Chapitre 11 :
Pour Fred, la Kuyinto était le pays où Charles était décédé. C’était aussi le pays dans lequel Cassandra avait pu contracter la maladie elle aussi. Bien évidemment que cela lui faisait donc peur d’y aller. Peur d’avoir la maladie, et peur de finir comme eux et de laisser Kilian tout seul… mais pour une fois qu’il pouvait exécuter quelque chose d’important pour tout le monde ! Il ne voulait pas laisser tomber cette opportunité de rendre un service et de ne plus se sentir minable. S’il réussissait, il pouvait mettre la Kuyinto hors d’état de nuire et atténuer la guerre. Néanmoins, il s’était rendu compte que c’était une étape du plan pour pouvoir servir l’ultimatum du dictateur de Siar : que l’Opartisk prenne possession de son pays voisin et anciennement allié. Cela l’effrayait un peu plus car il ne voulait pas les aider pour cela. Il voulait les aider seulement pour le bien de l’humanité. Mais était-ce vraiment pour le bien de l’humanité que ses actions contribueraient ? Quand Kilian lui avait avoué ce qu’il avait appris, Fred avait compris et avait douté. Il doutait mais avait préféré ne pas en parler à Kilian avant de partir pour pas qu’il ne le retienne. Et peut-être qu’il l’aurait dû… car il lui manquait déjà. On toqua à la porte de la chambre qu’il occupait. C’était Christian. Le conseiller comptait rester avec lui pendant tout le temps de sa mission. L’homme était déjà prêt à l’accompagner dans son hôtel. Fred n’allait pas rester avec les militaires opartiskains installés en Kuyinto.
— As-tu quelque chose à me dire ? s’enquit le conseiller en s’asseyant à ses côtés sur le lit.
— On est au courant avec Kilian et Ethan, annonça doucement l’adolescent. Pour le dictateur de Siar et Bertrand. Comptez-vous vraiment vous approprier la Kuyinto pour laisser Jean-François II nous vaincre au final ? Vous savez bien qu’il se passe aussi quelque chose entre la Siar et la Kuyinto. Pourquoi ne pas chercher ce qu’il cherche à faire avant de foncer dans une guerre ?
— Bien, c’est ce que tu dois faire Fred. Trouver la raison de pourquoi ils ont passé cet accord. On ne pouvait envoyer ni Kilian, ni Ethan. Et on ne fait pas assez confiance aux autres adolescents des groupes. Tu es sûrement la personne la plus qualifiée pour cela.
— Si vous le dites… pourquoi n’avez-vous pas parlé de ce qu’il se passait avec la Siar à Kilian ? À moi ou à Ethan, cela encore je peux comprendre, mais Kilian est conseiller désormais !
— Parfaitement, mais Kilian est comme toi. Ce n’est qu’un adolescent. On ne peut pas tout lui dire. Pas seulement parce qu’il est nouveau mais surtout parce qu’il est jeune.
— Quel est le problème ?
— C’est le conseiller le plus jeune de l’histoire. Camille l’était avant lui et elle a la trentaine. Kilian n’a même pas la vingtaine. On essaye de ne pas lui laisser beaucoup de pression car plus tard, il y fera face, et plus cela dur, plus cela commencera à être difficilement supportable. Je ne le connais pas bien, mais cela n’a rien à voir avec sa personnalité. C’est humain.
— Vous auriez dû lui en parler quand même, insista Fred. Il est plus malin que ce que tout le monde peut penser. Et je ne dis pas cela parce que je l’aime, je dis cela parce que c’est vrai.
— Bien sûr que c’est vrai, et toi aussi tu es intelligent, admit Christian. Mais au fil du temps, quand vous grandirez, vous comprendrez qu’il y a aussi des choses qui sont préférables à cacher, et ceux, même à ses alliés.
