1.
Scribay,
Le 17 février 2020
Cher Toi,
Les lettres que j'ai soufflées au vent t'ont toujours trouvé, j'espère que ce billet trouvera lui aussi le chemin de ton jardin. Il m'est mille fois plus facile de jeter des mots en l'air que de décrocher le téléphone sans savoir vraiment quoi dire, même si certains silences sont parfois traversés de mille conversations.
Samedi, il y avait un papillon sur la fenêtre de la buanderie. Avec de grandes ailes colorées de brun, de mauve, de jaune, un corps gros et velu et deux grandes antennes. Je l'ai photographié, puis j'ai ouvert la fenêtre pour qu'il s'envole. Il est resté un moment, là, à essayer de battre des ailes mais sans décoller. Je me suis sentie un peu comme une vieille tortue. J'étais triste pour lui, à me demander s'il était jeune encore fébrile, ou au contraire s'il était déjà trop vieux d'un jour ou deux, arrivé au bout de son chemin... J'ai laissé la fenêtre ouverte et je suis partie à la bibliothèque, à la librairie, chez le disquaire. Je remplis les étagères, et mes heures vides. A mon retour, il n'y avait plus de papillon dans la buanderie. J'ai fermé la fenêtre et j'ai repris le fil de la journée. Dimanche matin, quand je me suis réveillée, il était posé sur la fenêtre de ma chambre. J'ai pensé à toi. J'ai pensé que je devrais t'envoyer la photographie. Que je le ferais plus tard. Un clin d'œil. Juste comme ça. Puis finalement, j'ai abouti à la conclusion que c'était ridicule. Ou peut-être que j'étais ridicule. Enfin quelque chose de cet ordre-là. Et de penser à toi, j'ai aussi pensé à tes silences. J'aime bien tes silences au téléphone. Tes silences en pages blanches, je ne les aime pas.
Je ne te dirais pas que je sais puisque je ne sais pas, puisque tu n'as rien dit, tu ne dis jamais rien, ou si rarement. Mais je crois avoir compris...
Allez, prends ma main tendue et reviens. Ou au moins dis-moi que tout va bien, dis-moi que tout va mal, que t'es en vie que t'as mal ou que tu t'en contrefous — ça, je te connais un peu, je ne le crois pas — aide-moi à trouver le fil qui démêlera ta pelote. Dis-moi même des mensonges, c'est toujours mieux que le rien. T'emmure pas encore une fois. S'te plait, raconte moi une histoire.
Je me disais... On pourrait s'arracher au Rajasthan. Une roulotte, quelques jours de vacances. Ce serait l'occasion de la sceller, cette fraternité qu'on s'est reconnue comme ça, l'air de rien entre les Renaud, les papillons et l'esperluette. Parce qu'y a des trucs qui s'inventent pas, et que celle-là, on a décidé de se l'inventer quand même.
Au Rajasthan, ouais. Là-bas, je te ferais découvrir des musiques que même si t'en comprends pas les paroles, et même si y en a pas, de paroles, tu trouveras jamais rien de plus beau, à te coller des frissons et des sourires et te faire tourner en rond ou te faire tourner la tête et capoter pendant des heures. Des musiques oranges et mauves au parfum d'épices, je te promets que jamais t'en retrouveras ailleurs des pareilles. Et des danseuses-papillons aussi. Elles sont souvent pas loin des tablas ou du sitar, à croire qu'elles les confondent avec les fleurs.
Et puis si ça fait trop loin, si c'est trop compliqué le Rajasthan, on peut aussi se faire un pique-nique de printemps. Au bord d'un lac, dans un pré, un calme en vert et bleu. Avec des bonbecs, une idée comme ça pas tout à fait venue de nulle part. Et la musique du Rajasthan, je pourrais toujours l'emmener. Ce sera pas pareil mais ce sera quand même bien, tu verras...
Voilà.
C'était juste histoire de poser quelques mots dans ton silence.
Je t'envoie toute ma tendresse de p'tite frangine.
Reviens vite, tu me manques !
O.
PS : Tu me diras si tu la veux, la photo du papillon de février ?
Annotations