Chapitre 18 : Partie 4/6

7 minutes de lecture

La nuit tant redoutée finit par s’installer.

Ils pénétrèrent un espace dégagé et sans prévenir, l’ancien commandant se précipita vers l’avant, tourna sur lui-même pour mieux analyser les environs proches, et débarrassa d’un coup de pieds les feuilles recouvrant une imposante stèle. La pierre en demi-sphère gravée de symboles illisibles dans le noir devait facilement atteindre les deux mètres. Eileen l’imaginait sans mal peser un âne mort.

- C’est ici !

Sa voix enjouée redonna le sourire à l’ensemble du groupe. Même Aera se dérida. L’idée d’enfin quitter cette jungle avant la nuit noire était la bienvenue. Illian entreprit avec peine de faire coulisser la stèle à la force de ses bras et la fit dévier sur le côté pour dégager le passage.

Le groupe se figea.

Aucune entrée ne se profilait. Essoufflé par son effort, l’ancien commandant fronça les sourcils, s’éloigna de quelques pas et considéra une nouvelle fois les alentours, marmonnant dans sa barbe ses incompréhensions.

- Je ne comprends pas… Le passage était là, sous la stèle ! insista-t-il en pointant la pierre du doigt. Ça ne peut être qu’ici.

Il s’accroupit et farfouilla le sol de ses mains, à la recherche d’une entrée camouflée. Ses gestes étaient de plus en plus désorganisés.

- Il n’y a rien d’autre que de la terre et des feuilles, rajouta Aera. Peut-être que notre priorité, maintenant, serait de se mettre à l’abri ? Je n’ai pas vraiment envie de servir de repas cette nuit.

Constatant cet échec, Eileen sentit toute son énergie la quitter et la déception l’envahir. Même Illian, la tête entre ses mains, ne cachait pas son amertume.

- Là-bas, il y a quelqu’un ! les avertit Erik.

Son indication, dont le timing ne pouvait être plus parfait, sonna comme une délivrance. Une silhouette en mouvement se fit apercevoir entre deux arbres, à une dizaine de mètres peut-être de là. Aussitôt, Illian lui emboita le pas, sans savoir où il allait ni même qui il suivait... à première vue, c'était tout à fait insensé, de la folie pure ! Plutôt que de retourner vers la grotte, où ils pouvaient au moins établir un campement, ils s’engouffraient davantage dans la jungle. Eileen voulut le lui reprocher, mais Aera la devança :

- Tu es inconscient, tu vas nous faire tuer !

Son avertissement ne suffit pas à l'arrêter dans sa lancée. La silhouette poursuivait sa route d'un pas si gracieux qu'elle semblait léviter au-dessus du sol. D’un coup, elle stoppa sa déambulation et se tourna dans leur direction, avant de disparaître de leur champ de vision.

Eileen sentit sa jambe buter contre un obstacle et faillit en perdre l'équilibre. Elle voulut lever le pied pour l'enjamber, sans y parvenir. Quelque chose la retenait fermement... d'épaisses racines s'enroulaient autour de ses jambes et grimpaient le long de ses hanches. Un cri de surprise lui échappa. Paniquée, elle se débattit, s'acharna pour les écarter avec ses mains, en vain. Elle était bloquée, elle ne pouvait plus bouger ! Désemparée, elle abandonna l'idée de se libérer de ces racines et observa les alentours, à la recherche d'une quelconque aide. Malgré les ténèbres, elle réussit à distinguer les contours de ses camarades à quelques mètres d'elle, immobilisés eux aussi.

- Une élémentaliste..., murmura Erik.

Bien que le noir fût total, la silhouette qui s'approchait se précisait de plus en plus. Et pour cause, à chacun de ses pas, l'herbe se gonflait sous ses pieds et s'illuminait avec intensité, suffisamment pour la voir toute entière. Bouche bée et captivée, Eileen en oublia presque sa situation inconfortable et la jugea de haut en bas : sa peau claire était parsemée de taches sombres comparables à des morceaux d’écorces, recouvrant une partie de ses bras, de son torse et cachant à la perfection ses parties intimes ; si elle en possédait bien, ce que sa forme humanoïde laissait supposer. Ses cheveux bruns relevés en bataille formaient une coiffe haute, élégante et désorganisée à la fois, et elle ne portait aucun vêtement. La voix à la fois douce et forte de la créature retentit :

- Qui êtes-vous et que voulez-vous ?

Quelques tremblements, de peur sans doute, en transparaissaient. Illian tâcha d'adopter un ton posé qui se voulait rassurant :

- Nous ne sommes pas des ennemis, nous venons de Nergecye et souhaitons nous rendre au royaume de Lumeo. Nous venons de la part de Sa Majesté Horace Ell'Mar. Je suis Illian Ell'Tin, anciennement commandant de la garde royale, et je suis déjà venu par le passé, mais il semblerait que ma mémoire me fasse défaut en ce qui concerne l'entrée du royaume.

- Pourquoi n’avez-vous pas envoyé un message annonçant votre arrivée ? C’est la procédure habituelle, vous devriez le savoir.