— Je ne crois pas que cette dissimulation soit nécessaire, argua tristement Fred. Tout le peuple Opartiskain va bien finir par le savoir un jour. Parce qu’un jour il va vraiment se passer un événement grave qui impactera le monde entier. Et je pense, que la plupart des habitants souhaiteraient savoir ce qu’il se déroule plutôt que de voir leur fin arriver sans aucune réponse.
— Ce n’est pas si simple, affirma Christian en se levant. Mais si tu veux changer les choses, tu peux toujours t’engager dans la politique. Je n’ai pas l’impression que c’est le domaine d’Ethan, puis tu es assez immiscé dedans puisque tu es avec Kilian.
— Je ne pense pas que cela soit mon truc… être spectateur et donner des idées, ce n’est pas mal non plus, affirma Fred. Cela enlève toute trace de responsabilité en tout cas !
— En grandissant tu finiras par en avoir, rétorqua le conseiller. Puis, juste le fait de devoir accomplir cette mission, cela te donne des responsabilités beaucoup plus importantes que tu puisses penser.
— Est-ce que ma mission va contribuer à la guerre entre la Kuyinto et l’Opartisk ? s’enquit Fred en se levant à son tour.
— Très certainement, confirma Christian. Mais ce que tu dois comprendre, c’est que cela devait peut-être bien arriver un jour, et que c’est la vie. C’est comme cela dans une guerre.
Fred serra la mâchoire en baissant le regard. Il ne souhaitait pas être affilié à la guerre pourtant. Il soupira, maintenant c’était fait, et il allait quand même rendre un service important. Il prit sa valise à la main et partit de son ancienne chambre provisoire avec Christian. Ce dernier enfila une casquette comme s’il espérait qu’il ne soit pas trop reconnu et les deux hommes sortirent du quartier des militaires. Fred imaginait aisément que personne ne reconnaîtrait Christian. Les citoyens avaient sûrement autre chose en tête que de s’intéresser à la politique des autres pays. Ils devaient sûrement voter les conseillers et surveiller de près la famille royale. Même lui, en tout qu’Opartiskain il se fichait presque des autres pays. S’il ne faisait pas partie des adolescents recrutés spécialement dans le but d’espionner les autres pays, il s’en serait fiché. Il trouvait donc cela marrant que Christian se masque comme cela, mais en même temps il comprenait : valait mieux être prudent.
Fred ne se situait pas encore dans la capitale, il savait que son hôtel serait là-bas. Il monta dans la voiture et le paysage se constituait essentiellement de champs, de forêts et de fermes. Christian lui avait expliqué que la Kuyinto était un pays très rural. Les villes faisaient penser aux villages d’Opartisk comme celui où Samuel habitait. Seules les très rares grandes villes, très peuplées, rappelaient légèrement l’Opartisk. Fred risquait d’avoir le mal du pays. Néanmoins, il contemplait et reconnaissait la beauté du paysage avec le sourire. Liam, Charles et Cassandra étaient passés dans les mêmes endroits que lui. Il marchait un peu sur leur pas au final. Il ne put s’empêcher de penser que Charles s’était suicidé dans un beau pays malgré tout et que Cassandra avait eu la chance de voir cela. Cela lui laissait un arrière-goût amer de son appréciation de l’endroit. Il se rendait compte que n’importe quel souvenir pouvait impacter une réflexion, un moment ou une estimation. Christian lui avait aussi parlé de l’espace s’appelant «vide des cratères», une partie du pays qui avait été ravagée par les bombes ennemies. Fred aurait mis sa main au feu pour affirmer que l’association avait posté un quartier général là-bas. Cela lui semblait si logique…
Tiyunko, la capitale, paraissait être un espace long et dense en haut bâtiment en plein milieu de champs et de forêts. Le rendu était étrange. En arrivant, il avait vu des grandes maisons individuelles avec jardin. Maintenant, plus il s’enfonçait au cœur de la ville, plus les immeubles, qu’ils soient vieux ou neufs cachaient toute la vue de la nature. La Kuyinto était peut-être voisine de l’Opartisk, elle ne lui ressemblait absolument pas. Il se mit à penser au désert qui les bordait aussi… comment des espaces aussi différents pouvaient-ils être aussi proches ? Il ne cherchait même pas une réponse à sa réflexion, savant d’avance qu’il n’y en aurait sans doute pas. La voiture s’arrêta devant un hôtel très haut et qui semblait très moderne et prestigieux. Sûrement l’hôtel le plus prestigieux que le jeune homme irait dans toute sa vie. Christian enleva sa casquette et lui tendit une fausse carte d’identité avec la photo de Fred. L’adolescent la saisit.
