La direction

7 minutes de lecture

— Allez bonne chance mec !

Je ne l’entendais même pas, j’étais bien trop occupé par ma mission. Je slalomais entre toutes les personnes debout devant le bar ou en tout cas j’essayais... j’ai dû frôler toutes les épaules que je pouvais, enchaîné par une fausse excuse. Ce n’était pas le moment de m’embrouiller avec un con de rugbyman alcoolisé. Lorsqu’on faisait des slaloms en sport aux collèges et au lycée on ne nous entraînait pas avec de l’alcool dans le sang, ça aurait pu être le seul cours utile. J’ai même dû toucher deux ou trois culs par rebond, mais impossible d’identifier la provenance de ses fessiers. Ma sueur mélangée à ceux d’inconnu, je bifurquai dans une petite ruelle pour enfin respirer. Le contraste me laissa une étrange impression. J’avais maintenant l’impression d’être seul au monde, un lampadaire au loin dans la ruelle peinait à éclairé mes pas.

Un bruit de bois sur les les pavé brisa le lourd silence dans le quelle j’étais plongé serait-ce une canne sur les pavés ? J’espère que ce n’est pas lui…

— Hey jeune !

Et merde… c’était Abdé, pas méchant, mais chiant. Il est venu seul du Maroc quand il avait 15, il a été placé en foyer. Il a ensuite commencé à bosser à l’usine, où il s’est blessé à la jambe. En parallèle il a rencontré la femme de sa vie, mais, ils ont rompu au bout de 5 ans à cause de la cock. Maintenant il vend du chit et parle à qui veut bien écouter.

Encore là je vous le fais en résumé. Vous l’aurez compris, il m’a raconté sa vie plusieurs fois. Mais ce soir, ce n’était pas le moment, je me devais d’atteindre mon but avant qu’il ne soit trop tard.

Il se mit devant moi. La ruelle était étroite, mais je devais avoir la place de passé à côté de lui.

— Tu t’appelles comment déjà ?

— Picon, je suis désolé, mais je n’ai pas trop le temps. Il faut que je te laisse.

J’eus à peine le temps d’entamer mon pas qu’il se décala pour me bloquer le passage. Il peut être agile quand il veut le vieux.

— Je t’ai pas raconté, la dernière… La famille de gitan qui habite au-dessus, tu sais combien il gagne en alloc ? Alors que ça ne fait pas plus de 2 ans qui sont en France. Moi ça fait 45 ans que je suis arrivé dans ce pays et je galère toujours autant. En plus leur fils il…

Parait-il, il ne faut ni pousser les handicapés ni les personnes âges. Je me retins alors et essaya d’être le plus délicat possible dans mes paroles.

— Il faut vraiment que j’y aille, je suis pressé.

Je lui fis une feinte vers la gauche pour partir à droite en longeant les murs.

— Ouais c’est ça… T’es comme le petit Antoine, avant il était sympa et….

Sa voix s’estompa sur une proposition de commerce. Je pus me remettre en direction de mon objectif.

Le temps m’étant de plus en plus compté, j’accélérai mon pas à la limite entre la marche rapide et la course. Pourquoi ne pas courir si c’était autant urgent me direz-vous ? Jamais ! J’ai passé toute mon adolescence à me battre avec mon prof de sport pour ne pas avoir à faire cette idiotie. Nous sommes en 2020, il y a tout un tas de moyens de locomotion. Dans ma poche se trouve un moyen de communication internationale qui plus est connecté sur un réseau me permettant d’accéder à la quasi-totalité des informations que je veux, et il faudrait que fasse quelque chose d’aussi trivial que de courir… Hors de question !

De toute manière ma marche rapide fut vite freinée, les quelques litres de bière consommés un peu plus tôt commencèrent à faire son effet. Je me sentis à la fois lourd et ivre. Accoudée à un mur faisant l’angle d’un petit restaurant corse, ma vue commença à se troubler. Ça ne m’empêcha toutefois pas de voir deux salopes me regarder de travers avant de ricaner une fois le dos à moi. Elle devait avoir mon âge et un cerveau aussi gros que leurs tétons. Je ne les décrirai pas plus sinon on va m’accuser de les juger injustement sur leur physique. Je laisse donc votre imagination travailler, je suis certain, vous avec chacun votre propre image d’une salope, même les salopes.

Bref, maintenant que j’avais terminé de mater son cul moulé dans s … Oups j’ai failli gaffé… Et oui une salope peut être agréable à regarder, la vue peut prendre du plaisir tant qu’on n’a pas à se servir de notre ouï.

Je continuai ensuite tant bien que mal ma route.