- Disons que nous avons eu des problèmes de communication, se défendit-il avec maladresse.

L'élémentaliste l'observa une longue minute, avant de se focaliser sur son armure.

- Vous possédez le sceau de Nergecye, marmonna-t-elle. Je suis désolée de vous avoir brusqués, je vous ai pris pour des ennemis.

- Il est normal que vous n'ayez pas retrouvé l'entrée du royaume. Nous la changeons régulièrement pour garantir notre sécurité. Puisque vous venez de la part du roi de Nergecye, je n'ai d'autre choix que de vous guider jusqu’au mien.

Elle fit un signe rapide de la main.

- Suivez-moi.

- Merci, souffla Illian.

Les végétaux se recroquevillèrent, les libérant de leur entrave. Eileen soupira, soulagée, et massa ses cuisses endolories par leur étreinte.

Continuant à éviter les ronces, à écarter les lianes et enjamber les feuilles géantes, ils s’enfonçaient avec plus de sérénité dans le cœur de la jungle, irrépressiblement attirés par cette lumière émanant des pas de l’élémentaliste. C’était comme si la végétation qu’elle foulait gonflait de vie à son contact.

Un piaillement aigu tira Eileen de sa contemplation, lui rappelant à la manière d’une claque qu’ils ne se trouvaient toujours pas en zone sûre. Le côté magique de cette « promenade » s’envola et laissa de nouveau place à la méfiance et la peur. Elle ne s’était toujours pas remise de la mort soudaine et brutale de Gwenähil. Des images lui revenaient encore à l’esprit, et à chacune d’elles, la jeune femme se sentait vidée de ses forces. Elle continuait d’avancer, mais son esprit était ailleurs… Comme hors de ce corps qui déambulait et imitait à la perfection la démarche d’un zombie. Comme si son âme peinait à suivre le rythme qu’on lui imposait. Et, paradoxalement, chaque nouvelle image qui surgissait perdait en précision, en authenticité. Comme si à chacune de leur apparition, Eileen réussissait à se convaincre qu’elles ne s’étaient pas déroulées. Que rien de tout ça n’était vrai. Simplement le fruit de son imagination.

La jeune femme buta contre une racine. Elle pesta à mi-voix, puis s’efforça de rester concentrée sur sa progression.

Seule la lumière générée par l'élémentaliste déchirait l'obscurité inquiétante et leur permettait d'y voir quelque chose à un mètre. N’importe quelle menace pouvait bondir sur eux à tout moment. Eileen frissonna et déglutit avec difficulté, balayant des yeux les alentours dont on ne pouvait presque rien discerner, hormis quelques formes grossières et contours imprécis. Tout semblait se mouvoir, tandis que le moindre son la faisait sursauter. Un craquement de bois, un cri animal, un bruissement de feuilles ou le simple sifflement du vent suffisait à la faire paniquer.


Un quart d’heure plus tard, ils vinrent se ficher devant un arbre immense, au tronc aussi large que la taille d’un homme. Eileen s’avança un peu, dubitative. Il n’y avait aucune ouverture apparente. Ses co-équipiers ne dissimulaient pas non plus leur surprise. Illian l’observa de plus près à son tour.

- Y a-t-il un mécanisme dissimulé ?

Il effleura l’écorce des doigts et hoqueta quand ceux-ci s’évanouirent soudain.

- Voici l’entrée éphémère du royaume, indiqua l’élementaliste. Suivez-moi.

Sans broncher, leur guide marcha droit vers le tronc, suivi par l’ancien commandant. Ils disparurent tous les deux.

Les yeux d’Eileen s’agrandirent.

Ils venaient de traverser un arbre !

Sceptique mais piquée de curiosité, elle osa approcher son index du bois… et le vit se faire engloutir. Un simple chatouillement avait électrisé sa phalange, rien de plus. Il avait traversé l’écorce avec tant de facilité ! Son cœur s’emballa. Elle ramena aussitôt son doigt contre sa poitrine et le serra de son autre main, comme pour se rassurer qu’il était toujours là. Aera s’impatienta :

- Qu’est-ce que tu attends ?

Sans lui laisser le temps d’agir, elle la bouscula et s’engouffra dans le passage invisible. Eileen se sentait incapable de marcher consciemment droit sur un obstacle. C’était insensé ! Malgré tout, elle soupira et prit son courage à deux mains. Son blocage n’était que psychologique. Tout comme Harry Potter lorsqu’il avait dû traverser le mur pour se rendre sur la voie 9 ¾ pour la première fois, pensa-t-elle, un sourire à la commissure des lèvres.

Eileen fit une grande enjambée.

Contre toute attente, la jungle se dissipa et ses pieds se mirent à fouler une terre sèche. Le crépuscule avait laissé place à une luminosité étonnante. Des murs boisés l’entouraient, tandis qu’un chemin terreux, dont les parois étaient couvertes de tâches phosphorescentes, se dessinait devant elle. Un peu plus loin, les pas de l’élémentaliste continuaient d’illuminer le sol. Sa voix cristalline résonna :

- Ne trainez pas, s’il vous plaît.

Annotations

Vous aimez lire Elwenwe ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0