Chapitre 8 :
Marianne était allée à Kuyinto pendant quelques jours, en Thuath pendant quelques semaines et en Dheas pendant près d’un mois. Mais l’ancienne militaire n’était jamais allée en Siar. Elle ne demandait même pas à ne pas y aller. Pourtant, elle devait bien avouer que s’était le pays qu’elle redoutait le plus. La Dheas restait un pays joyeux malgré la guerre et la maladie, la tradition des carnavals semestriels régnait toujours. Il y avait incontestablement une bonne ambiance une fois que l’on s’y installait à long terme, les agents que l’on pouvait rencontrer se détendaient et ressentaient moins de pressions que les autres. La Kuyinto était un pays allié. Les frontières étaient donc ouvertes entre les deux pays et aucun Kuyintains ne regardait les Opartiskains d’un mauvais œil. En Thuath, c’était bien évidemment plus maussade, mais l’endroit du GQ était tellement dépeuplé que l’on croisait pratiquement personne.
Marianne conduisait elle-même la voiture dans laquelle elle se trouvait pour rejoindre le quartier général localisé en Siar. D’après les coordonnées, c’était à Rasi, la capitale de la Siar. La jeune femme savait aussi ce que cela signifiait : proche de la famille royale et du roi fou. L’Opartisk avait pris part au conflit récemment, les rumeurs sur le roi, qui était plus dictateur qu’autre chose, se répandaient partout dans le monde dès le début du règne de ce dernier. Personne ne se leurrait : Jean-François II était toxique. Marianne ne savait pas combien de rumeurs disaient vraies sur lui, et à vrai dire, elle s’en fichait. Si sa mission n’était pas liée à lui, s’était tant mieux, si elle était liée à lui, tant pis. Marianne avait principalement accepté cette mission pour tourner la page de celle en Dheas et de la séparation douloureuse de Loan qui demeurait entre la vie et la mort. C’était un grand coup dur pour elle. Même si elle n’en montrait rien, la jeune femme était vraiment secouée par son état. Elle était très amie avec Loan.
Elle devait être arrivée puisque l’appareil commença à lancer des bips insupportables. Elle faillit l’écraser contre l’intérieur du pare-brise pour qu’il s’arrête mais elle réussit à se contenir. Un geste violent pouvait vite l’amener à un accident de voiture, et ce n’était pas le meilleur endroit. Elle fut tout de même étonnée de devoir s’arrêter là où elle devait puisque cela lui semblait assez loin de la ville. Elle suivait les consignes et les recommandations d’Amanda. Elle se gara sur le bas-côté de la route et sortit un des papiers qu’Amanda lui avait confiés. Elle le déplia pour lire la suite de ses aventures :
Les voitures n’existent pas en Siar, du moins, ils ne se déplacent pas avec ce style de véhicules. Ton GPS sera programmé pas loin de la capitale, tu devras juste donner la voiture au marchant et prendre de l’argent en retour et continuer ta route à pied.
Marianne en était certaine, une fois pour toutes : la Siar ne lui inspirait aucune confiance. La jeune femme rangea le papier dans une poche et extirpa son sac à dos de la place passager en même temps qu’elle ouvrait la portière pour sortir. Marianne comprenait pourquoi son amie lui avait conseillé d’apporter des manteaux : il ne faisait pas aussi froid quand Thuath, mais dans cette région il ne faisait pas spécialement chaud. En tout cas, pas autant qu’en Dheas, qu’en Opartisk ou qu’à Kuyinto. Elle ferma la voiture à clé et fit un tour sur elle-même pour inspecter les alentours. Tout semblait calme, peut-être même trop calme. Il fallait se méfier un peu. Marianne était fervente d’action, et un chouïa de violence peut-être bien, mais elle aimait aussi quand tout se déroulait sans encombre. Les combats programmés, prévus ou évidents, oui. Ceux qui prenaient à l’improviste, un peu moins. La route était entourée de champs de blés coupés, et elle stationnait près d’une petite boutique qui ressemblait à ce genre de bâtiment qui permettait de faire son plein lorsqu’on possédait des voitures et de se reposer, avec de la nourriture et quelques produits à acheter. Une sorte de petite supérette. Celle-ci paraissait déserte mais en bon état. L’ancienne militaire s’étonnait que cela soit ici, voire-même qu’il y ait quelqu’un. Néanmoins, elle n’avait pas d’autre choix.
