Chapitre 20 : Vienne
Tom et Hardy aperçurent enfin les murs du Hofburg, palais et résidence d’hiver de l’Empereur du Saint-Empire Romain Germanique et Archiduc d’Autriche, Joseph II, à la veille de Noël. Ayant quitté Paris peu de temps après les révélations de Mme Necker, ils avaient dû affronter un climat plus rude au fil des jours, la température descendant un peu plus à mesure qu’ils avançaient vers l’Est. A Stuttgart, ils avaient été immobilisés une semaine par une tempête de neige, et c’est dans un paysage enneigé qu’ils avaient traversé la Bavière et l’Autriche, devant changer régulièrement de monture, de peur que celles-ci ne meurent de froid. Bien évidemment, une fois hors de France, Hardy avait repris son titre de comte d’Essex, et la notoriété de ce dernier leur avait valu un bien meilleur accueil dans les cités inféodées aux différents royaumes d’Europe Centrale. Ils étaient invités à la table des seigneurs et dormaient dans des lits plus confortables que les austères auberges qu’ils avaient connues à Reims ou encore Metz.
John Hardy se fit donc annoncer au palais, et fut reçu par Marie-Antoinette d’Autriche, dernière fille de Marie-Thérèse d’Autriche et sœur cadette de Joseph II. L’empereur, pour sa part, avait décidé de passer Noël à Prague, afin de visiter ses terres de Bohême. Le comte d’Essex, ainsi que son neveu, furent invités à l’une des premières représentations du concerto pour piano n°22 de Mozart, écrit quelques jours plus tôt, à l’occasion du séjour du compositeur à Vienne. En annonçant à Marie-Antoinette qu’il était au courant que le prodige de Salzbourg composait un Opéra d’après la pièce de Beaumarchais, il entra dans les faveurs de la princesse en tant qu’amateur de musique classique, qui les invita dans sa propre loge de la salle des Redoutes du palais. Noël, à Vienne, était empreint de magie et les décorations de la ville et du palais reflétaient le faste et le raffinement de l’archiduché.
Après le concert, ils dinèrent en compagnie de Marie-Antoinette et de sa sœur ainée, Marie-Christine d’Autriche, épouse du duc de Teschen, et d’un grand nombre de ducs de l’Empire, invités pour l’occasion.
— Mon cher comte d’Essex, que nous vaut l’honneur de la visite d’un notable Britannique par-delà le Tyrol ? Nos deux pays ne sont pas les plus grands alliés, depuis la guerre de sept ans, et depuis la trahison d’Amiens, comme nous aimons l’appeler.
— Il est vrai que nos intérêts ont souvent différé, par le passé, mais ce n’est pas de politique que je viens vous parler aujourd’hui, mais d’amour et d’histoires anciennes. Avez-vous entendu parler du comte d’Oxford ?
— Évidemment, répondit Marie-Antoinette. C’est l’homme qui est venu, il y a quatorze ans, réveiller la douloureuse blessure que mon cœur tentait de refermer. C’était également à Noël.
— Je suis navré de réveiller en vous de tristes souvenirs, mais voyez-vous, ce cher Oxford était à l’époque chargé d’une mission de la plus haute importance, pour nous autres, et il a récemment disparu sans pouvoir nous faire le récit de ses découvertes. Aussi vais-je devoir vous demander de bien vouloir avoir l’obligeance de me raconter ce que voulait savoir Oxford.
— Il suffit ! cria Marie-Antoinette, jetant violemment sa cuillère en argent sur la table, ce qui brisa en deux la soupière de porcelaine et répandit du potage sur une bonne partie des invités, surpris par l’hystérie soudaine de leur hôtesse.
La princesse se leva et laissa là ses hôtes, qui ne surent pas s’il convenait de poursuivre le dîner ou de quitter la table.
— Joyeux Noël, annonça la pétillante Marie-Christine, levant son verre et invitant ses convives à faire de même.
Dès lors, John Hardy n’osa plus mentionner le comte d’Oxford. Marie-Antoinette refit une apparition quelques minutes plus tard, après avoir changé de robe, mais sans avoir pu masquer les traces de larmes sur ses joues, dont le maquillage abondant avait coulé. Le repas se termina par la messe de minuit, puis les invités se dispersèrent.
Une fois dans leurs appartements, Tom osa demander à John la question qui le taraudait depuis le concerto de Mozart.
— Qui est cette Marie-Antoinette ?
