Chapitre 15 :
Marianne n’était pas souvent satisfaite d’elle-même, cela n’arrivait que très rarement. Lorsqu’elle avait été dans l’armée, elle avait toujours visé le plus haut, mais sa blessure l’avait forcé à abandonner. Mais en Siar… ce pays était loin d’être le pays le plus rassurant, c’était celui de la réussite pour Marianne.
Amanda avait accepté son idée de sauver les personnes qui devaient finir aux bûchers. La jeune femme s’y donnait corps et âme en plus de s’insérer dans l’organisation révolutionnaire secrète qui s’agrandissait plus en plus. L’ancienne militaire était convaincue qu’elle pouvait passer à l’action, et ses amis Siariens qui menaient la rébellion aussi. Cependant, la jeune femme devait obtenir l’accord d’Amanda pour lancer les hostilités et elle se débrouillerait pour que son amie le lui accorde. Elle réussirait.
La blonde marchait dans la rue avec Anastasia, la jeune fille qu’elle avait sauvée. Elle avait fini par faire une fausse couche et elle était maintenant déterminée à aider Marianne et les rebelles à renverser le roi de Siar du pouvoir. La jeune fille n’était miraculeusement pas reconnue, sûrement rechercher en tant que femme enceinte, et elle ne correspondait plus à cette description ! Les deux jeunes femmes rejoignaient un endroit de la ville, emmitouflées dans leurs longs manteaux noirs et munis d’une écharpe et un chapeau qui servaient à mieux les camoufler. Marianne poussa une porte métallique d’une vieille bâtisse, qui, à l’intérieur était elle-même très ancienne. Il n’y avait jamais beaucoup de monde dans cet endroit-là. Les rassemblements étant interdits, il fallait faire cela discrètement, et l’association avait prêté des équipements technologiques adéquats pour leur permettre de communiquer à plusieurs endroits dans la ville. Cela leur faciliterait sûrement la tâche.
Les deux jeunes femmes ne cherchaient pas à rassembler tout le monde pour déclarer un discours tout construit. Non. Marianne voulait trouver le grand chef de la rébellion qui était devenu son ami pour lui dire qu’elle essayerait de convaincre son amie de commencer les hostilités… voire plus ! Elles montèrent rapidement les escaliers et toquèrent à une porte déjà ouverte qui donnait sur un bureau. Un homme de presque trente ans s’y trouvait, il était très grand, costaud et imposant. Marianne parierait qu’on aurait voulu de lui à l’armée tellement qu’il paraissait impressionnant et fort. L’ancienne militaire se racla la gorge pour annoncer leur présence, Anastasia examinait la salle, comme à chaque fois qu’elle en découvrait une nouvelle. L’homme releva la tête et cela rappela que ses yeux bleus étaient très différents de ceux de Samuel.
— Marianne, annonça l’homme d’une voix très grave. Que me vaut ce plaisir de te voir alors qu’il n’y a personne d’autre ici ?
Cette dernière avait beau l’apprécier, son attitude flatteuse la rendait très mal à l’aise. Elle n’en avait pas l’habitude, et cela sonnait comme faux en elle, comme s’il n’avait pas le droit de faire cela. Et elle n’en connaissait pas la raison. Sauf qu’elle se ressaisit quand Anastasia lui lança un regard insistant.
— Salut Éric, je voulais te dire que je te tiendrais au courant pour lancer les hostilités. Mais sache, que j’accepterais qu’on le fasse même si ma supérieure ne veut pas. Mais il ne risquera pas d’avoir beaucoup de monde à nos côtés si elle refuse.
— Je comprends, accepta Eric en se concentrant, sérieux sur le sujet. Nous aimerions manifester demain. Les chaînes de télévision doivent retranscrire pour l’ensemble du pays le discours du dictateur. S’ils nous montrent, on aura peut-être plus d’alliés !
— Je verrais avec Amanda, assura Marianne en hochant la tête et en croisant les bras. Quoi qu’elle décide, je viendrais.