La jeune femme se dirigea donc là-bas et poussa la porte en bois. Une clochette retentit lorsque la porte fut en mouvement mais personne ne vint l’agresser avec les stéréotypes du commercial qui collait au basque, prêt à tout pour pouvoir conclure. Le lieu demeurait… abandonné. Le parquet en bois grinçait et Marianne était à deux doigts de retourner dans sa voiture. Sauf qu’elle se souvint qu’elle ne pouvait contacter Amanda que quand elle serait arrivée au quartier général. Marianne ne vit personne à la caisse. Le vendeur devait sûrement être à l’entrepôt. Elle déambula un petit moment dans les rayons en observant le dialecte Siarien peu utilisé, avant de vite s’impatienter. Elle avança d’une démarche confiante mais délibérément bruyante jusqu’à la caisse avant de hurler :
— Il y a quelqu’un dans ce magasin ?
Une seconde. Cinq secondes. Dix secondes, elle répéta. Marianne était agacée, elle avait un peu l’impression d’avoir été catapultée dans une mission mal organisée… comme un peu près soixante-dix pourcents des missions de l’association finalement. La jeune femme serra les dents avant de hurler à nouveau une salve de phrase. Personne n’avait l’air d’être présent. Elle décida de prendre les devants et de fouiller l’arrière-boutique. Cette partie-là occupait quasiment plus de place que la boutique en elle-même. Marianne comprenait mieux, un entrepôt plus grand, cela rimait souvent avec trafic dans ce monde. La jeune femme surgit en plein milieu et regardait des engins qui s’y trouvaient ainsi que les objets. Elle ne vit personne. L’ancienne militaire, arrivant au bout, s’apprêtait à faire demi-tour, lorsqu’une voix s’annonça derrière elle :
— Retourne-toi lentement, et ne tente pas de t’enfuir.
La blonde soupira et s’exécuta en levant les bras. Un homme d’une quarantaine d’année avec une calvitie pointait un fusil bien droit en direction de la tête de Marianne, sans trembler d’un millimètre. Il aurait pu paraître gentil avec sa tête si seulement il ne tenait pas une arme, menaçant Marianne. La jeune femme analysait la situation pour savoir comment et quand réagir.
— Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ?
— Alors premièrement baisser votre arme, plaida l’Opartiskaine. Et deuxièmement je suis Marianne.
— Que faites-vous là ? renouvela-t-il en avançant un peu plus son arme.
— Je ne vais pas vous livrer à votre roi/dictateur si c’est ce que vous voulez savoir. Je suis Opartiskaine. Je suis censée atteindre la capitale en vous revendant ma voiture car cela n’est pas commercialisé ici. Vous êtes content ? Je ne sais pas combien de temps je vais devoir marcher alors j’aimerais bien en finir parce que je voudrais bien atteindre ma base avant la nuit !
Marianne l’avait convaincu, du moins, l’homme semblait satisfait. Il laissa son arme de côté et lui tendit la main qu’elle serra sans attendre. Il baragouina des excuses en lui disant que si jamais il se faisait attraper il encourait la peine de mort. Marianne avait du mal à comprendre ces personnes-là. Ils vivaient dans un pays qui tenait des règles très restringentes. Pourquoi se mettre hors-là-loi alors qu’un seul faux pas pouvait les tuer ? La jeune femme n’y voyait aucune logique. L’homme lui proposa un prix qu’elle accepta directement avant de lui passer les clés du véhicule. L’homme, un peu dérouté, lui proposa de rester un moment pour se reposer mais l’agent de l’association déclina l’invitation, voulant en finir le plus rapidement possible avec le trajet.
Marianne n’eut pas le temps de se retourner lorsqu’elle entendit un coup de feu dans la pièce. Une main la fit tourner sur elle-même pour faire face à un homme à cagoule qui pointait son arme face à elle. Bon… la Siar n’allait pas être le pays préféré de Marianne si chaque Siarien la menaçait de mort dès la première fois qu’il la voyait. Malgré tout, la jeune femme comprit que ce n’était pas des simples voyageurs qui passaient pour acheter des ressources dans la supérette. Non : c’était des braqueurs.