— C’est la sœur de l’Empereur, lui répondit le comte. C’est elle qui était censée épouser le roi Louis, avant qu’il ne revienne en France pour son mariage avec Elizabeth. Il se dit qu’elle aurait si mal pris la nouvelle qu’elle se serait cousu elle-même les organes génitaux, jurant de ne jamais prendre de mari. Depuis, elle reste à la cour de son frère et règne avec lui depuis la mort de leur mère, Marie-Thérèse. Tu as pu avoir un aperçu de l’étendue de sa folie, tout à l’heure, et je me demande bien comment nous allons pouvoir tirer des informations de cette femme. Il va nous falloir œuvrer avec patience, ruse et charme, pour apprendre ce qu’Oxford était venu apprendre à Vienne.
De la patience, il leur en fallut, pour arriver à leurs fins, mais de ruse ni de charme, Essex n’eut point à en user, car les réponses à ses questions vinrent d’elles-mêmes, à la veille du Nouvel An. Retranché dans la grande bibliothèque du palais, le comte était occupé à écrire à Elizabeth son rapport de la situation, faisant état de la folie de Marie-Antoinette à laquelle il se heurtait, lorsque Marie-Christine entra dans la pièce, ferma la porte dernière elle, et remisa la clef dans l’ouverture de son corset.
— Mon cher Essex, l’interpela la sœur de Marie-Antoinette. Comment avancent vos recherches ? En avez-vous appris davantage sur les raisons qu’avait Oxford de venir importuner ma jeune et fragile sœur, il y a quatorze ans de cela ?
— Hélas, non, répondit le comte.
— Avez-vous essayé de reparler à ma sœur ?
— Non, je n’ai pas osé raviver le douloureux souvenir que Louis a laissé en elle comme une plaie béante qui ne cicatrise pas.
— Vous êtes un homme bon, Essex. Je vous ai observé, toute cette semaine, et je vais vous avouer que je me suis quelque peu amusée de vous voir ainsi piétiner dans votre enquête. Mais la plaisanterie a assez duré, et je vais de ce pas apporter les réponses aux questions que vous vous posez.
— Que… Quoi ? Comment ? Vous… vous savez ce que votre sœur…
— Faites attention, Essex, je crois que vous perdez votre Français, mais cela vous siérait-il plus que nous continuions cette conversation dans la langue de votre beau pays ?
— Avec plaisir, répondit Hardy. Je dois vous avouer que je ne maîtrise pas l’Autrichien, et que le français me reste dans la gorge avec un arrière-goût douloureux.
— Hahahahahaha s’esclaffa Marie-Christine. En Anglais, donc. Tout d’abord, savez-vous ce qui a rendu folle ma sœur et impossible son mariage avec Louis.
— Évidemment, c’est de notoriété publique. La perte de son fils héritier, Philippe, a rendu fou de chagrin le Roi de France, qui a voulu signer la Paix d’Amiens, a demandé à Louis de rentrer à Paris, et a orchestré son mariage avec Elizabeth, privant la jeune Marie-Antoinette de son trône à Versailles.
— Sachez, mon cher Essex, que l’histoire que vous me racontez là, est largement répandue, mais qu’elle est fausse, complètement fausse. Ce que Louis et son père n’ont jamais dit publiquement, c’est que le mariage avec Marie-Antoinette a été annulé par ma mère, Marie-Thérèse, et cela juste avant le retour du prince Louis à Paris. Cela, peu de gens le savent, et vous avez devant vous l’une des rares initiées.
— Comment ? répondit Essex, visiblement surpris. Mais qu’est-ce qui a fait annuler le mariage ?
— Pour cela, il vaut que je vous raconte l’histoire depuis son début, et elle commence bien avant ce mois de mars 1770 qui aura vu ma famille se faire humilier par le prince. Mais laissez-moi vous la conter.
La duchesse de Saxe servit à son invité une tasse de thé brûlant, avant de se servir à son tour. Elle ajouta un carré de sucre qui fondit presque instantanément au contact du liquide brun, et remua avec application au moyen d’une cuillère en argent. Elle prenait délibérément un temps infini pour réaliser ces actions, regardant avec insistance John Hardy, qui ne tenait plus en place.
— Bien. Rappelez-moi ce que j’étais en train de vous dire ? demanda-elle sur le même ton provocateur qu’elle avait eu au début de leur conversation.
— Vous vous apprêtiez à me conter comment votre sœur avait perdu la raison, et comment votre mère avait annulé le mariage avec le Prince, répondit Essex qui trépignait d’impatience.