— Moi aussi je viendrais, renchérit Anastasia en rejoignant sa sauveuse.
La jeune Siarienne n’avait que seulement dix-sept. Le même âge que Samuel, songea Marianne. Et pourtant, elle laissait transparaître une colère nouvelle dès qu’elle entendait parler de Jean-François II. En très peu de temps, la jeune fille avait changé et Marianne se demandait si elle ne l’influençait pas inconsciemment… à moins que ses mois d’emprisonnement nourrissaient une colère qui explosait de jour en jour. Anastasia souhaitait sûrement se venger de ses règles restrictives et Marianne voulait rendre justice à toutes ces personnes qu’elle n’avait pas pu sauver.
Éric affirma qu’il préviendra ses compatriotes et leur donna rendez-vous à huit heures sur la place. Les deux jeunes femmes le saluèrent pour rentrer au quartier général de l’association. Marianne devait maintenant s’amuser à contacter Amanda pour la convaincre, à condition qu’elle réponde, et ce n’était pas le cas depuis quelques jours, mais Marianne ne s’en étonnait pas, Amanda était très occupée, et avec ce qu’elle traversait, elle ne pouvait pas la blâmer. Sur le chemin, elle discuta avec Anastasia qui lui demandait de l’entraîner au tir en fin d’après-midi. La militaire accepta, mais après ce qu’elle devait faire en priorité. Rentrée dans le hall du quartier général, la jeune femme s’immobilisa en voyant un jeune homme de dos, en train de parler attentivement avec l’homme que Marianne avait remis en place. Anastasia ne comprit pas vraiment pourquoi elle ne faisait rien.
— Samuel ? s’exclama cette dernière surprise.
Puis elle se gifla en se rappelant qu’elle l’avait eu hier et qu’il se trouvait en Thuath. Mais… cette personne lui ressemblait quasiment à l’identique, mis à part ses yeux. La ressemblance avec son ami la troubla tellement qu’elle réprima l’envie d’appeler l’adolescent pour lui rapporter cela. Le jeune homme en question se retourna malgré tout et laissa échapper un sourire en s’avançant.
— Pas sûr que mon petit-frère apprécie le fait qu’on me prenne pour lui alors que je suis plus vieux ! déclara-t-il en tendant une main à Marianne. Tu es Marianne, moi c’est Arthur. Le frère de Samuel, pas Samuel lui-même.
— Vous vous ressemblez énormément, murmura la blonde en lui serrant la main.
— Oui je sais, on n’est pas frère pour rien ! On m’a envoyé ici pour te prêter main-forte, idée de mon frangin même s’il ne voulait pas forcément que je vienne ici. Je vais m’installer, tu me diras ce que l’on doit faire ?
Marianne hocha la tête et Anastasia se proposa pour guider Arthur dans le bâtiment pour que Marianne ait le temps de passer ses appels. La blonde ne voulait pas lui faire la remarque trop tôt, mais elle était presque certaine que l’aîné de Samuel était un militaire comme elle l’avait été, elle le sentait et elle savait cerner les gens. Il venait sûrement de l’organisme créé par le frère d’Amanda. La jeune femme débarqua dans sa chambre et jeta le manteau par terre. Elle attrapa la tablette et contacta la nouvelle cheffe. La jeune femme manquait encore un appel. Elle commençait sérieusement à s’inquiéter pour son amie. Ce n’était pas dans son habitude de faire cela. Elle décida de contacter Iris puisqu’elle avait déjà parlé Samuel. Et, eux au moins, répondaient quasiment immédiatement. Son amie semblait un peu fatiguée, sûrement rentrait-elle du travail ! Néanmoins, elle paraissait heureuse de la voir, elle n’avait pu la contacter avant.
— Cela fait longtemps ! s’exclama-t-elle avec un sourire en coinçant une mèche rousse derrière son oreille. Comment ça va Marianne ?
— Très bien, pas d’inquiétude, assura l’ancienne militaire. En revanche, Samuel m’a parlé de ce que tu avais fait pour obtenir des informations. Franchement, tu m’épates ! Toutes informations sont importantes, et tu l’as compris.
