quoi, ça ?

Un frisson d’horreur longea sa colonne vertébrale. Elle plaqua une main sur sa bouche pour ne pas vomir la bile qui remontait. Choquée et abasourdie, Eileen fut relevée en vitesse par l’homme en armure. Ses yeux bleu clair analysaient les alentours. Il ne paraissait pas affecté par ce qui se passait. Le monstre ailé les survola une nouvelle fois.

Eileen comprit de quoi il en retournait. Sa respiration s'accéléra et son cœur faillit s'arrêter. Ses jambes tremblotèrent et des larmes se nichèrent aux coins de ses yeux. Un dragon noir déployait ses ailes et crachait son feu droit devant lui. Il était gigantesque. Elle était terrifiée.

Son sauveur l’entraîna vers la mer où l’on apercevait un navire. Bientôt, les bois ne les protègeraient plus et les laisseraient à découvert. La mort les talonnait. La peur embrumait son esprit, Eileen était incapable de penser. Courir était la seule chose qui comptait.

Elle s’étonna soudain de ne plus voir de villageois dans les parages. Trop concentrée sur sa course, elle n’avait pas remarqué que la foule s’était dispersée. Peut-être que certains s'étaient enfuis assez loin pour sauver leur peau ou peut-être avaient-ils péri... Elle secoua la tête. Ce n’était pas le moment de penser à une telle chose. Ses poumons manquaient d’éclater à chaque inspiration, mais l’adrénaline lui donnait la force d’avancer. Dans cet endroit inconnu, elle ne pouvait que faire confiance à celui qui la guidait. Elle n'aurait pas réussi à survivre seule.

Un voile, semblable à une immense bulle de savon sortie de nulle part, se mit à luire de reflets rosés et bleutés à quelques mètres devant elle. Il s’étendait entre les arbres ravagés et englobait la plage de sable fin qui débutait un peu plus loin. Il s’élevait si haut qu’il semblait se fondre dans le bleu du ciel. Les flammes, propagées par le vent, ne l’atteignaient pas encore. Plus ils s’en approchaient, plus Eileen gardait les yeux rivés sur cette curieuse démarcation. Allait-elle la désagréger ou éclater à son passage ? Le temps n’était pas à la réflexion. Toujours tirée par le soldat, la jeune femme traversa le voile sans que rien ne se produisît.

Eileen courait à présent sur le rivage, hors d'haleine. Soudain, le muscle de sa cuisse se comprima et lui asséna une douleur vive. Elle lâcha la main de l'homme en armure et se recroquevilla. Le dragon ne mettrait qu'une demi-seconde à la rôtir vivante si elle ne bougeait pas. Son corps n’en pouvait plus.

- On y est presque, relève-toi !

Il la remit aussitôt sur pieds. Eileen crut entendre un déchirement et geignit de douleur. Les larmes ne tardèrent pas à couler sur ses joues. Malgré son envie de s’époumoner, elle concentrait le peu de force qui lui restait sur sa course. Sa jambe la lancinait, chaque pas était une véritable torture. Elle se retourna un instant et constata que la bête ne les suivait plus. Celle-ci se tenait derrière le voile, comme incapable de l’outrepasser. Le reptile stagna un moment, rugit et cracha ses flammes vers le ciel, puis rebroussa chemin d’un battement d’ailes.

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