— Ah oui, c’est vrai. Si vous saviez comme je peux être distraite, parfois. Il m’est arrivé, un jour d’oublier un petit coffret à bijoux dans…
— Pardonnez-moi, la coupa John. Mais je crois que vous divergez. Racontez-moi cette histoire de mariage, je vous prie.
— Pardon, s’excusa la duchesse. Bien. Reprenons l’histoire à son commencement. Avez-vous entendu parler de la Guerre de Succession d’Autriche ?
— Évidemment, répondit Hardy, et je ne vois pas ce que cela a à voir avec notre histoire. Louis était un poupon et Marie-Antoinette n’était pas encore née.
— Mon cher comte d’Essex. J’apprécie hautement votre compagnie, mais si vous persistez à me couper sans arrêt, je vais devoir abandonner l’idée de répondre à vos questions.
— Pardonnez-moi répondit le comte.
— Voulez-vous que je vous raconte cette histoire, oui ou non ?
— Oui.
— Voulez-vous bien m’écouter la raconter en entier sans m’interrompre ? demanda-elle.
— Je vous écoute.
— Bien, alors voilà. La guerre de succession d’Autriche. A la mort de Charles VI… Si vous avez des questions, je vous autorise à me couper, bien évidemment. Je ne vous tiendrai pas rigueur si vous souhaitez plus de détails ou si certains points vous restent obscurs.
— Je vous en prie, répondit Oxford, qui tentait de rester calme.
— D’accord. A la mort de Charles VI… On me dit souvent que je me perds dans les détails de mes histoires, j’espère que vous ne m’en voudrez pas trop, reprit Marie-Christine.
— Allez-y, je vous en supplie, racontez-moi cette histoire qu’on en finisse.
— Pardonnez-moi. A la mort de Charles VI, donc, qui n’avait aucun héritier masculin, la Pragmatique Sanction édictée par l’Empereur fut appliquée, et ma mère fut nommée « Roi » de Hongrie, reine de Bohême et de Croatie, et Archiduchesse d’Autriche. Mais les possessions de ma jeune et alors naïve mère furent rapidement contestées, notamment par le nouveau Roi de Prusse, Frédéric II, qui annexa la Silésie, déclenchant le conflit au cours duquel vous fûtes nos alliés, et la France notre adversaire, aux côtés de la Saxe, de la Prusse et de la Bavière. En 1748, ma mère renonça à la Silésie, et la paix fut signée. J’avais alors six ans et Louis huit. Même si nos deux pays s’étaient opposés pendant la guerre, un rapprochement avait commencé à s’opérer sitôt la paix signée à Aix-la-Chapelle. Louis et moi avons passé une grande partie de notre enfance ensemble, lors de ses visites estivales à Vienne ou Prague, ou au cours de mes retraites hivernales à Versailles, et nous avions lié une profonde amitié, toute enfantine qu’elle fût. Louis était un confident et un ami, qui avait d’ailleurs orchestré mes fiançailles secrètes avec le duc de Wurtemberg, que mes parents ont refusé par la suite pour me marier au duc de Saxe-Teschen qu’ils estimaient un meilleur parti. Les relations entre nos deux pays s’étaient améliorées au point que nous fumes unis dans la défaite au cours de la guerre de sept ans, où Louis fit l’apanage de ses talents militaires.
Connaissant parfaitement cette partie de l’histoire, John Hardy tentait d’écouter le plus attentivement possible son hôtesse, se demandant quand elle consentirait à lui faire part des éléments qu’elle promettait depuis bientôt une heure, et dont il commençait même à douter de la véracité. Consciencieusement, il sirotait son thé, les yeux rivés sur la duchesse, qui semblait passionnée par son récit.
— Après la guerre de sept ans, les puissances européennes se retrouvèrent toutes en proie à des dettes phénoménales, et la mise à contribution des colonies eut un rôle important dans la reconstruction du vieux continent. Nous arrivons maintenant à l’été 1769, qui fut l’initiateur de l’histoire qui nous intéresse. Comme vous le savez certainement mieux que moi, la sécheresse inhabituelle qui avait sévi sur la Grande-Bretagne, cette année-là, avait décimé vos récoltes, et la guerre de course imposée par le Français aux Caraïbes, ainsi que la colère montante des colons des treize colonies avaient motivé la déclaration de Guerre de l’Angleterre à la France, Guerre que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Guerre du Lys et de la Reine des Épines. Ainsi donc, faisant face au débarquement des troupes Anglaises au Sud de la Manche, et au siège subi par son fils à Boulogne, le Roi de France avait-il décidé d’envoyer à Vienne son fils cadet et Amiral de France, Louis, afin de négocier le soutien de l’Autriche dans ce conflit. Et c’est au mois de mars 1770 que le prince Louis arriva à Vienne, accompagné de sa suite.