— Bien sûr que je le comprends, sinon je n’y serais pas allée. Et toi ?
— J’avance dans mon plan, puis, le frère de Samuel vient d’arriver pour m’aider. J’espère pouvoir changer la donne, expliqua Marianne en s’installant un peu mieux dans son lit. Cela me fait du bien. J’ai besoin de ne pas penser…
— Pour ne pas penser à Peter et Loan, compléta Iris avec un regard compatissant car elle aussi devait se vider la tête pour ne plus trop penser à eux. Mais… personne ne t’a rien dis ? As-tu eu Sam récemment ? Il n’a pas pensé à te le dire ?
— Me dire quoi ? s’enquit Marianne, soudainement très intéressée par ce que son amie pensait qu’elle savait.
— Oh mais j’en ai marre que personne ne me prenne au sérieux sur cela ! rouspéta Iris très en colère. Bon… je ne t’obligerais pas à me croire puisque personne n’est décidé à l’être ! Il pense que j’affabule et que j’espère beaucoup trop, mais cela s’est répété plusieurs fois : j’ai senti Loan me serrer la main. Et je sais que plus les jours passent, plus ses chances de s’en sortir déclinent, mais je suis persuadée qu’il peut se réveiller !
Marianne bougea les lèvres, mais rien n’y faisait : elle restait sans voix. Sauf qu’elle ressentait aussi une pointe de colère : pourquoi personne ne l’avait-elle donc prévenue ? Pourquoi personne ne croyait Iris ? L’ancienne militaire avait confiance en son amie, même si personne ne voulait la croire, Marianne se raccrochait à cette annonce. Elle en avait besoin, et Loan aussi. Quelque chose s’était brisé en elle lorsqu’il avait sombré. S’il revenait, ce quelque chose serait sûrement réparé, et ils pourraient continuer leur vie ensemble, comme ils se l’étaient promis. La jeune femme serra la mâchoire à cette pensée, depuis quand devenait-elle sentimentale ? Ce n’était pas son genre, elle ne l’avait jamais été et il fallait qu’un ami soit à moitié mort pour qu’elle le devienne ! Peut-être s’était-elle trop endurcie après la mort de sa mère…
— Tu n’as pas à t’en vouloir de ne pas être à son chevet, déclara la surdouée en sachant que cette discussion serait différente de celle qu’elle avait eue avec Samuel à propos de Loan. Après ça on avait tous besoins de s’enlever la pression qu’on ressentait et de passer à autre chose pour être efficace. Il le comprendra, j’en suis certaine.
— Bien sûr qu’il le comprendra. Mais j’aurais dû rester quand même ! asséna Marianne qui le pensait vraiment.
Iris ne tenta pas de la convaincre du contraire même si elle ne pensait pas comme son amie. Elle lui répéta tout de même qu’il n’y avait aucune raison pour qu’elle soit en colère contre elle mais ne chercha pas à comprendre pourquoi cette situation bouleversait autant Marianne. Cette dernière se renseigna sur le frère de Samuel auprès d’Iris puis elle voulut faire le point sur la situation de son amie. Évidemment qu’elle appréciait tout le travail qu’elle avait fait pour avancer dans sa quête d’informations. Néanmoins, elle tentait aussi de la conseiller pour qu’elle ne prenne pas des risques insensés. C’était Iris, elle était si déterminée qu’elle pouvait tout faire, Marianne essayait donc de la canaliser, car elle savait qu’elles se ressemblaient plus qu’elles ne le s’avouaient. Iris ne put donner aucune information sur Amanda. Elle ne répondait pas depuis un moment, à personne. Tout le monde s’inquiétait, et Marianne imaginait que cela ne présageait rien de bon. Ils devaient persévérer à les contacter. Quelqu’un allait bien finir par montrer signe de vie ! Iris ne tenta pas de la rassurer cette fois-ci, ce fut Marianne qui la rassura. La surdouée tenait beaucoup plus à Amanda qu’elle. Après une longue discussion, Iris raccrocha pour aller dormir, et Marianne sortit de sa chambre pour aller dans les salles informatiques sans vraiment savoir quoi y faire. Sans l’autorisation d’Amanda, elle ne pouvait rien faire. Néanmoins elle s’installa devant un écran et imprima une carte de la capitale avant de s’installer sur une table sans objet et attrapa des stylos pour y tracer des emplacements.