Le deuxième débarqua avec une autre arme et un sac comme s’il espérait qu’il y ait beaucoup d’argent. Marianne en avait des doutes. Cette fois, elle allait devoir réagir physiquement parlant. Le propriétaire tenta de s’éclipser pour chercher son fusil, mais l’autre braqueur qui venait d’entrer colla son pistolet contre sa tempe pour lui faire ouvrir la caisse. Il s’exécuta bien évidemment, l’autre lui passa son pistolet pour menacer Marianne pendant qu’il allait faire un tour dans l’entrepôt. La jeune femme resta immobile et guettait le bon moment ainsi que le retour de l’homme cagoulé parti dans l’arrière-boutique. Au moment où l’homme qui surveillait se concentra sur le vendeur, Marianne sut que c’était son plus grand faux pas de la journée. Elle attrapa discrètement un objet lourd, solide et extrêmement dur. Elle prit son élan pour le frapper violemment contre la tête de son adversaire avant de s’emparer des deux pistolets quand il s’écroula au sol. Marianne se cacha à l’endroit où la porte s’ouvrait.
Après quelques minutes, le second braqueur ne revint toujours pas et le propriétaire mesura le pouls de l’autre qui ne se réveillait pas. C’était une bonne chose et Marianne ne l’avait pas tué en plus. Alors que le commerçant lui assurait qu’il était vivant, son visage se décomposa : sûrement l’autre qui revenait. Marianne se prépara. L’homme débarqua furibond et jura en argot Siarien. La Siar devait être le pays où on utilisait le plus son ancienne langue avant qu’une langue internationale soit choisie il y a des siècles pour mieux se comprendre entre les pays. La jeune femme ne lui laissa pas le temps de se retourner et tira sur le poignet de la main dans laquelle il tenait le fusil. Le braqueur hurla de douleur en se prenant le poignet qui saignait à flot. La balle avait traversé. Le propriétaire récupéra son arme au moment où l’autre braqueur se réveillait, désorienté. Ils ne pouvaient plus rien faire.
Malgré tout, Marianne les prit en peine. La jeune femme trouva le nécessaire pour soigner la blessure par balle qu’elle avait causée. Leur cagoule enlevée, le propriétaire les attacha à des chaises, il ne lia pas les poignets de celui que Marianne soignait. La jeune femme, ayant été militaire, avait dû aider quelques fois ses camarades blessés, et les blessures étaient plus terribles que cela. L’homme avait cessé de hurler et la regardait faire.
— T’es qui toi ? Tu n’es pas Siarienne, constata-t-il.
— Cela ne te regarde pas, asséna Marianne en serrant des dents. J’ai été militaire donc si j’étais toi je ferais gaffe à ma peau.
Les avertissements avaient l’air de faire effet sur le voyou qui ne dit plus rien et la regarda sous un autre angle. Lorsque la jeune femme eut fini, elle s’éloigna et reprit son sac qu’elle avait laissé par terre. Le propriétaire attacha l’autre homme et offrit à Marianne de quoi manger et boire sur la route. Il lui indiqua aussi sur une carte les meilleures routes par lesquelles passées qui permettaient de rejoindre rapidement la capitale ainsi que les plus sécurisées. Marianne le remercia de son aide. Sa mission allait enfin pouvoir commencer, et ce petit soupçon d’action que les braqueurs lui avaient fourni n’étaient sûrement qu’un échauffement. Elle était définitivement prête pour la suite. Amanda lui avait dit qu’il risquait d’y avoir un peu d’action, mais pas tellement. Elle lui avait dit qu’elle ne voulait pas que Marianne frôle avec le danger et la mort. Amanda savait très bien que l’état de Loan affectait Marianne et elle ne voulait pas la laisser faire n’importe quoi. Marianne ne se sentait pas aussi redevable que cela, mais elle était touchée que son amie pense ainsi à son bien.
— Qu’est-ce que vous allez faire avec ces deux-là ? Vous ne pouvez pas appeler les autorités avec ce que vous trafiquez en parallèle, votre couverture serait découverte.
— Effectivement, mais ils sont, si on peut dire cela comme cela, à ma merci, et eux aussi sont dans l’inégalité, alors je pense, que l’on peut trouver un commun accord après tels ou tels dialogues.
— Je vous le souhaite, déclara Marianne. En tout cas, bonne continuation à vous. On se retrouvera peut-être.
