FIN Arc II, chapitre 25 : Le couronnement.

22 minutes de lecture

La grande porte s'ouvrit enfin, poussée par Abraham et Rockart. Après de longues heures d'attentes et de fête, le couronnement allait commencer. Les convives se tournèrent avec anticipation, impatients de voir la future reine pathétiquement accompagnée. Cependant, les rires se turent en la voyant, les yeux s'écarquillèrent et un silence choqué s'installa, ponctué uniquement par les coups incessants de la canne. L'originalité n'était plus qu'un maigre mot devant la séduisante abomination qui marchait devant eux.

Comme s'il s'abaissait pour observer lui-même la princesse, le soleil couchant entrait dans la salle du trône. Il baignait l'allée d'une lumière orange enflammée, tout comme les cheveux de l'aveugle. Sa couleur argent semblait s'être embrasée, captivant le regard de la foule comme des papillons attirés par la lumière.

La coupe avait été raccourcie sur les côtés, ne laissant qu'assez de longueur pour couvrir le crâne, le dessus était un peu plus long et s'achevait en une élégante queue de cheval de quelques centimètres. La sobriété de sa tenue permettait à son visage légèrement maquillé d'exposer sa beauté à tous. Une certaine hésitation se lit sur leurs visages, était-elle la même personne qu'au bal ?

Sa tenue s'était également métamorphosée, passant d'une robe richement décorée par un ensemble noir, sombre et imposante. De dos, sa cape en plumes de corbeau lui donnait une carrure d'homme fort, alors que de face; sa féminité frappait les esprits avec un corset pourtant masculinisé avec des sangles et une ample ceinture, à laquelle était accrochée le fourreau de l'épée Damoclès. La lame se glissait le long du pantalon en cuir accompagné par ses bottines, parfaitement ajustés pour ne pas toucher le sol.

Dag se retrouva bouche bée devant la future reine, incapable de se lever du trône, incapable d'émettre le moindre son. C'est Chloé qui le sortit de sa torpeur d'une main tremblante, le priant du regard de faire quelque chose. Le roi savait cependant que tout était trop tard, et qu'il fallait continuer quoiqu'il en coûte. S'appuyant une dernière fois sur son trône, il s'élança en avant et marcha à sa rencontre, tout en silence. Quand il s'avança face à la future reine, les autres nobles se réveillèrent à leur tour, muant leur surprise par du mépris et de la colère. Certains trop alcoolisés murmurèrent même des médisances, loin des oreilles royales.

- Es-tu prête ? Demanda Dag en toisant de haut son héritière.

- Je le suis.

Sur ces mots, elle s'agenouilla devant son roi et dégaina son épée.

- Je suis un vieux serpent et mon temps est dépassé.

- Je suis un jeune serpent et mon temps est arrivé.

- Je ne peux plus défendre mon royaume et voguer.

- Je jure de défendre mon royaume et voguer en son nom.

- Car l'âme du royaume doit être préservée dans toute sa splendeur.

Les deux voix se mêlèrent sur la dernière phrase, dans un doux décalage d'octave, mais la puissance solennelle de leur voix était ici comme un mariage d'idéaux, celui d'un royaume prospère et fort, comme eux.

La princesse se redressa, l'arme au poing et sa canne prête à bouger. Le roi fit volte-face et marcha droit, sans regarder en arrière jusqu'à son trône derrière lequel il se plaça. La future reine le suivit au bruit, tâta un peu de la canne pour trouver le trône et s'y assit, bombant fièrement la poitrine.

D'un mouvement de tête, le roi avertit deux hommes à la porte qu'il était temps. Sans que personne ne se retourne, la seule porte de la salle se ferma.

En silence, Dag retira sa couronne, la leva haut au-dessus du crâne de la princesse, et le déposa en douceur sur celui d'une reine. Il s'avança ensuite à côté du trône, descendit de parmi la foule et fit face à Aurora.

- Je salue maintenant la nouvelle reine des îles, proclama-t-il en s'agenouillant. Elle défendra le royaume d'Almer avec sa sagesse, sa force et sa voix.