— Dis que tu as retenu la suite 205 pour deux personnes. Je te rejoindrais dans quelques minutes, le temps de garer la voiture et de ne pas me faire voir des hôteliers. Vas-y.
Le blond hocha la tête puis sortit de la voiture. Il entra dans l’hôtel et reçu les clés de la suite sans complication. L’hôtel était un espace très géométrique, presque entièrement gris, blanc et noir foncé… style moderne ! Cela aurait sûrement pu lui faire penser à l’Opartisk s’il habitait dans la zone riche, mais ce n’était pas le cas, donc tout lui paraissait étrange. Surtout qu’à ce qu’il avait compris, la plupart des habitants n’étaient pas très riches… ou alors ils avaient une autre notion de la richesse.
Quoi qu’il en soit, Fred trouva la suite sans problème, elle était au second étage. Il y avait deux lits à baldaquin beige et les murs étaient couleurs dorés, la salle de bain d’un blanc brillant et immaculé. Seul le palais du roi de Siar paraissait surpasser cette richesse. Même les habitations des conseillers ne rivalisaient pas avec cet hôtel. La Kuyinto semblait plus riche qu’elle ne disait à tous les pays. Cela ne l’étonna pas que les conseillers se méfient de ceux Kuyintiens : ce clan était bizarre. Fred se réserva le lit le plus éloigné de la baie vitrée. Il s’allongea et observa la fausse carte d’identité qu’il tenait entre les mains. Un certain Cédric Dulong. Il y avait la photo de Fred, la date de naissance et le lieu. Ce fameux Cédric n’avait que trois ans de plus que lui, il faisait la même taille… Fred savait qu’il allait devoir se faire passer pour lui. Peut-être qu’il ressemblait vraiment à cet homme, et il y avait intérêt, car si quelqu’un l’avait déjà vu, cela serait compliqué. L’adolescent posa l’objet et se saisit de son téléphone portable. Il appela Kilian en espérant qu’il puisse décrocher. Ce fut le cas :
— Hey, dit ce dernier avec douceur. Comment ça va en Kuyinto ? C’est comment ?
— Trop loin de toi cela c’est sûr… c’est très rural, je suis sûr que t’aimerais. Même les villes au début ne ressemblent pas à nos villes. C’est spécial pour tout dire. Tu verrais dans quel hôtel je suis, je n’ai jamais vu un mobilier de personnes riches, c’est quasiment comme dans le palais de Siar. Cela me paraît encore plus prestigieux que le bâtiment des conseillers. C’est hyper bizarre.
— C’est peut-être aussi parce que c’est un conseiller riche qui paye l’hôtel, rigola Kilian à l’autre bout du fil. Même s’ils cachent peut-être bien leur jeu, on ne connaît pas vraiment la richesse. C’est évident que tu trouves cela hyper chic, mais peut-être que pour les riches, c’est tout simplement très basique.
— Aussi oui… as-tu parlé aux autres conseillers ?
— Non, pas encore. Ils m’évitent et esquivent le sujet, même Camille. On réfléchit avec Ethan sur ce que l’on pourrait faire, mais je crains bien qu’il n’y ait pas beaucoup de solutions pour contrecarrer les plans de Jean-François II. Et toi ? Ta mission. Qu’est-ce que tu dois faire maintenant ? Tu sais bien que de toute façon, dans tous les cas je m’inquiéterais, et je ne peux pas te faire revenir en Opartisk. Alors autant me dire ce que tu y fais.
