4ème partie (fin)
J’émergeai péniblement avec un mal de tête lancinant et la bouche cotonneuse. Mes oreilles bourdonnaient sur la mélodie de Daddy Cool de Boney M. Je me relevai de mon siège et clignai des yeux, ne voyant que dalle. Je commençai à m’affoler, mais je finis par enlever le masque de sommeil en satin rose qui occultait ma vue. Roderick, le visage soucieux, était penché sur moi.
― Tu vas mieux ? s’inquiéta-t-il.
― C’est quoi ce délire ?
― Et ben, tu crois quoi mon pote, je n’ai pas oublié ton anniversaire.
― Enfoiré, c’était pas la peine de m’assommer !
― Tu allais ouvrir ton cadeau, vilain canaillou ! me gronda-t-il gentiment en me tendant le fameux paquet.
Je contemplai la salle de réception des Usher décorée pour l’occasion. De nombreux ballons ornaient les murs et des spots diffusaient un subtil éclairage coloré. Une grande variété d’amuse-gueule et un énorme saladier de punch recouvraient la plus longue table. Maintenant, je comprenais mieux pourquoi Norman Bates m’avait interdit l’accès à la cuisine.
Sur une petite estrade aménagée pour la soirée, une mamie en jogging rose, appuyée sur son déambulateur, mixait derrière les platines. J’hallucinais grave. Les invités arrivaient peu à peu, et je reconnaissais mes copains du lycée. À mon grand désarroi, toujours aucune trace de Madeline.
Je finis par déballer mon cadeau sous le regard impatient de Roderick qui jubilait d’avance. Il ne fut pas déçu en voyant ma mine réjouie devant la magnifique poupée vaudou qui ressemblait à mon ex-femme. Il avait tapé dans le mille, car cet objet figurait en tête de ma wishlist.
― Madeline s’est débrouillée comme une cheffe pour obtenir une mèche de cheveux de Kate, m’expliqua-t-il avec fierté. Alors cette poupée te plait ?
― Tu n’as pas idée, je l’adore !
― Super !
― Au fait, Madeline n’est pas là ?
En guise de réponse, il toussota et dévia habilement la conversation :
― Hé, regarde ça !
Il pointa du doigt Norman Bates et Julio le sabreur qui transportaient, à l’aide d’un chariot, un gigantesque gâteau en forme de cercueil. Trop la classe ! Des roses noires et des crânes en pâte à sucre décoraient cette appétissante pâtisserie chocolatée. Moi qui avais été privé de dessert à midi, c’était un appel irrésistible à la tentation. Et je me sentais bien faible face à ce péché mignon. Je devais y céder.
Pendant que je m’approchais de l’objet de mon fantasme culinaire, le couvercle du cercueil se souleva. Je manquai de défaillir devant l’insolite de la scène.
― Joyeux anniversaaaiiiiiire ! s’égosilla Madeline qui surgit du gâteau comme un diable de sa boîte, sous les applaudissements des invités.
Je ne m’attendais pas à une telle surprise. La jeune femme, habillée d’une robe verte à sequins, était rayonnante et souriait de toutes ses dents. Bouleversé de la revoir, je me retrouvais décontenancé par un trop plein d'émotions, passant du rire aux larmes.
― Faut pas pleurer le jour de son anniversaire, déclara-t-elle en m’étreignant.
― Je me suis fait un sang d’encre pour toi !
― Je crois que tu as besoin d’un petit remontant.
― Et d’un gros câlin aussi, murmurai-je.
― N’abuse pas de la situation, ricana Roderick.
Entretemps, Julio se saisit d’une bouteille de champagne et récupéra son arme tendue par Norman. Il regarda l’assistance, théâtral dans ses mouvements, pour le rituel du sabrage. Son manège me laissait de marbre, même si je n’étais pas contre une petite coupette de ce délicieux breuvage.
D’un revers de la lame, il fit péter le bouchon qui fusa à toute volée vers le plafond, s’improvisant en mini-catapulte. Du plâtre se détacha en pluie de cotillons blancs sur l’ensemble des personnes présentes. Ce fâcheux incident provoqua l’hilarité générale. Dès que l’occasion se présenterait, je me ferais un malin plaisir de chambrer cet abruti de Julio.
En tout cas, c’était une super fête à la maison Usher.
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