- Fort règne pour la reine, salua Jobbs Duncan en s'agenouillant à son tour.

Là où tous devaient s'agenouiller, seule une moitié le fit. Chloé resta stupéfaite en voyant le nombre hallucinant de noble qui restait debout en protestation face à la reine. Jamais une telle situation était arrivée avant. Parmi tous ces nobles, le duc Elroy semblait mener la contestation, arborant un petit sourire en coin fier.

Une bonne minute s'écoula, lentement. La nouvelle reine n'ouvrit pas la bouche et regardait un point invisible avec patience. Ils savaient qu'elle attendait la dernière étape du couronnement, pourtant compromise par eux. Le moment était venu pour le Dieu Vent de donner sa propre bénédiction en ouvrant les portes avec sa force naturelle, mais les protestants espéraient éviter la dernière étape du couronnement en refusant de se soumettre à la nouvelle reine.

Le silence en devint embarrassant, des gouttes de sueur perlèrent sur le front ridé de Dag, toujours agenouillé au sol. Comme des murmures, des voix inquiètes et heureuses s'élevèrent, partageant leurs pensées avec leurs voisins.

- Silence, ordonna la reine en tapant de sa canne. Le vent viendra.

Au moment où son dernier mot franchi ses lèvres, un grondement surpris l'assemblée. Les premiers regards qui se tournèrent vers l'extérieur avertirent leurs voisins rapidement. Une stupeur générale s'installa alors que les nobles regardaient le ciel, impuissants. Un éclair rugit au loin, le vent rugit et la pluie éclata sur toute l'île d'Oslaw. La tempête grandit, encore et encore, jusqu'à ce que les verres en tremblent. Soudainement, un troisième et dernier éclair frappa, cette fois-ci proche du palais, trop proche aux goûts de certains qui s'éloignèrent des fenêtres.

Le vent se fit plus fort et insistant que jamais, comme s'il souhaitait faire s'écrouler la salle du trône. Les verres tremblèrent, la porte grinça et les bougies vacillèrent. La poussée se fit de plus en plus pressante, quand soudain tout explosa. La porte s'éclata et projeta ses battants sur le mur avec une force telle que les murs en tremblèrent et les gongs explosèrent. Mais les nobles n'eurent pas le loisir de s'intéresser à l'effondrement des portes à cause des fenêtres qui se brisèrent au-dessus d'eux, projetant ses bouts de verres sur toute l'assemblée dans des cris. Les bougies s'éteignirent et plongèrent l'assemblée criante dans le noir et le vent souffla dans la pièce, emportant la pluie avec lui à l'intérieur et renversant les gens déséquilibrés. La reine elle-même dû tenir sa couronne afin d'éviter que le vent ne la fasse tomber. Aussi rapidement qu'ils étaient arrivés, la pluie diminua et le vent ne devint qu'une brise humide, se retirant doucement de la salle.

Le bazar causé par la tempête avait fait bouger tous les nobles qui s'étaient concentrés dans la partie éloignée des fenêtres. Le silence revenu, ils s'assurèrent de leur bonne santé avant de se rendre compte que la reine attendait toujours, inchangé par les évènements.

- Dag, Interpella Aurora calmement. Finissez le couronnement, j'ai des choses à faire.

L'ancien roi, qui regardait jusque-là la situation, tressaillit en entendant la nouvelle reine. Quelles étaient ces choses à faire ? Dag n'osa pas y réfléchir et s'avança jusqu'à ses côtés. L'air était lourd et étouffant au point que l'ancien roi eut du mal à réciter sa dernière phrase.

- Le reine a été acceptée par le vent, récita-t-il, lui-même pas convaincu par ses paroles. Aurora Damoclès, souveraine des îles d'Almer.

- Vous osez appeler ça une acceptation ?! Rugit Elroy en aidant un vieil homme à se relever. Le Dieu Vent est en colère !

Des protestations s'élevèrent, mais la canne de la reine les fit taire immédiatement.