— Je vais devoir infiltrer la politique de Kuyinto. Je suis censé arriver à trouver le pourquoi du comment de l’accord entre la Kuyinto et la Siar. Peut-être que cela vaut vraiment le coup de trouver, peut-être que la Siar a aussi un moyen de pression contre la Kuyinto comme avec nous. Et si jamais c’est le cas, on pourra peut-être en parler pour s’allier contre la Siar.
— On ne pourrait pas, rétorqua Kilian. C’est de l’espionnage. On n’est pas censé faire comme cela, c’est comme une trahison. Même si on n’est plus allié, cela sera vu encore pire. On ne pourra rien faire…
— Tu as raison, mais au moins, on saura peut-être à quoi se préparer. Je n’ai pas envie qu’il y ait une guerre qui met en jeu les territoires et voir l’Opartisk se faire envahir ou la voir envahir la Kuyinto. Très égoïstement, je préfère la dernière option.
— Je ferais tout ce qui est de mon possible pour que l’issue ne soit aucune des deux, assura Kilian. Fais ce que tu as à faire, mais fais attention à toi, je t’en prie.
— Bien sûr que je le serais. Je reviens bientôt.
Kilian dut raccrocher. Fred s’effondra sur son lit en soupirant. Il aurait espéré avoir plus de temps pour lui parler et lui confier ses craintes par rapport à certaines choses, mais Kilian avait des occupations et il comprenait qu’il ne puisse pas rester longtemps. Lui non plus ne pourrait sûrement pas l’appeler pendant son séjour. Sauf que cela ne serait pas auprès de Christian qu’il pourrait confier ses peurs. Même s’il était proche d’eux, Fred ne leur faisait pas entièrement confiance et il pensait par ailleurs avoir raison. On toqua à la porte de la suite et Fred alla ouvrir. Christian y rentra précipitamment et enleva sa casquette.
— J’ai failli croiser la conseillère Laura ! déclara-t-il. Heureusement, elle n’a pas fait attention. Il va falloir être prudent Fred. Ta mission commence dès demain. Je veillerais sur toi du mieux que je peux, mais dans l’enceinte des bâtiments des conseillers, je ne pourrais pas rentrer. Il va falloir que tu sois en permanence sur tes gardes et que tu aies un comportement parfait en essayant de fouiner où tu ne dois pas.
— Mais qu’est-ce que je vais devoir faire là-bas en tant que couverture ? Il fait quoi ce Cédric Dulong ? Et c’est qui ? Où est-ce que je dois chercher ?
— De la paperasse, rien de compliqué. On s’en est assuré. La chose la plus importante, c’est le pourquoi tu es ici. Tu dois rester concentré sur l’objectif, en prenant des risques et pas trop non plus. Sinon cela sera compliqué de te sortir de tout cela…
— Et Cédric Dulong ?
— C’est un Kuyintien qui a reçu assez d’argent pour se taire et te laisser se faire passer pour lui au risque de perdre son nouveau travail. Il venait tout juste de l’avoir donc tu ne risques pas de croiser ceux qui se chargent de sélectionner. On l’a placé sous surveillance pour être certain qu’il ne te nuit pas. Tu n’as pas à t’inquiéter par rapport à cela. Nous sommes en bons termes.
Fred se lamentait juste d’une chose : par où commencer ses recherches s’ils ne savaient même où et quoi exactement chercher ! Il sentait que la mission allait être longue s’il ne prenait pas rapidement ses repères. De plus il n’avait pas le droit à l’erreur : s’il se faisait renvoyer avant de trouver des informations, c’était fini. C’était la seule chance, et cela dépendait de lui. Bonjour la pression !
— Au fait, Fred, n’hésite pas à me parler, commença Christian.
— Je suis en train de vous parler, fit-il incrédule.
— Je veux dire, si tu as des doutes ou si tu ne te sens pas bien. Ton ami est mort dans ce pays, donc il y a peut-être des risques… ta santé ne vaut pas la mission. Si tu ne vas pas bien dit le, et on rentrera, que ce soit avec information ou non. Si jamais il t’arrivait quelque chose, on aurait un conseiller inactif pendant un moment en plus, et c’est vraiment embêtant. Pour le peuple et pour nous.