— Que fais-tu ? questionna une voix derrière elle.
Marianne sursauta. Décidément, le frère de Samuel ne savait que la prendre par surprise. Elle allait devoir s’y habituer vite si elle voulait éviter les montagnes russes émotionnelles. Quoique ses quelques semaines n’aient pas été très calmes de ce côté-là, loin de là. Arthur s’approcha de la carte et l’observa quelques instants avant de se focaliser sur Marianne.
— C’est quoi le plan ?
— Par qui as-tu été envoyé ? souffla Marianne en plissant les yeux.
Ce n’était pas qu’elle voulait complexifier les choses, mais elle doutait de tout cela. Et comme Amanda ne répondait pas, elle avait l’impression qu’il y avait quelque chose qui clochait. L’ancienne militaire ne faisait confiance à personne au tout début, et Arthur n’échappait pas à la règle. Le militaire soupira et déplaça une chaise pour s’asseoir juste à côté de la jeune femme.
— C’est mon frère qui m’envoie, asséna-t-il d’une voix sèche. Écoute, il m’a parlé de toi, et de ce qui s’est passé pour vos deux amis, et je comprends que tu n’aies pas confiance… mais j’ai été envoyé ici pour t’aider, donc on ferait mieux de ne pas travailler dans l’animosité. Tu es une ancienne militaire, tu dois comprendre.
— Cela aussi Samuel te l’a dit ?
— Non, mais j’en suis un. Je sais que tu en es une. Cela se remarque à l’attitude.
Marianne détourna le regard en se mordant la lèvre. Arthur était réglo et sympa même, comme son frère, malgré tout, il y avait quelque chose en lui qui l’énervait et elle ne savait absolument pas quoi. Peut-être parce qu’elle n’avait pas spécialement envie de travailler en duo… oui, sûrement. Sauf que Marianne sacrifiait déjà certaines choses pour l’association. Ne rien faire pour travailler en paix, cela reviendrait à gâcher ses sacrifices, et cela, elle ne le voulait vraiment pas. Elle croyait en l’association, elle voulait aider les gens donc elle ne supportait pas l’idée que tout ce qu’elle faisait ne servirait à rien. Alors elle tendit sa main à Arthur, et elle la serra.
— Je comprends que tu n’aies pas vraiment envie de travailler avec moi, et je comprends que tu aies vécu des choses traumatisantes… crois-moi, on en voit en tant que militaire et tu le sais. Tu ne me fais pas confiance, affirma Arthur en prenant la carte dans ses mains pour analyser les marques qu’elle avait tracées. Mais si des fois cela ne va pas, je peux m’improviser psychologue. Je faisais cela avec Samuel quand nos parents se disputaient en pleine nuit.
— Je ne suis pas ton petit-frère, commença Marianne. Mais merci pour cette proposition.
L’ancienne militaire expliqua donc son plan, ce qu’il devait se passer demain. Arthur comprit vite que c’était un réel problème de ne pas pouvoir contacter Amanda pour le moment et il se proposa de l’accompagner dans la manifestation. Marianne ne comptait pas le forcer à venir avec elle, mais elle se sentait soulagée de savoir qu’elle ne serait pas seule, elle et Anastasia. Le frère de Samuel semblait si tête brûlée comme elle et Iris, sauf qu’elle avait changé. Marianne avait toujours été excitée et enthousiaste d’aller en mission, d’être sur le terrain, de faire des actions qui pouvaient potentiellement changer la donne. Elle aimait cela, elle se sentait utile comme lorsqu’elle était fière à l’époque où elle se trouvait dans l’armée. Malheureusement, la dernière mission avait trop viré en cauchemar pour qu’elle n’ait pas peur. Loan était dans le coma, Peter mort, elle avait dû tuer un conseiller et le bâtiment avait pris feu, avec sûrement, des informations encore plus importantes que celles qu’ils étaient venus dérober. Marianne n’oubliait pas, et elle aurait aimé que Loan soit là pour la rassurer. Avant chaque mission, il l’avait toujours fait. Même à distance, il avait été là. La jeune femme frappa son poing contre la table, ce qui surprit Arthur, puis elle s’excusa.