— Peut-être, bon courage à vous ! Pour tout.
L’ancienne militaire la remercia. Même s’ils l’avaient agressée, elle et le propriétaire, elle salua d’un signe de tête les deux voleurs avant de pousser la porte du magasin pour continuer son périple. Une heure de marche si elle ne traînait pas, c’était facilement jouable avant la nuit. Elle vérifia sa monte réglée à l’heure Siarienne : dix-huit heures quinze. La nuit tombait à vingt heures moins vingt. Tout était large, elle pouvait continuer son périple. Même si Marianne rêvait d’actions, elle n’opta pas pour les chemins les plus rapides mais pour les chemins les plus sécurisants. La jeune femme ne comptait pas réduire son rythme de marche et tenait une gourde d’eau à la main. Les chemins les moins dangereux se trouvaient être des petits sentiers dans des endroits ruraux : en effet, elle était entourée de champs de tous genres comme des betteraves ou toutes les plantes céréalières. La jeune femme en resta étonnée puisque la Siar n’était pas spécialement réputée pour son agriculture. Mais elle ne s’en distrayait pas et continua son chemin, déterminée à rejoindre la base avant le coucher du soleil. Elle n’avait plus de musique car plus de voiture, et devait malheureusement faire face à ses pensées.
***Trois semaines avant l’évasion des surdoués en Dheas***
Marianne s’installa sur le canapé du grand salon, au côté d’un métissé aux cheveux bruns décoiffés. Le jeune homme était un peu plus jeune qu’elle mais tout aussi mature. Il avait tout autant la tête sur les épaules comme elle. C’était une grande personne, remarquable, et admirable. Ils s’appréciaient vraiment, la jeune femme n’avait jamais eu un ami comme lui, et cela faisait du bien, réellement. Le jeune homme lisait tranquillement un livre, il semblait particulièrement absorbé par le contenu. Marianne, elle, s’était préparée un bol de céréales qu’elle mangeait. L’ancienne militaire venait de parler à son père, le chef du quartier général de Dheas. Ses discussions avec son père n’étaient jamais les moments les plus agréables de sa vie. Elle essayait tout de même d’espérer qu’un jour, le contact s’améliorerait peu à peu.
— Toi, cela ne va pas, fit le jeune homme en fermant son livre et en le posant sur la table basse du salon.
Marianne s’allongea en tâchant de ne pas renverser ses céréales partout et posa sa tête sur les jambes de son ami qui lui en piqua dans son bol avant même qu’elle lui dise de ne pas les toucher. Elle grogna avant de lui infliger une petite tape sur l’épaule. Décidément, il aimait bien la taquiner.
— Toi non plus cela n’a pas l’air d’aller Loan, retourna l’ancienne militaire en le regardant dans les yeux.
Son ami se pinça la lèvre. Gagner ! Il avait vu juste, mais elle aussi. Sauf qu’elle voyait bien qu’il ne lui en parlerait pas si elle ne parlait pas de ses problèmes d’abord. Il était comme cela Loan : il ne se confiait que quand l’autre se révélait avant. Marianne commençait à en avoir l’habitude. En plus, elle le connaissait mieux que pratiquement tout le monde. Leur amitié était souvent le centre d’éloge de certains agents qui leur parlaient. Cela les gênait souvent, mais ils restaient amis en toutes circonstances.
— C’est toujours tendu avec mon père, lâcha Marianne. Et cela me soûle qu’on arrive plus à trouver un terrain d’entente depuis la mort de ma mère. C’est toujours la même chose : je veux en parler à Mme. Keys, il ne veut pas, on se dispute et s’est toujours lui qui a raison. Maman n’aurait pas voulu cela… mais je ne le comprends pas sur ce point-là. Et je ne peux pas le soutenir non plus du coup.
— Et psychologiquement ?
— Il fait mine qu’il est totalement sorti de sa dépression. Mais ce n’est pas vrai. Il ne se remettra jamais de la mort de ma mère. Il se surcharge de travail pour ne plus y penser. Et cela va finir par le tuer, murmura la jeune femme. Je ne veux pas déjà perdre mon seul parent qu’il me reste.
— Je serais là, affirma le jeune homme en passant une main dans ses cheveux.