Un SDF dans un parc de l’autre côté de la rivière arrêta tous les passants pour leur déblatérer toute la haine qu’il avait pour la société. En voilà un dans un état bien pire que moi, toutefois si j’étais à ça place je serais dans un était bien pire que lui. Mais mon attention fut attirée sur ce qu’il avait dans sa main… sa bouteille de villageoise était vide. Comment toutes ces personnes pouvaient ignorer ce pauvre homme en manque de carburant ? En tant que citoyen français, je me devais de remédier à ce problème. Je traversai le petit en pont en bois menant au parc. Un mec tenant sa copine par la taille cogna mon épaule. Il n’était même pas foutu de se détacher trente secondes de sa pouf pour marcher en file indienne. Il a tellement peu confiance en elle et en son couple qu’il a peur de la lâcher au risque qu’elle se barre. Je lui en aurai bien dit deux mots, mais mon épaisseur de sandwich SNCF m’en dissuada si je ne voulais pas être jeté à l’eau comme une pièce lancée pour faire un vœu. Une fois dans le parc je sortis quelques sous de mon porte-monnaie pour qu’il puisse se prendre une bouteille et une canette. Mais il était maintenant introuvable. Seule une petite vielle était là, promenant sa serpillière de chien. Merde, encore du temps perdu pour rien.

L’odeur de la pomme chimique m’indiqua que l’épicerie n’était plus loin. En effet après avoir tourné dans une ruelle, une dizaine d’énergumènes en survêtement se délectait d’une chicha assis sur leur chaise pliable. Me voyant passé, la majorité me salua. J’étais un client régulier et même si ça n’a pas l’air ils ont le sens du commerce.

Putain, depuis quand cette ville est-elle aussi grande ? Est-ce que je suis sur la bonne route au moins ? Peu importe, me prendre la tête me fait perdre mon temps.

Ça y est j’avais retrouvé le SDF de toute à l’heure. Il n’a apparemment plus besoin de mes sous. En effet la voie orale a été remplacée par la voie intraveineuse. Son corps immobile allongé sur un vieux pled et entouré de déchet était à l’exposition de tous.

« L’homme de la rue et ses seringues » : Un tableau aussi beau que triste qui ne manquait pas d’attirer l’attention des passants, moi y compris. Ils y allaient de leurs petits commentaires tous plus débiles les uns des autres. Entre ceux qui le plaignaient comme pour un chien abandonné au bord de la route et ceux qui se payaient de sa tête. Pourtant, tout comme une œuvre d’art il est vain de vouloir mettre des mots dessus. Il suffit de laisser nos émotions s’exprimer intérieurement. Au lieu de gerber des inepties philosophiques pour un sou.

Mais à travers tout ce tableau tragique s’y trouvait tout de même un point positif. J’y étais, ça y est, mon St Graal, mon one piece, se trouvait juste devant moi. Cependant l’accès m’était bloqué indiqué par un voyant rouge. Le dernier gardien sera la patience… Il n’y avait pas de couleur plus paradoxale que le rouge. Elle représentait à la fois la rose, l’amour, mais aussi la violence et l’interdiction.

Après un bruit de cascade, la porte s’ouvrit enfin, une femme habillée comme un mormon apparut. Dès qu’elle me vit, elle regarda le sol en accélérant le pas. Je n’avais plus le temps de m’arrêter sur ce genre de détail, il fallait que je rentre. Je fus d’abord accueilli par une odeur capable de me ronger le cerveau. À force d’être restée bloqué dans les années 60, la religieuse a dû pourrir de l’intérieur. Un pas en arrière, une aspiration, et c’était reparti. Le lieu n’était pas très feng chui. Éclairés seulement par une loupiote clignotante, les murs jadis blancs ressemblaient maintenant à des murs de cachots. Tout en contenant ma respiration, j’avançais, un miroir sur ma route me montrait un zombie. Ça y est j’ai compris la porte que je venais de traverser m’avait transporté dans un monde post apocalyptique. Devant la cuvette, j’ouvris ma braguette et déferlai ce que j’avais accumulé depuis tout ce temps. Un poids se libéra en moi, un profond sentiment de félicité parcourra mon corps. Ce dernier qui ne pouvait s’empêcher de se balancer en avant et en arrière, m’en foutant au passage sur mes converses neuves et colorant mon jean loin d’être neuf.. Cependant, je m’en rendis compte seulement une fois sorti. À ce moment même le monde pouvait s’écrouler autour de moi (si ce n’était pas déjà fait), ça m’aurait été égal.

Une fois dehors je redécouvris le monde, les étoiles, le bruit de la rivière, la sensation du vent, les maisons de villages et même les gens.

Le petit bâtiment en acier derrière moi, j’étais prêt à me remplir une nouvelle fois.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire komokiki ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0