- Vous semblez oublier que je peux aller le voir, rétorqua-t-elle sans forcer sa voix. Sa colère semblait plutôt dirigée envers les créateurs de toute cette discorde. Cependant, je peux vous promettre que cela ne durera pas. La paix viendra sur mes terres par la justice, et nous commençons dès ce soir.

Elle tapa plusieurs fois de sa canne et un homme cagoulé apparut à l'entrée de la salle. Surpris lui aussi par la pluie, il était trempé jusqu'aux os et sa longue toge dégageait une carrure épaisse. Il avança rapidement, passa à cotés des nobles désemparés sans leur adresser un regard. Ses bottes inondées collaient sur le sol, et le filet qu'il transportait tapait incessamment sur ses talons au rythme de sa marche.

Ceux qui le reconnurent écarquillèrent les yeux, et le visage de Dag pâlit en le voyant arriver. Quand il fut devant la reine, il lâcha son filet au sol et s'agenouilla gracieusement.

- Vos ordres votre majesté, demanda l'homme d'une voix rauque et humide.

- Installez le nécessaire, l'invita-t-elle avec satisfaction.

Sur ces mots, l'homme ouvrit son filet et en sortit trois bûches épaisses et découpées avec parcimonie qu'il disposa au sol, enfin il en sortit un immense objet recouvert d'un tissu noir et épais qu'il retira prestement. Quand la protection fut retirée, l'air jusque-là abondant sembla être aspiré brusquement, coupant le souffle de nombreuses personnes.

Une hache noir unique apparut et les rares personnes qui n'avaient pas encore compris pâlirent à leur tour. le bourreau était arrivé.

- Rockart expliquez les faits, ordonna la reine.

La foule se tourna vers lui comme un seul homme, consterné. Le général sentit son corps frémir et ses jambes se ramollirent alors qu'il s'avançait. Du coin de l'œil, il remarqua qu'Abraham était déjà dans le coin proche du trône, mais son regard semblait se porter uniquement sur la reine pour une raison inconnue.

- Je... Sa majesté Aurora, commença-t-il une fois face à l'assemblé, a été victime d'une tentative d'assassinat au poison, quelques semaines avant le couronnement. En tant que chef de la garde, mon rôle a été d'enquêter au nom de la reine sur la tentative qui a causé la mort de Julia Pilker, fille de Lorys Pilker.

Il chercha sa respiration un instant, sous le regard fiévreux de la foule. La pression qu'il ressentit lui fit oublier tout ce qui le motivait précédemment; il avait maintenant l'impression d'être sale d'avoir souhaité la richesse au-dessus de la vie d'autres. Au fur et à mesure qu'il expliquait son enquête, il pouvait voir certains nobles reculer, comme s'ils se découvraient une soudaine culpabilité. Au fur et à mesure qu'il racontait, les visages se crispaient, se soulageaient, s'énervaient, mais aucun n'osait ouvrir la bouche.

- Et enfin, finit-il par dire dans un souffle. Les Rats m'ont aidé à trouver la famille du passeur ayant transporté l'agent ainsi que le poison. La famille souhaite également que justice soit faite et elle m'a donné le nom de l'île d'origine du transport... L'île Bleue.

Le nom de l'île dévoilé, des cris de surprise et de colères s'élevèrent dans la foule.

- Mais ne soyez pas ridicules ! S'écria un noble dans la foule. Vous avez conscience de qui est visé ?!

- Les témoignages sont sans appels...

- Que la famille occupant l'île Bleue s'avance, coupa la reine avec impatience. Qu'ils se défendent eux-mêmes avant que l'on fasse entrer les témoins.

De la foule émerg les accusés, parés de tenues bleues élégantes achetées avec l'or de la couronne. Ironie du sort, cet or avait été reçu en dédommagement pour la mort de leur fille adorée, morte par accident en buvant un poison glissé dans du thé.

- Votre Al... Ma reine, bredouilla Lorys Pilker. Il doit y avoir une erreur dans la recherche de votre homme.