Marianne avait fini. Elle n’insista pas auprès de Loan pour qu’il commence à raconter ce qui le tracassait. Il le ferait bientôt, il lui suffisait juste d’un peu de temps.
— Je ne sais plus si je veux continuer tout cela, soupira le jeune homme alors que la jeune femme fronça les sourcils.
— Comment ça ? murmura l’ancienne militaire en lui prenant la main.
— Je ne veux pas paraître, lâche, voire-même égoïste, mais je ne suis plus sûr de vouloir continuer tout cela. Pas que je n’en vois pas l’utilité, bien au contraire. Mais j’aimerais pouvoir veiller sur ma famille, sur mes parents, mes frères et sœurs… ils seront toujours en danger à cause de moi, mais peut-être que si j’arrêtais, il le serait un peu moins. Est-ce que tu vois ce que je veux dire ?
— Bien sûr que je peux te comprendre, même si je n’ai pas vraiment de familles à protéger pour ma part. Mais je comprends que tu aies peur pour eux, c’est totalement normal. Tu as des responsabilités de part et d’autres. Personne ne t’en voudra si tu fais un choix. Cela fera forcément des heureux et des déçus, mais il faut que tu prennes le choix que tu estimes le meilleur pour les gens en qui tu tiens et pour toi-même surtout.
— Oui… tu as raison.
— Bien sûr que j’ai raison ! déclara fièrement Marianne sans pour autant paraître vaniteuse. Si tu as encore besoin d’en parler, je suis là.
— Merci. Moi aussi je serais là pour toi, tu sais. Quoi qu’il advienne.
— C’est pour cela qu’on est ami !
— Je viens d’avoir une idée ! annonça Loan en se redressant sérieux.
Le sentant vraiment sérieux, Marianne savait qu’il s’apprêtait à lui dire quelque chose qui lui semblait important. La jeune femme se redressa et tourna son corps vers son ami pour être plus attentive à ce qu’il allait dire. Il souriait un peu mais pas trop à la fois non plus. Il lui tendit son petit doigt de la main droite.
— Je me disais… je ne sais pas combien de temps l’organisation va exister, ni combien de temps on en fera partie. Mais au cas où cela continue, et que l’on y reste, et que l’on ne trouve personne avec qui s’entendre, on pourrait… habiter ensemble plus tard ?
— T’es sérieux ? s’exclama Marianne avec une esquisse de sourire.
— Si tu ne veux pas je comprendrais très bien mais il fallait que je te le propose et…
— Mais bien sûr que j’accepte ! hurla presque la jeune femme en lui serrant le petit doigt avec le sien. S’il y a bien quelqu’un avec qui je peux vivre, c’est avec toi !
— Alors c’est conclu ?
— Totalement cher ami ! Totalement !
Le jeune homme sourit et la jeune femme reprit sa position initiale alors qui lui piqua une nouvelle fois des céréales.
*****
Cela aurait été vraiment trop beau qu'il y ait quelqu'un pour l'accueillir dans la capitale et pour lui montrer l'emplacement du quartier général de l'association. La jeune femme serra la mâchoire, elle n'avait plus qu'à trouver un agent de l'association qui était en service. En espérant qu’il y en ait un… Marianne passa devant un bâtiment étrangement isolé avant de poursuivre sa route. Elle s’arrêta devant un bûcher d’exécution qui s’apprêtait à être allumé. Une jeune fille enceinte d’environ quatre mois s’y retrouvait attachée. Elle hurlait, suppliait de lui laisser la vie sauve. Amanda lui avait dit de ne rien tenter avant qu’elle ne soit en mission, mais elle ne pouvait pas laisser une si jeune fille mourir, sans au moins tenter quelque chose. Marianne avait de la chance : personne ne regardait la jeune fille et personne ne fut interpellée par ses cris. La jeune femme redressa sa capuche. Il commençait à pleuvoir : c’était le moment idéal. L’ancienne militaire se faufila dans la foule et contourna la plate-forme pour arriver à l’arrière, derrière le bout de bois qui permettait d’accrocher la jeune femme. Marianne sortit un couteau de sa poche en espérant que la jeune femme ne criait pas trop fort pour qu’elle ne puisse pas l’entendre.
— Continue de crier puis viens avec moi. Je veux juste t’aider à te sortir de là.