— Cela n’arrive pas qu’aux enfants et qu’aux adolescents, affirma Fred en se rappelant ce que Kilian lui avait rapporté. Vous aussi vous devriez être prudent.
— Sauf que tu es jeune et tu as la vie devant toi. Ce serait triste qu’elle s’arrête prématurément.
— Pourtant, c’est ce qui est arrivé à Cassandra et Charles, murmura Fred.
— Et ils ne cautionneraient sûrement pas que tu te mettes en danger comme cela. Kilian non plus ne voudrait pas je suppose. Ta mère aussi…
— Vous savez bien que ma mère est sûrement morte, cracha l’adolescent. Avant le désert, je faisais déjà tout à la maison. Elle ne bougeait plus de son lit et elle ne mangeait quasiment plus. Pourtant elle a insisté pour que j’aille dans vos bâtiments. Elle a dû se laisser dépérir et mourir.
— Pour tout te dire, une voisine a appelé une ambulance juste avant que tu rejoignes les groupes. Lorsqu’on l’a appris, j’ai fait mes recherches et avec Camille, on l’a placée dans un hôpital psychiatrique quand elle était sortie d’affaire. Tu l’as peut-être enterrée dans ta tête mais elle est vivante. Et elle ne voudrait sûrement pas que son fils meure avant elle.
— Si vous saviez combien de fois elle a tenté de se tuer et j’étais la seule personne qui réagissait… comment vouliez-vous que je ne pense pas au pire lorsque je suis parti ? Elle ne va toujours pas bien. Vous le savez tout autant que moi sinon elle ne serait pas où elle se trouve. Plus personne ne peut l’aider.
— Bien sûr que si, souffla Christian. Toi tu peux. En rentrant tu pourras aller la voir. Cela lui fera sûrement du bien de voir son fils. Peut-être que cette rencontre débloquera quelque chose en elle. Tu t’enfonces comme s’il y avait un point de non-retour, mais c’est d’espoir dont vous avez besoin. Il faut que tu lui donnes.
— N’a-t-elle pas souhaité me voir avant ?
— Elle n’était pas en état, ni pour recevoir, ni pour réfléchir. Cela devrait aller mieux maintenant.
— Pourquoi est-ce que vous nous aider ? chuchota Fred, les larmes aux yeux.
— Car j’avais presque ton âge, un peu plus vieux, lorsque j’ai perdu ma mère à cause de raisons similaires. Et je n’ai pas compris ce qu’il fallait pour la sortir de là alors que l’on avait les moyens. Mais je t’en parle, parce que je veux que tu essayes, car au fond de toi, je sais que tu espères un peu, et je veux te donner les clés pour retrouver ta mère.
Fred ne savait pas quoi dire. S’il y avait bien des personnes auxquelles il ne pensait pas recevoir de l’aide, s’était bien les conseillers. Il hocha la tête sans répondre par des mots fixa Christian qui sortait son téléphone, sûrement pour joindre Camille.
— N’oublie pas Fred. Parle dès qu’il y a un souci.
En trois semaines, l’adolescent pensait avoir pratiquement tout découvert du pays. Que ce soit la politique, les coutumes ou il ne savait quoi d’autre. Le jeune homme avait appris qu’il se situait dans une ville particulièrement riche et que s’était pour cela qu’il n’estimait pas les Kuyintiens pauvres. À force de regarder les médias du clan, il savait qu’il y avait beaucoup d’émeutes et de manifestations pour lutter contre la guerre. Sur ce point-là, cela ressemblait à l’Opartisk. Fred avait déjà vu des images d’émeutes dans son pays et dans celui-ci, et il n’y voyait aucune différence. C’était la même haine, la même colère nourrit de la même source qu’il ne pouvait que comprendre. La famille royale et les trois conseillers réagissaient comme ses amis Opartiskains : par une non-réaction. Même s’il n’était pas à leur place, Fred savait très bien comment calmer définitivement les hardeurs de la population : se retirer de la guerre. Sauf que comme en Opartisk, les conseillers n’étaient sûrement pas convaincus par cette issue.