Lorys Pilker mena sa femme et son fils devant la reine, non sans déglutir en voyant les billots pré-disposés. Il s'agenouilla d'un mouvement sec, tout en cherchant un soutien auprès de Dag dans un regard implorant. Sam Pliker s'agenouilla à son tour, tenant par la main sa mère Marie. Le fils fulminait de colère, outré de se retrouver accusé de la mort de sa propre sœur ! Pas un instant il ne put croire à leur implication, et dans sa tête, il cherchait déjà des preuves pourtant difficiles à trouver.

- Expliquez-vous, autorisa la reine tout en sachant que cela ne changera rien.

- C'est notre propre fille ! Comment pourrions-nous...

- Il ne s'agit pas de votre fille ici, mais de ma tentative d'assassinat. La mort de votre fille n'est qu'une erreur.

Le visage du père se tordit de colère en entendant la reine chasser du revers de la main la mort de sa fille, comme s'il s'agissait d'un vulgaire insecte.

- Notre famille a toujours été fidèle à la couronne, jamais nous n'aurions trahi votre majesté !

- Rockart, ce sont-ils agenouillés lors du serment ?

- Non, votre majesté.

Aurora mima un sourire avant de reprendre d'un ton encore plus tranchant.

- Apportez des preuves concrètes de votre innocence. L'accusation me parait plus que pertinente.

- Comment ?! Notre fille vous adorez de tout son cœur, nous n'aurions pas pu le lui briser ainsi !

- Justement, j'imagine votre frustration en apprenant que votre fille ne souhaitait pas me quitter pour se marier. Peut-être même que vous comptiez vous servir d'elle pour m'empoisonner, mais que fasse à son attachement vous étiez incapable de le faire. Après tout, si Julia avait été capable d'inoculer le poison elle-même, je ne serais pas sur le trône aujourd'hui. Et sachant un certain événement qui s'est produit entre votre fils et moi il y a quelques mois, cela ne m'étonne guère que vous ayez peur de moi. Mais enfin, c'est aux témoins d'apporter les preuves à mes propos.

Sam Pilker frissonna à la mention du fameux bal où il avait humilié la princesse et soudainement l'implication de sa famille lui parût crédible, mais toujours aussi ridicule. Pendant cet instant, il tourna la tête vers son père, visage que seul Abraham, Dag et Chloé pouvaient voir. Le visage de son père était déformé de colère, de chagrin et de culpabilité.

Sans qu'un bruit ne dérange le jugement, la reine fit entrer les deux témoins. Deux jeunes gens apparurent, visiblement effrayés par la pression ambiante. Après s'être agenouillés devant la reine, ils se tournèrent vers la foule en colère. Des cris de protestation s'élevèrent quand les témoignages commencèrent et la plupart des dissidents crièrent au coup monté. Cependant les preuves qui suivirent les firent taire. Des lettres à moitié brûlées, des sommes d'argents récupérées... et enfin le sceau de la famille attaché à une lettre précieusement conservée par le pêcheur.

- Non... murmura Sam en apercevant le sceau. Pas Julia, dites-moi qu'elle se trompe ! Que ces preuves sont fausses !

- Aucune réponse, Lorys Pilker ? Demanda la reine, complètement apathique. Dois-je prendre cela pour un aveu ?

L'agenouillement de Lorys se mua lentement en une soumission, les deux genoux au sol et la tête basse. Il savait qu'il mourrait de toute façon, même s'il niait jusqu'au bout.

- Je vous en supplie, mon fils est innocent, laissez-le vivre.

- Non. En temps normal je devrais même exécuter tous les membres de la famille jusqu'au troisième degré, mais par clémence je me contenterai de vous trois.

En entendant l'ordre d'exécution les nobles tentèrent d'intervenir, mais leurs voix moururent avant d'interpeller la reine. Ils se rendirent compte qu'ils avaient peur, peur d'attirer l'attention de la reine sur eux, peur d'être les prochains. Tous ceux qui ne s'étaient pas agenouillés commencèrent à le regretter amèrement. Cependant une femme à la peau mate sorti de la foule, l'air grave.

- Votre majesté, l'interpella Jobbs. Je vous demande humblement d'épargner le jeune Sam Pilker.