La jeune fille l’avait entendue puisqu’en continuant de hurler elle tourna la tête pour observer Marianne. La jeune femme lui montra son pouce levé et approcha le couteau de la corde qui la reliait à cet endroit de l’enfer. La corde était beaucoup plus solide qu’elle ne paraissait et Marianne mit plus de temps qu’elle avait initialement prévu. Ce n’était pas grave. Lorsque la corde lâcha, la jeune femme ne savait pas où elle devait aller, et qui devait la rejoindre, mais ce qu’elle savait, c’est qu’elle devait s’éloigner le plus possible du bûcher. La robe de la jeune fille n’allait pas l’empêcher de courir, Marianne lui prit la main et elle continua de crier jusqu’à ce qu’elle descende du bûcher avant de courir à travers la foule. Quelqu’un lança l’alerte et les deux femmes se pressèrent un peu plus malgré l’état de la poursuivie. Marianne se précipita dans des rues sinueuses et étroites où on pouvait facilement se perdre. Elle reçut l’effet escompté puisqu’elle arriva à trouver un endroit abandonné. Marianne surveillait et contemplait la foule de personnes partie à la recherche de la jeune fille enceinte, passée comme des fusées, sans faire attention au cul-de-sac dans lequel se trouvait le bâtiment abandonné. L’ancienne militaire fut extrêmement soulagée pour le moment mais resta tout de même sur ses gardes, prête à se battre. La Siar avait l’air d’être plus mouvementé que prévu.
La jeune fille enceinte était visiblement âgée d’à peine dix-huit ans. Elle était très essoufflée par cette course sauf qu’elle avait été très motivée et n’avait pas lâché prise, elle s’était accrochée. Sa vie en dépendait. La jeune femme s’était assise sur une chaise en bois qui semblait prête à s’écrouler d’un moment à un autre. C’était pour cela que Marianne s’approchait au cas où elle lâcherait totalement sous le poids de la Siarienne.
— Merci, merci, haleta plusieurs fois la jeune femme.
Elle était bouleversée et se tenait le ventre. Elle avait les larmes aux yeux, Marianne le remarquait à son regard brillant. La jeune femme trouvait de plus en plus que la Siar n’était vraiment pas un pays très accueillant. Elle se demanda comment les personnes pouvaient y vivre avec toutes ces injustices, ces meurtres et ces restrictions. Toute la cruauté du monde semblait se rassembler dans ce clan. Cela en était même effrayant.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? questionna Marianne avec douceur. Qui es-tu ?
— Je… je m’appelle Anastasia, j’ai dix-sept ans. J’allais avorter avec l’aide de ma mère suite à mon viol mais mon père a prévenu les autorités. Ils m’ont emprisonnée et m’ont laissée attendre de voir le délai expiré pour ne plus avorter et un mois en savant que c’était fini avant de déclarer que j’allais aller au bûcher. Qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Et vous, vous êtes qui ? Pourquoi m’avez-vous aidé ? Ma maman… Comment je vais lui dire que je suis toujours en vie ? Elle va se faire un sang d’encre !
— Enchanté Anastasia. Je suis Marianne. J’essaye d’aider le plus de gens possible même si je ne viens que d’arriver pour une mission. Je ne suis pas Siarienne, je viens d’Opartisk. Mais je vous promets que je vais vous aider.
— D’Opartisk ? Mais comment avez-vous fait ? Les transports entre les deux clans sont interdits.
— Je fais partie d’une organisation illégale là-bas qui lutte pour le bien, commença Marianne en sentant la jeune fille méfiante. Cette organisation est aidée par les trafics de transports eux aussi illégaux. Mais je vous assure que tout ce que je veux, c’est aider les gens qui subissent le même sort que vous.
La jeune fille hochait la tête, alors qu’elle la relevait, elle se décomposa et Marianne se braqua et se retourna, prête à se battre. Un homme, qui faisait une tête de plus qu’elle était là, calme, marchant lentement vers eux. Il levait les deux mains en l’air comme s’il n’allait pas les menacer et les agresser. Marianne ne se laissa pas duper et garda sa position.
— Agent Lowen, je suppose. C’est bien vous ?
— Oui, fit Marianne en fronçant les sourcils et en baissant un peu sa garde.
— Bien. Suivez-moi avec cette jeune fille. Je vais vous conduire au quartier général.