Fred les avait déjà rencontrés. Du moins, il les avait vus même si aucun des trois ne lui avait adressé la parole. Il n’en avait pas envie. Les seules personnes importantes qu’il n’avait pas vues, c’était la famille royale. Il savait juste que la fille du couple était morte de la maladie et qu’il avait un fils. Penser à la maladie le faisait flipper. Elle était présente dans ce pays même si ce n’était pas le plus touché. Il stressait souvent par rapport à cela, chaque matin il se faisait une vérification des symptômes qui pouvaient correspondre à la maladie, comme les pertes de mémoire ou les difficultés respiratoires. Il pensait souvent à ses amis décédés. Si pendant les trois semaines il n’avait pu communiquer que très rarement avec Kilian et Ethan, en revanche, il avait parlé quelques fois avec Liam qui s’avérait être un des meilleurs amis qu’il n’avait jamais eus avec Kilian et Cassandra. Il ne s’était pas spécialement confié sur ses craintes, mais il l’avait aidé à prendre confiance, à remonter son estime.
Christian l’observait beaucoup. Après ses confidences sur la mère de Fred et sa propre mère, Fred en était venu à lui faire confiance. Jamais quelqu’un ne l’avait autant aidé que lui. Le conseiller l’observait beaucoup. Dès qu’il sortait hors de l’hôtel il le suivait, et il l’attendait en bas de l’immeuble où l’adolescent travaillait dès sa sortie. Il restait avec lui tout le temps et ne le lâchait pas d’une semelle. Fred n’était seul que très peu souvent, et pour une des rares fois de sa vie, il trouvait cela bien d’être entouré. Il trouvait cela soudainement important comme s’il avait peur qu’une menace plane sur lui. Bien évidemment qu’une menace planait s’il se faisait démasquer, mais ce n’était pas spécialement ce poids de la mission qu’il ressentait. C’était autre chose. Autre chose de plus dramatique qu’il n’osait pas évoquer et que Christian évoquait à chaque fois.
Après trois semaines à se repérer dans les bâtiments, à apprendre le fonctionnement des choses en Kuyinto et à enquêter, Fred n’avait pour le moment pas trouvé d’informations exploitables et nécessaires. Rien dans leur cible. Néanmoins, il ne se décourageait pas : Christian l’avait prévenu que cela pouvait prendre beaucoup de temps même s’ils devaient faire cela le plus rapidement possible.
La quatrième semaine commençait tout juste. Fred n’avait pas rencontré le fameux Cédric Dulong, mais apparemment il ne posait pas de problème pour le moment. Peut-être que si cela s’éternisait, cela serait le début des embrouilles. Il ne l’espérait pas. Comme d’habitude, Christian l’accompagna jusqu’au bâtiment administratif qui servait aussi de réunions pour les conseillers. Ce n’était pas un bâtiment spécialement grand, doté de deux étages, et qui gardait le même style rustique de façade que les autres architectures du pays. Dès qu’il entra, Fred alluma l’enregistreur audio de son téléphone. Personne ne disait de choses très intéressantes, mais on ne savait jamais, alors il préférait tout enregistrer au cas où. Des soldats du quartier analysaient tous les enregistrements même si cela prenait du temps, Fred ne pensait pas vraiment que cela valait la peine. Il salua la secrétaire de l’accueil et monta rapidement les escaliers jusqu’au dernier étage. Il posa son sac à dos à côté de sa chaise de bureau et s’affala dedans en entrant le mot de passe de l’ordinateur tout en saluant une collègue qui s’arrêta à côté de lui. Il releva la tête.
— Prépare-toi, le roi et la reine passeront aujourd’hui, déclara la jeune femme aux cheveux auburn qui lui rappelait vaguement Iris. Je crois qu’ils veulent parler aux trois conseillers.