Aurora haussa un sourcil, manifestement surprise que la duchesse ose lui demander une chose pareille. Pourtant, couper le dialogue avec elle ne serait pas souhaitable et la reine l'autorisa à argumenter d'un mouvement de canne.

- Aux réactions du jeune homme, il semblait réellement ne pas avoir été mis au courant par sa famille, et je suis certaine qu'il ne cautionne pas l'action de ses parents. Exécuter toute une famille lors d'un événement joyeux comme votre couronnement n'est pas la meilleure solution, épargnez au moins dans votre clémence le jeune homme.

- Quelle faible défense, répondit la reine. Je m'attendais à mieux venant de vous, Jobbs. Je ne changerai pas d'avis.

- Je suis prête à prendre la responsabilité de mon choix ma reine, de l'éduquer moi-même.

Un murmure surpris parcouru l'assemblée. Jamais un duc n'avait décidé de défendre ainsi un autre noble et mettre en danger son propre titre.

- Développe.

L'ordre simple de la reine remplit d'espoir les Pilker et l'assemblée qui se mit à soutenir la duchesse, image forte d'une résistance raisonnable contre cette reine folle.

- Je mets mon titre, et ma tête en jeu en échange de la survie du jeune homme. Je jure sur mon honneur d'éduquer et de soumettre tous les contestataires à votre pouvoir dans mes rangs.

Son genou frappa violemment le sol alors que l'assemblée semblait avoir retrouvé la voix et encourageait la courageuse duchesse. Face à tant de contestation, la reine resta pensive un moment. Cet instant sembla s'éterniser pour les Pilker qui avaient l'impression de voir leurs vies être jouées par l'humeur de la nouvelle reine. Soudainement Aurora eut une idée, un éclair de génie qui règlerait l'un de ses plus gros problème. une nouvelle utilité au jeune homme à laquelle elle n'avait jamais pensé avant. Elle se leva de son trône pour la première fois et demanda à Rockart de lui amener Sam à ses pieds.

Le général aida aimablement le jeune homme à se lever, tout en esquivant les regards qui le remplissaient de honte. D'une main ferme sur son épaule, il le fit s'avancer et s'agenouiller à deux pas seulement de la reine.

- Jurez-moi fidélité, et reniez votre famille maintenant.

Compte tenu de la situation, personne n'était surpris de sa demande difficile. Renier sa famille était une action extrême pour n'importe qui, mais ils savaient que si Sam ne le faisait pas, la reine n'aurait aucune pitié à lui couper la tête. Lui-même le savait, mais sa mâchoire se serra, refusant de laisser passer ces mots.

- Sam, l'appela son père les yeux larmoyant. Fais-le, ne soit pas idiot !

- Ne te sacrifie pas inutilement, enchérit sa mère entre deux hoquets.

En se retournant, son regard rencontra tellement de visages qu'il en eut la nausée. Jobbs le regardait avec force, ses parents avec tristesse et désespoir, et les nobles avec pitié, mais tous le soutenaient et lui demandaient clairement d'obéir. Il se retrouva submergé d'émotions innommables qui lui provoquèrent un haut le cœur répugnant. Son esprit semblait s'être évanoui dans la spirale infernale qui tourmentait sa tête.

- Je... Je ne veux pas que mes parents meurent, hoqueta le jeune homme, le cœur sur le bord des lèvres. Votre majesté.

- Tu dois faire un choix, rétorqua-t-elle, imperturbable. Tu peux mourir avec eux, ou survivre seul.

Sam ne supporta pas plus la pression et il commença à pleurer, ses lèvres souhaitaient bouger, mais sa voix détruite ne pouvait pas émettre de son assez fort pour être entendu. Il lui fallut plusieurs minutes pour arriver à parler, d'une voix faible et éraillée, à peine audible.

- Moi, Sam Pilker renie mes parents Lorys et Marie Pilker à cause de leurs actes... odieux envers la couronne, à laquelle je serais fidèle et ce... jusqu'à ma mort.

Aurora sembla être satisfaite de ses paroles et interpella deux gardes d'un bout de la main. Elle ordonna que Sam soit emmené aux cachots après l'exécution de ses parents et qu'il soit écarté du milieu immédiatement. Le jeune homme se laissa trainer mollement par les gardes alors que ses parents lui donnaient un dernier regard d'adieu.