Marianne ne voyait pas pourquoi elle aurait des raisons de douter de lui. Il connaissait son nom, alors c’était forcément sûr qu’il venait de l’association. Personne ne la connaissait en Siar, alors aucune personne travaillant pour Jean-François II ne pouvait la connaître, et par conséquent, la piéger. La jeune Anastasia n’était pas aussi en confiance que Marianne, mais l’adolescente n’avait nulle part où aller. Marianne attrapa sa main en lui disant que tout allait bien se passer. La Siarienne ne semblait pas complètement convaincue mais la suivit. L’homme de l’association lui lança une casquette qu’elle enfila avant de s’engager une nouvelle fois dans les rues.
Le trajet ne fut toutefois pas très long, en plus de cela, ils ne croisèrent pas la foule de personnes qui était partie à la recherche de la pauvre victime, ce qui les arrangeait beaucoup pour accéder au quartier général de l’association. Lorsqu’ils arrivèrent devant un énorme bâtiment très architecture Siarienne, Marianne confirma bien que c’était le même bâtiment qu’Amanda lui avait montré en photo. Elle n’avait plus de doutes, c’était bien le quartier général Siarien de l’association. L’unique Siarienne du trio ne comprenait pas du tout ce qui se passait. Elle regardait l’agent et Marianne avec des yeux exorbités mais les suivait tout de même. Elle n’avait pas vraiment le choix. La façade de la bâtisse était composée de deux couleurs : du beige et du marron bois. Marianne imaginait facilement un intérieur rustique même si l’association faisait tout pour aménager modernement ses espaces. Ce fut le cas une fois à l’intérieur, rien ne s’accordait avec la façade.
Il y avait plus de gens en Siar que Marianne ne pensait. Ils restèrent dans le hall pendant un long moment alors qu’Anastasia regarda tout autour d’elle, impressionnée et émerveillée par toutes ces technologies qui n’existaient communément pas en Siar. Elle se tenait debout, la bouche ouverte et les mains sur son ventre arrondi. Elle aurait voulu dire que c’était magnifique, mais elle en restait si impressionnée que le son ne sortait pas. Tous les Siariens à part les riches auraient eu une réaction similaire à la sienne. Marianne la surveillait du coin de l’œil, son état semblait tout de même préoccupant. L’agent qui les avait trouvées l’envoya voir un médecin et emmena Marianne avec lui. Cette dernière rassura Anastasia en lui disant qu’elle était en sécurité dans cet endroit avant de s’éclipser avec l’agent. Il marchait d’un pas pressé, comme si à chaque fois, le temps était compté.
— Vous n’êtes pas censés libérer les prisonniers des peines de morts, commença l’agent qui tapotait sur sa tablette.
— Vous n’avez donc jamais fait cela avant, constata Marianne déçue.
— Ce sont des risques que nous ne pouvons pas prendre, contesta l’agent.
— Et bien des fois, il faut prendre des risques pour que les missions soient totalement réussies et pour se sentir humain et être content de ce que l’on fait. Depuis combien de temps êtes-vous en Siar ? demanda Marianne avec un ton beaucoup moins sympathique et diplomate qu’avant.
— Presque un mois environ.
— Et en un mois vous n’avez toujours pas réalisé qu’il était temps d’arrêter la sentence mortelle de milliers d’innocents ? Je n’en crois même pas mes oreilles ! Amanda est-elle au courant de cette situation ? Si ce n’est pas le cas, je me ferais un plaisir de le lui rapporter ! Car cela m’étonnerait très fortement qu’elle cautionne tout cela !
— Eh bien vous pourrez le lui demander, assena l’homme qui se renfrogna aussi. Je pense qu’elle décrochera rapidement.
— Bien… je veux être seule quand je vais m’entretenir avec elle. Emmenez-moi à ma chambre, exigea Marianne.