— Cela arrive-t-il souvent ? se renseigna Fred en se focalisant sur la jeune femme.
— Avant non, mais ses derniers mois, oui. Ils ont toujours été transparents avec nous, mais il y a quand même certaines choses dont ils ne parlent pas. Ne t’avise pas à faire ton curieux. Le dernier qui a fait cela est partie en prison. On ne l’a pas revu dans n’importe quelle partie du pays depuis.
Fred faillit s’étouffer avec sa salive. Si aucun détail était donné il pouvait très bien être emprisonné à vie comme être mort. Il envoya un message à Christian pour le prévenir et continua ses activités de secrétaire. Ce qu’il devait faire n’était ni plaisant, ni déplaisant, cela l’ennuyait juste. Ce fut après la pause-déjeuner qu’il aperçut le roi, la reine et leur fils. Il vit où est-ce qu’ils s’enfermaient avec les conseillers et retourna à son bureau. Il travailla un moment puis se leva pour aller aux toilettes. Sa collègue, la même qui l’avait prévenu de l’événement, lui conseilla de faire attention et de ne pas trop tarder pour ne pas être suspecté. Il hocha la tête et sortit sous les regards anxieux de tout le monde. Les WC se plaçaient juste à côté de la salle de réunion. Même si c’était risqué, Fred se colla contre la porte mais ne perçut que quelques éclats de voix, aucun mot ne ressortit. Furieux, il entra dans la salle et s’appuya contre le mur. Ce fut là qu’il entendit clairement la discussion. Fred coupa l’enregistrement et en démarra un nouveau alors qu’il se colla un peu plus contre le mur. Il attendait patiemment qu’il y ait une information importante, et il eut raison.
— Alors c’est cela votre plan, déclara un homme. Vous pensez pouvoir duper Jean-François II comme cela ? Et le pouvoir ? Comment allons-nous prendre le contrôle du monde ? Nous ne sommes plus alliés à l’Opartisk et à la Dheas. Récupérer leur territoire pour tout dominer risque d’être compliqué.
— En faites, cela ne sera pas si difficile que cela, affirma une femme en faisant claquer ses talons au sol. Nous avons préparé nos hommes, et nous avons créé une arme. Une bombe si puissante qu’elle pourrait détruire près de la moitié du pays le plus petit : l’Opartisk. Il y en a plusieurs. En ciblant les capitales, on peut éliminer les dirigeants et prendre facilement le pouvoir du pays de notre choix. Le dictateur de Siar nous fait peut-être confiance, mais à n’importe quel moment, il peut exploser.
Fred en eut le sang glacé. Il ne comprenait absolument pas l’envie de tous les dirigeants de vouloir être le seul dirigeant du monde. Tout le monde élaborait des plans encore plus tordus et meurtriers contre leurs ennemis. Est-ce que les collègues de Kilian seraient capables de faire cela, eux aussi ? L’adolescent trouvait cela complètement fou. Il mit fin à l’enregistrement et le rangea dans sa poche. Le temps de faire ce qu’il avait à faire, un jeune homme d’environ son âge, brun, qui faisait sa taille se trouvait dans la salle. Fred lui demanda s’il pouvait l’aider alors qu’il nettoya ses mains et les passa sous l’eau.
— Tu as entendu ce qu’ils ont dit, n’est-ce pas ? demanda le prince. Pas la peine de répondre. Ton regard le fait à la place des mots… écoute, tu as juste l’air d’être un gars paumé. Je ne sais pas ce qui est arrivé dans ta vie, mais si tu me promets de ne rien dire au peuple, je te laisse t’en sortir. Et si tu trahis ta promesse, je te retrouverais.
— Pas de problème, affirma Fred en essuyant ses mains sur le haut de son pantalon. Je te promets que je ne révélerais rien. Ce que j’ai entendu… je ne crois pas que ce soit une bonne chose que le peuple soit au courant. Cela pourrait aggraver la situation. Nous n’avons pas besoin de cela.