- Bourreau, procédez à l'exécution.

L'homme en noir obéit et replaça les billots devant les deux mariés avant de les forcer à poser leur tête dessus. Les deux ne se débattirent pas, mais deux gardes vinrent quand même les tenir en position alors que le bourreau prenait la sienne, la hache à la main.

- Lorys Pilker, proclama la reine tranquillement. Vous êtes accusé de haute trahison envers la couronne, vos terres seront confisquées et votre titre disparaitra dans votre sang. De par les lois, votre conjointe et vous serez exécutés sur le champs ; avez-vous des derniers mots ?

- Non, articula-t-il avec difficulté.

Aurora acquiesça en réponse et tapa de la canne le sol, ordonnant ainsi le bourreau à procéder. Sous le regard médusé et haineux de la foule, l'homme leva sa hache au-dessus de la tête de Marie Pilker avant de l'abattre brusquement. Des cris s'élevèrent alors que les adultes tentaient de cacher la vue aux plus jeunes.

- M-Marie, bégaya Lorys en voyant la tête de sa femme rouler sur le sol et le sang jaillir de son corps.

Le bourreau ne fit pas durer très longtemps l'attente du mari et se replaça, au-dessus de lui cette fois. Il leva une dernière fois sa hache et trancha la tête de Lorys d'un geste encore plus rapide. La deuxième tête roula sous le cri de désespoir de Sam qui avait assisté à la scène. Les deux gardes l'emmenèrent sans attendre alors que le sol de pierre s'imbibait de sang.

Le bourreau remplit la suite de son travail et rangea les billots, sa hache avant de partir alors que d'autres hommes en noir entraient pour se débarrasser des corps et des têtes. La foule resta dans une transe morbide jusqu'à que la reine ne la rompe d'un coup sec dans les mains, comme pour changer d'ambiance.

- Passons maintenant à la récompense du général Rockart.

L'intéressé frémit en réponse. Il n'avait envie de s'avancer, mais il était allé trop loin et il devait maintenant en assumer les conséquences. Rockart déglutit et s'avança, d'un mouvement fluide il s'agenouilla un peu plus loin du trône, loin des flaques de sang, de sa culpabilité poisseuse.

- Pour votre réussite, j'ai cherché un cadeau qui soit à la hauteur de ma satisfaction, et je me suis souvenue de votre origine. Un guerrier ayant fait ses preuves, je me suis dit donc qu'une nouvelle lame vous conviendrez.

Abraham, qui jusque-là était resté en arrière s'avança à son tour et amena avec lui un long coffret taillé dans un bois noble de l'île du vent, précieux en lui-même. Il donna le coffret directement à la reine et recula, mais Rockart qui était proche du trône entendit un murmure échangé entre les deux. Il ne comprit pas les paroles, mais il n'eut pas le loisir de se pencher dessus.

La reine se leva de son trône après avoir tâter la boite pour s'assurer de sa correcte tenue en main. Lentement, elle marcha droit devant elle sans pouvoir tenir sa précieuse canne. Ses pieds entrèrent dans le sang et continuèrent, imperturbables, malgré le son visqueux que tous pouvaient entendre.

Finalement elle s'immobilisa, pensant s'être assez éloignée pour donner la récompense. Cependant, Rockart était plus loin à cause de l'immense trace de sang où la princesse se tenait, en son centre. Son visage se tordit d'horreur alors que son corps se relevait et approchait encore, jusqu'à ses pieds. Face à la reine, il plongea le bout de son genou dans le sang.

- Je vous offre cette lame, sourit amicalement la reine en ouvrant la boite. Je vous laisse la récupérer, Rockart.

Le général se redressa, et regarda sans plaisir cette lame magnifique. Il avait l'impression d'avoir perdu beaucoup trop en échange d'une récompense, pour préserver ses acquis. Décorée, gravée et garnie de pierres précieuses, le prix de sa récompense aurait attiré la convoitise à sa seule mention. La reine n'avait pas lésiné sur les moyens mis dans cette récompense unique, et Rockart en devint écœuré en la découvrant. Il hésita à empoigner l'épée, scrutant ses mains qui lui paraissaient si sales, mais il la plongea pour en ressortir sa récompense, sa répugnante récompense.