— Bien. Et que s’est-il passé, demanda John Hardy dont l’impatience pointait de nouveau.
— J’y viens mon bon Essex, j’y viens. Nous célébrions avec chagrin l’anniversaire de ma sœur cadette Marie-Josèphe, décédée trois ans plus tôt quand Louis a fait son entrée dans le palais. Il était averti de ce funeste anniversaire, et entra sur un cheval noir, dans un uniforme militaire entièrement noir, et offrit à ma mère un bouquet de glaïeuls, sa fleur préférée. Bien évidemment, ma sœur Marie-Antoinette, alors âgée de quatorze ans, tomba éperdument amoureuse du beau Louis, à qui elle était promise. Pour ma part, j’étais heureuse de retrouver mon ami d’enfance et mon confident, provoquant la colère de ma sœur, jalouse, à qui Louis n’accordait pas un regard. En effet, les regards de Louis ainsi que toute son attention étaient concentrés sur une jeune fille de sa suite, une élégante jeune femme au teint hâlé, aux yeux verts, et à la magnifique chevelure châtain.
— Éléonore ! laissa échapper le comte.
— Je vois que votre enquête a bien avancé, Essex ! Oui, c’était Éléonore. Marie-Antoinette avait remarqué les regards que portait Louis à cette jeune femme de basse naissance qu’il faisait asseoir à ses côtés, humiliant publiquement ma sœur, ma mère et mon frère, Léopold, qui régnait conjointement avec notre mère. Mais nous supportions tous ces affronts répétés du prince, sachant pertinemment qu’une fois le mariage prononcé, nous aurions réussi à étendre les branches de la famille Habsbourg jusqu’à Versailles. Mais Louis nous fit un dernier affront, qui fit voler en éclats la promesse de notre union, et le destin de l’Europe. Au début du mois d’Avril, il ne s’est pas présenté à la cérémonie devant attester de la virginité de ma jeune sœur, préférant la compagnie de son amante, ce qui jeta l’opprobre sur toute ma famille. La colère de ma mère était telle qu’elle renvoya Louis du palais avec ses gens sans autre forme de procès, et hésita même à proposer à l’Angleterre une alliance militaire. Ma sœur, de son côté, a perdu la raison et a procédé aux horribles mutilations de son corps que l’on relate dans toutes les cours d’Europe.
— Bien. Ainsi donc Éléonore était l’amante de Louis, à cette époque. Mais n’y avait-il pas un banquier qui tournait autour de la jeune courtisane, demanda Essex.
— Un banquier, oui, il y en avait un. Un ami de Louis. Mais il n’a jamais tourné autour d’Éléonore, Louis ne l’aurait jamais permis. Il était trop fier et amoureux pour cela. Cependant, ce banquier, dont vous parlez avait affaire avec une autre des femmes de la suite du prince, mais cette dernière, si mes souvenirs sont justes, est décédée lors de leur retour à Paris.
Si le banquier n’a jamais réellement eu d’aventure avec Éléonore, se pourrait-il qu’Oscar soit le fils de Louis. Et que le roi ait par la suite demandé au banquier de prétendre à la paternité de l’enfant, pour brouiller les pistes aux yeux d’Elizabeth ? Pourquoi pas. Mais cela ne résout pas la question concernant ce qui a pu pousser Oxford à défendre avec autant d’ardeur la jeune femme et son bâtard.
— Mais… avant de venir à Vienne, savez-vous où était Louis, avec Éléonore ? demanda Hardy.
— Je sais qu’il avait été envoyé par son père en Italie, un an plus tôt, discuter de la reddition des ducs de Savoie, mais je dois vous avouer que malgré toutes les informations dont je dispose, je ne puis vous dire où était Louis, pendant les mois qui ont précédé son retour à Vienne.
— C’est fâcheux, répondit le comte.
— Voyez-vous ? dit Marie-Christine, avec un sourire malicieux.
— Je ne sais pas par où poursuivre mon enquête. Je me demande bien comment Oxford a pu apprendre où était Louis pendant cette année, et surtout, s’il était avec Éléonore.
— Je ne peux malheureusement pas vous répondre, lui dit la duchesse.