En réalité, Fred ne se sentait absolument pas concerné. Ce qui lui importait, c’était de ressortir de sa mission avec succès et en étant libre et vivant. Parler de lui comme un Kuyintien lui faisait très bizarre, mais il ne le laissa pas paraître. Cela fonctionnait apparemment, en plus de ne pas laisser apparaître son mal-être il y a des années, il arrivait à dissimuler son identité. Il songeait fortement à démarrer une carrière d’acteur. Il serait peut-être performant dans quelque chose au final.
— Bien, fit le prince Jean avec un sourire satisfait. Content de pouvoir sauver la vie de quelqu’un ! La dernière fois que quelqu’un a découvert ces informations, il a été isolé de tout peuple et il n’est pas près de revoir d’autre personne. Peut-être quand la guerre sera terminée, si elle se termine un jour !
Alors qu’il comptait secouer la tête pour lui montrer sa bonne foi, Fred fut pris d’une douleur perçante à la tête. Si forte qu’il s’écroula contre le mur en retenant un cri. Cela ne lui était jamais arrivé. Bien évidemment que dans sa vie il avait déjà eu mal à la tête, mais pas comme cela. Pas avec cette intensité ! Il ferma les yeux et attendit que la douleur cesse pour les ouvrir. Il en avait les larmes aux yeux. Il avait des suspicions sur ce que cela pouvait être. Le prince Jean avait une main posée à son épaule et était agenouillé près de lui.
— Est-ce que cela va ? As-tu besoin de voir un médecin, ou d’appeler quelqu’un d’autre ?
— Non, assura Fred d’une voix tremblante. Cela va aller. Je partirai peut-être plus tôt si je ne vais pas mieux et qu’ils s’en rendent compte. Sinon je finirais ma journée et je poserais des congés. Cela va aller.
Du moins il espérait, mais il se doutait très fortement que cela risquait de se poursuivre. Il en était quasiment certain. Le prince l’aida à se relever et lui ordonna de partir quelques minutes après sa sortie. Ayant une autre préoccupation que de faire ses propres choix par lui-même, Fred obéit. Il ne fut pas inquiété et assura à ses collègues qu’il n’avait rien entendus et qu’il avait passé autant de temps dans les toilettes car il ne se sentait pas bien. Ce qui n’était pas un mensonge en soi. À la fin de la soirée, il pressa Christian pour rentrer et lui expliqua tout. Même son malaise.
— Non… souffla le conseiller. Heureusement que cela tombe pile au moment où tu as trouvé ce que l’on pouvait espérer savoir. J’espère que ton cas ne va pas s’aggraver. La Kuyinto a dû mentir en minimisant les dires sur l’effet de la maladie ici. Vu ce qui est arrivé à Cassandra, à Charles et maintenant à toi… ce pays est peut-être aussi toxique que la Thuath, peut-être même bien pire. Je n’ai pas croisé un seul enfant ou adolescent en plus.
— Est-ce que je vais mourir ? s’enquit Fred en serrant les poings.
— Je ne l’espère pas. On fera tout ce qui est possible, comme avec Cassandra. En espérant avoir plus de réussites. Fred, tu en es qu’au début, et après quatre semaines, ton corps s’est bien battu contre la maladie. Il va sûrement continuer, et l’Opartisk est moins contaminée. Tu as plus de chances que Cassandra en avait pour s’en sortir.
— Et pour la Kuyinto ?
— Ils ont brisé un vieux traité d’il y a des siècles, qui est toujours en vigueur. Après un massacre il y a des siècles de cela, les dirigeants de l’époque ont juré de ne plus jamais utiliser ce style d’arme. Même si ce n’est pas une méthode courante l’espionnage, nous allons prévenir la Thuath et la Dheas.
— Pas la Siar ?
— Cela ne m’étonnerait même pas qu’elle ait le même type d’arme. Il faut rentrer dès maintenant Fred. Pour toi, et pour l’humanité.
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