Elle n’avait pas prévenu son père de sa mission. Il lui avait dit qu’il voulait toujours être au courant, mais la jeune femme ne se sentait toujours pas prête à le lui annoncer. Tout était toujours très risqué en Siar, si elle le lui disait, il l’empêcherait de mener sa mission à bien, et il avait assez d’influence pour le faire. Elle ne pouvait pas prendre ce risque-là. Pas du tout. Marianne entendit crier son prénom dans le couloir alors qu’elle discutait avec Arthur du déroulement de la manifestation. Pensant d’abord que ce n’était pas important, elle n’y prêta pas attention mais la personne répéta plusieurs fois, cherchant à savoir où elle se trouvait et elle répondit. C’était Anastasia qui débarqua en courant, un téléphone mobile à la main. Elle le tendit à Marianne en lâchant seulement ‘‘Amanda’’ puisqu’elle reprenait son souffle et que cette dernière s’en empara immédiatement.
— Cela fait des jours que l’on essaye tous de t’appeler ! Je viens d’avoir Iris. Elle était morte d’inquiétude ! s’énerva Marianne en se levant, renversant sa chaise au passage. Je dois te parler de quelque chose urgemment.
— Je dois te parler de quelque chose d’important aussi, murmura Amanda alors que Marianne entendait des bips en fond sonore.
— Attends… où es-tu là ?
— À l’hôpital, expliqua enfin Amanda en augmentant un peu le son de sa voix. La Siar nous a découverts, il n’a ciblé que notre bâtiment, et de l’intérieur en plus. Il y a des morts.
— J’en connais ? s’enquit Marianne qui se colla contre le mur pour se laisser tomber à terre.
— Sûrement quelques personnes que je ne connais pas mais… Kendra est morte. Tout comme le petit garçon des membres du clan nomade, Gabriel je crois. Ils devaient être ensemble sans doute… on ne sait pas encore bien ce qui s’est passé mais il y avait plusieurs bombes à l’intérieur. Il y a des traîtres qui servent la Siar dans nos rangs, avec moi, et sûrement aussi près de toi car tu y es, fait attention.
Marianne voulait hurler, taper par terre… piquer une crise pour pouvoir se calmer en bonne et due forme. Sauf qu’elle était paralysée totalement. Le quartier de l’association se trouvait être l’endroit le plus sûr pour chaque membre, s’ils retournaient chez eux, ils risquaient d’être trouvés plus facilement qu’avant. Cela ne plaisait à personne, et elle était énervée. Amanda lui apprit que certaines personnes résidaient chez les habitants alors que l’association de son frère en hébergeait certains. D’autres avaient préféré rentrer chez eux malgré les risques pendant que les blessés se localisaient dans le même hôpital qu’elle. Amanda allait bien, son frère avait juste insisté pour qu’elle aille à l’hôpital pour connaître l’état de son bébé et rien d’alarmant ne se préparait. Naturellement, la cheffe se sentait coupable de ce qui s’était passé et des morts qu’il y avait eu. Celles de Kendra et Gabriel la marquaient sûrement beaucoup, et même si Marianne avait cœur de la réconforter, elle était si déroutée qu’elle en avait du mal.