- Prenez donc la boite et emmenez-la chez vous, lui dit Aurora, toujours souriante. Je suis heureuse que mon cadeau vous plaise.

Bredouillant quelques remerciements à contrecœur, Rockart se ressaisit et rangea précipitamment la lame, referma la boite et la retira doucement des bras de sa reine. Au moment de retirer la boite, il remarqua un détail à propos de la reine: Sa peau, déjà blanche d'ordinaire était d'un pâle maladif ce soir avec le bleu des veines plus foncé et ses ongles étrangement blancs. Intrigué par cette découverte, son regard remonta vers le visage de la reine qu'il examina en détail. Ainsi il se rendit compte de l'état de santé de la reine. Sous le maquillage ses paupières tremblaient, son souffle était court comme après un effort considérable. Sa pâleur était presque effrayante, mais Rockart savait de quoi il s'agissait: Une anémie. Il tenta d'ouvrir sa bouche, mais la voix de la reine augmenta de volume pour que tous puissent l'entendre.

- Récompenser le bon travail est l'un des devoirs d'un dirigeant, et vous avez amplement mérité cette récompense.

D'un mouvement de main en bas du corps, elle intima à Abraham de venir vite. Le garde du corps récupéra la canne au trône et la lui amena d'un pas rapide, sûrement conscient de l'état de la reine. Certains nobles observateurs purent percevoir une certaine anxiété émanant du bouclé lorsqu'il glissa l'objet dans la main de sa reine.

La main pâle se referma sur la canne et écarta Rockart de son chemin. Sans prononcer un mot, elle reprit son chemin, en direction de la sortie. Les nobles furent surpris, mais aucun n'osa l'interpeller ou la déranger. La plupart pensèrent que cela était pour le mieux, car personne ne savait comment continuer la soirée, mais le général savait maintenant que son départ était prématuré.

Une fois loin des yeux de la foule, la fatigue accumulée de la reine sembla s'abattre soudainement, manquant de la faire tomber. Abraham la retint de justesse, passant son bras autour de ses épaules pour l'aider à tenir debout.

- J'ai mal, se plaignit-elle, le visage décomposé en une multitude d'expressions. Mon dos me brûle.

Abraham comprit le message et jeta un coup d'œil en arrière, attentif au moindre mouvement ou son. Après s'être assuré qu'ils étaient seuls, il attrapa la reine par la taille et la balança sur son épaule. Le garde du corps ne perdit pas un instant et courut jusque dans la suite d'Aurora où il la déposa à même le sol.

Le souffle court et les mains tremblantes, l'ancienne princesse retira ses épaulières, laissant glisser sa cape au sol. Le corset était en pleine vue et les d'Aurora tentèrent en vain de le défaire. Abraham resta un court instant interdit, incapable de savoir quoi faire avant qu'un nouveau gémissement ne le fasse agir précipitamment. le bouclé tenta d'abord de le défaire, mais les vêtements féminins n'étant pas sa spécialité, il abandonna et sorti son couteau pour couper les fils. Le corset explosa alors qu'Aurora semblait retrouver un maigre souffle dans un grognement plaintif. Lorsque le vêtement s'écrasa au sol, un dos sanguinolent s'offrit aux yeux écarquillés d'Abraham.

Il resta un long moment interdit, avant qu'un rire glaçant ne lui fasse lever les yeux vers le visage de la souffrante. Un grand sourire, des larmes, deux yeux brûlant de rage et un nez retroussé de dégoût ; ses émotions semblaient se mélanger, comme une mixture où aucun ingrédient n'était compatible. L'expression brisée de la reine se tordit soudainement de douleur alors que ses mains tentaient en vain d'atteindre son tatouage, la source de tout ce sang. Sous les yeux du bouclé le tatouage bougea, changeant ses traits lentement pour prendre une forme complètement différente.