— Je comprends, lui répondit Hardy, déçu. Merci tout de même pour vos informations. Mais il se fait tard. Je vous souhaite une bonne nuit.
Il se leva et se dirigea vers la porte de la bibliothèque dont il actionna la poignée avant d’être interpelé par Marie-Christine.
— Vous m’abandonnez bien vite, Essex. Revenez donc prendre une tasse de thé.
— Comment ? Que vous voulez que je fasse ?
— Rien. Asseyez-vous, mon cher. Vous vous demandiez comment Oxford avait pu apprendre où était Louis avant de venir à Vienne, c’est juste ?
— Oui, effectivement mais…
— Et je vous ai répondu que je ne savais pas personnellement où était Louis avant de venir à Vienne.
— Encore une fois, ce que vous dites est véridique, mais je ne vois pas où vous voulez en venir, répondit Essex.
— Je ne connais certes pas personnellement ces informations, mais il se pourrait que je connaisse quelqu’un qui pourrait répondre à vos interrogations.
— Quoi ? Vraiment ? mais pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt.
— Mon cher Essex, si vous saviez quel plaisir j’ai à vous torturer. Vous me donnez le bâton pour vous faire battre, alors, je ne vais pas m’en priver.
John réfréna ses envies de remettre cette insolente duchesse à sa place, bien trop conscient que son interlocutrice faisait exprès de le mener en bateau. Il attendit patiemment qu’elle reprenne la parole.
— Il se trouve qu’il existe, ici, à Vienne, une personne qui était dans la suite du prince Louis.
— Vraiment ? et de qui s’agit-il, demanda Essex.
— C’est Victor-Amédée III, roi de Sardaigne, duc de Savoie et souverain de la principauté du Piémont et du comté de Nice.
— Il est ici ? demanda John Hardy. En Autriche ?
— A Vienne, pour être exacte, répondit la duchesse. Il n’a pas quitté la ville depuis sa venue avec la suite du prince Louis. Le malheureux est tombé éperdument amoureux de la jeune Marie-Antoinette, qui venait d’être reniée par le désormais détenteur du trône de France. Après avoir été chassé du palais avec le prince, il est revenu le lendemain se présenter à ma mère et à mon frère pour leur demander la main de ma sœur. Il était prêt à tout pour venger l’affront fait par Louis à ma famille, quitte à remettre en cause la récente paix qu’il avait signée avec la France. Il a promis à ma mère de prendre les armes contre la couronne, si elle le souhaitait. Ma mère et mon frère ont accepté le mariage, mais c’est ma sœur qui a refusé les avances de cet homme, de près de trente ans son aîné. Cependant, le duc n’a jamais abandonné et a été pris d’une sorte de folie tout aussi étrange que celle de ma sœur, se présentant chaque jour devant elle et lui demandant sa main, et faisant face chaque jour au refus de Marie-Antoinette. Vous le trouverez, demain à huit heures dans la salle du trône. C’est là qu’il fait à ma sœur sa demande, tous les jours sauf le dimanche depuis bientôt seize ans. A moins que… hélas, demain est un dimanche, il vous faudra attendre lundi.
Le lundi suivant, donc, John Hardy et Tom attendirent dans la salle du trône l’arrivée du fameux duc de Savoie. En effet, à huit heures pile, ce dernier fit son entrée dans la pièce, s’avança jusqu’au trône occupé par Marie-Antoinette, dégaina son épée et s’agenouilla devant la princesse. Comme chaque jour, et la nouvelle année ne fit pas exception à la règle, cette dernière refusa avant de quitter la pièce. John Hardy se précipita vers le prétendant, et l’invita dans une pièce plus discrète du palais. Après lui avoir expliqué sa situation, il lui demanda où avait résidé Louis depuis sa campagne italienne jusqu’à son voyage à Vienne.
— Vous n’êtes pas le premier à me poser cette question, avait dit le duc.
— Je sais, le comte d’Oxford vous a rendu visite avant moi, il y a plusieurs années déjà.
— Oui, répondit le duc. C’est exact. Et je vais vous faire la même réponse que celle que j’ai faite à Oxford. J’ai hébergé en secret le prince Louis avec sa jeune amante, la belle Éléonore, dans mon château de Nice.
Nice, se dit Essex. Voici ma prochaine étape.
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Et voilà, cela faisait longtemps que je n'avais pas publié, et je me suis rendu compte que pas mal d'entre vous étaient déjà arrivés au bout. N'hésitez pas à me faire signe quand vous aurez terminé, que je publie la suite!
A très vite!
Surcouf.
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