L’ancienne militaire avait très clairement envie de le baffer. Pour qui se prenait-il ? Un humain ? Peut-être pas finalement, mais elle voyait bien comment il la considérait. Il se sentait supérieur et lui ferait sûrement des piques si elle était amenée à travailler avec lui. Il ne voulait peut-être pas aider les pauvres Siariens victimes d’injustice, mais Marianne comptait bien faire bouger les choses. La Siar était un pays encore plus hostile qu’elle ne le pensait. Il y avait vraiment beaucoup de choses à faire là-bas. Elle empoigna la tablette et suivit l’agent sans rien dire jusqu’à sa chambre et lui claqua la porte au nez. Enfin sa tête qui n’était plus dans les parages, c’était temps mieux, elle n’aurait plus d’envie de meurtres pour le moment. Pourquoi n’avait-elle pas la chance de tomber sur quelqu’un comme Loan ? Lui au moins, était respectable contrairement à l’autre. Marianne laissa la tablette et posa son sac par terre avant de s’installer sur le lit et d’appeler Amanda. Le visage de son amie apparut presque immédiatement sur l’objet. La scientifique semblait fatiguée comme à son habitude. Marianne ne s’en inquiéta donc pas.
— Salut Marianne ! Alors ce trajet ? Il n’était pas trop long j’espère.
— J’en ai connu des plus courts mais aussi des plus longs. C’était surtout le plus mouvementé !
— Comment cela ?
L’ancienne militaire se mit à narrer toutes les péripéties de son voyage, qui, peut-être peu nombreuses avaient eu un énorme impact. Elle parla du braquage jusqu’à la libération d’Anastasia. Elle lui raconta aussi le bûcher et les peines de morts qui devaient être quotidiennes en Siar. Marianne remarqua donc très bien que Mme. Keys et donc Amanda n’avaient pas été mises au courant de ce très grand détail. Et la scientifique était plus au moins en colère à cause de cette nouvelle bien.
— Bien… je vois que certains dissimulent certaines informations. Bon, après notre discussion je contacterais le chef du quartier général, il est très certainement au courant lui aussi, et je ne compte pas le ménager. Les chefs, n’ont pas le droit de cacher des informations pareilles.
Marianne hocha la tête pour approuver. Elle aussi était en colère. Il fallait faire quelques choses pour aider ses innocents, et cela la touchait particulièrement même s’il n’y avait aucune raison.
— Et toi sinon ? continua Amanda d’une voix douce. Comment cela va par rapport à Loan ?
— C’est compliqué. Mais la vie continue, soupira Marianne en se tendant. Je me dis, peut-être que dans une autre vie, il aurait été vivant et non dans le coma. Peut-être qu’on aurait fini heureux. Et je n’en sais rien. Je n’aime pas y penser. D’un côté j’espère toujours qu’il soit en vie, mais plus son coma dure, moins il a de chance de s’en sortir. Mais j’aimerais tellement qu’il s’en sorte. C’est un trou en moi et dans ma vie.
— Oui… je comprends ce que tu ressens. Avec le temps cela s’atténuera je pense. J’espère pour toi. Mais bon écoute, tu ne dois pas laisser cela te ronger petit à petit même si tu penses que c’est égoïste alors que c’est faux. Tu n’as pas à avoir de la culpabilité à cause de lui. Il ne le voudrait pas. Il ne voudrait pas ça pour toi, il voudrait que tu continues à te battre comme tu l’as fait jusqu’à maintenant. Je suis sûre qu’il se bat. Il voulait rester avec toi tu sais.
— Je sais, mais ce n’est pas simple.
— Je le sais bien.
— Et toi ? Par rapport à Marin ?
— C’est dur. J’essaye de m’éclipser pour aller sur sa tombe tous les jours même si c’est compliqué. Puis, en ce moment je ne me sens pas très bien. J’ai fait une prise de sang et je vais bientôt avoir les résultats.
— Tiens-moi au courant, intima Marianne alors que son amie acquiesçait. Bon, passons au sujet professionnel ! Pourquoi m’as-tu envoyé en Siar ?
— Pour une mission qui peut peut-être bien changer la situation entre les relations des clans, révéla Amanda. Figure-toi que j’ai appris qu’il y avait une organisation qui se montait contre le roi Jean-François II pour essayer de l’écarter du pouvoir. Je voudrais que tu arrives à les convaincre de te faire confiance et de nous faire confiance pour les aider.
— Les aider à faire quoi exactement ? s’enquit l’ancienne militaire.
— À se débarrasser de leur roi qui est un des commanditaires de cette guerre et qui l’aggrave et la nourrie perpétuellement. Il ne doit plus faire partie de ce monde pour que le monde devienne meilleur.
— Le message est reçu. Je commence dès que je peux.
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