- Je ne veux pas ! Arrête-la, je t'en supplie !

La supplique de la reine força Abraham à agir, bien qu'inutilement. Il tenta d'abord de retenir les traits, mais la peau sanglante glissa sous ses doigts. La panique l'atteignit alors qu'ils tentaient d'autres choses, en vain.

- Je ne veux pas me marier avec Sam, qu'ai-je fais ? Qu'ai-je fais ?

Sa voix se brisa sur sa question, et le tatouage s'immobilisa brusquement. Le bouclé s'arrêta également, cherchant à comprendre ce qu'il se passait.

- Je suis fatiguée, je pense aller me coucher maintenant. Tu penseras à écrire une lettre pour Jobbs, elle a parfaitement rempli son rôle, j'espère que cela calmera les instigateurs de toute cette affaire.

Les yeux d'Abraham s'arrêtèrent sur le tatouage, alors qu'Aurora retrouvait son calme impérial et inébranlable. La forme finale du motif transformé était une araignée dont les pattes pointaient sur le cœur de la reine, mais dont les yeux semblaient le fixer lui, comme un avertissement.

***

La lune était haute, mais le couple n'était pas couché. Les deux n'avaient jamais passé de longs moment ensemble, mais ils étaient pourtant là, à boire autour de ces mêmes bouteilles. Depuis le départ des nobles traumatisés, les anciens monarques n'avaient pas prononcé le moindre mot. Ils avaient marché tels des fantômes jusqu'à leurs appartements, et s'étaient assis autour de la table. Dag avait récupéré ses bouteilles et ils avaient bu, bu jusqu'à ce qu'ils puissent oublier ces images imbibées de sang.

- Qu'est-ce qu'on peut faire ?

La question de Chloé remua un peu Dag, qui lui jeta un regard en coin avant de baisser les yeux vers un autre verre. Il tenta de s'en emparer, mais les mains de sa femme se posèrent dessus avant.

- Répond-moi, Dag.

L'ancien roi tenta de forcer, mais en vain. Comme abattu, il se laissa tomber sur le coté.

- Je ne sais pas, je ne sais même pas comment elle est montée sur le trône. Il est sûrement trop tard, à partir du moment où Vent la accepté, il n'y a plus rien à faire.

Bien qu'elle était aussi désespérée que Dag, la mère avait décidé de ne pas abandonner.

- Il doit y avoir quelque chose à faire !

- Si elle était réellement ma fille, je suis sûr que rien ne se serait passé ainsi...

- Au moment où tu la épargnée, tu es devenu son père. On doit faire quelque chose pour elle !

Dag renâcla un ricanement, se souvenant de sa stupide décision ce jour-là.

- Oh, mais j'ai l'impression de tout faire de travers depuis le début... J'y réfléchirai, Chloé, mais je suis certain que les nobles y réfléchissent aussi.

Son ricanement se mua en un fou rire teinté de noir. Il commençait à penser qu'il aurait dû rester sur le trône, quitte à être haït par tous et vu comme un paria, au moins son royaume n'aurait pas sombré dans la folie.



*********************************************************************************

NA: Bonjour à tous et à toutes ! Déjà je tenais à vous remercier d'avoir lu jusqu'ici, ça représente beaucoup pour moi. Surtout après cette longue absence dans laquelle j'avais besoin d'écrire un peu autre chose, désolé !

Et donc voilà le dernier chapitre de l'arc 2 de Damoclès, qui représente le premier tome d'une duologie (normalement). Et il y a des choses à changer avant d'avancer dans la suite, histoire de poser des bases solides et de clarifier certaines choses.

C'est pour ça que j'ai besoin de vous ! Autre que réécrire de nombreux chapitres, j'ai besoin de votre avis sur l'évolution de l'histoire, du lore et des relations.

Peut-être un personnage que vous avez simplement aimé ? Un détail dans le lore qui vous a chiffoné ? Quelque chose que vous auriez aimés voir plus ?

Je compte sincèrement sur vous, et j'espère que vous avez passé un bon moment à découvrir mon univers.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Martel Chaffers ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0