Elle lui expliqua donc ce qui l’attendait demain, et son amie ne semblait pas vraiment convaincue. Sans doute trouvait-elle que cela arrivait trop tôt ! Marianne lui exposa donc qu’il n’y avait pas d’autre créneau horaire idéal et que celui-ci l’était. Amanda accepta donc qu’elle annonce une mission collective, elle ne voulait pas qu’il lui arrive quelque chose, et le seul moyen pour que ce ne soit pas le cas, s’était qu’il y ait plus de trois personnes. L’ancienne militaire la remercia et envoya un message pour prévenir l’ensemble des membres du QG. Elle se releva et vit qu’Arthur était en train d’écrire sur la carte. Ils constataient qu’en cas de pièges, il n’y aurait que très peu d’échappatoire. Marianne voulait prendre ses risques car il y en avait toujours et qu’elle ne se laissait pas abattre par cela.
Plus tard, elle retrouva Anastasia avec Arthur pour informer Éric du déroulement de la matinée. Le Siarien était très émoustillé et heureux d’avoir du soutien pour gérer cela. Les révolutionnaires avaient beaucoup moins peur de Jean-François II en sachant qu’ils étaient soutenus.
D’habitude, Marianne dormait bien lorsqu’elle partait en mission le lendemain, mais là, elle n’arrivait pas à fermer l’œil et se félicita d’avoir ramené un paquet de somnifère. Elle ne rata pas son réveil mais l’avait préparé trop tard et dû se dépêcher. Elle retrouva le frère de Samuel et Anastasia dans le hall avant de retrouver tout le reste des membres du QG qui s’était rassemblé dans la grande salle de cantine. Le chef du quartier, un homme d’une trentaine d’années aux mèches blanches dans ses cheveux blonds tendit un micro à Marianne pour qu’elle puisse expliquer ce qui allait clairement se passer.
— Nous partons pour une opération risquée aujourd’hui ! déclara-t-elle en espérant qu’elle ne tremblait pas et que sa voix non plus. Je peux comprendre que vous puissiez être assez réticents à l’idée de le faire, mais n’oubliez pas : c’est une opération importante pour changer le monde. Cela pourrait être l’élément déclencheur qui bouleverserait le pays !
Marianne ne se sentait pas sereine. À cause de Loan, à cause d’Amanda, à cause des explosions, à cause des traîtres qui se trouvaient face à elle et qu’elle n’identifiait pas… à cause de tout ! Elle espérait que ses alliés fassent un petit effort. Certains paraissaient enthousiasmes, alors que d’autres ne semblaient pas si emballés que cela à l’idée de manifester sur la place. Marianne alla chercher dans sa chambre une arme de secours qu’elle cacha dans une poche intérieure. Lorsqu’elle se retourna pour sortir, elle fit un bond en arrière face à Arthur qui l’attendait.
— Arrête de me surprendre comme cela, je vais finir par faire une attaque ! s’écria la jeune femme en enfilant encore une veste au-dessus de l’autre.
— As-tu réellement aussi peur du déroulement de la mission pour prendre une arme avec toi ? souffla Arthur en s’avançant. On m’a déjà parlé de toi dans l’armée. On m’a toujours dit que tu avais été un des meilleurs éléments de ta légion, que tu avais des réactions logiques et souvent les meilleurs sur le terrain, que tu menais les troupes avec brio… qu’est-ce qu’il se passe dans ta tête pour douter à ce point ?
— Il se passe qu’entre-temps j’ai été blessée et des amis à moi sont morts et blessés par des missions où je les accompagnais. Donc oui, je doute de moi. Je ne suis plus la même. Je ne suis plus l’excellente soldate qui réussissait tout avec talent. Ce n’est plus celle que je suis aujourd’hui.
— Mais cela l’a été, affirma le militaire d’une voix forte, presque en criant comme s’il souhaitait que tout le monde l’entende. Et cela définit une partie de la personne que tu es aujourd’hui même si tu n’es plus la même. Et tu as toujours ces capacités, tu as continué d’y travailler avec les missions de l’association, tu es aussi forte qu’avant.
Marianne pensait qu’il serait très différent de son frère, mais même s’il l’était, il avait un trait de caractère commun avec lui : il essayait de soutenir les gens et de les pousser vers le haut, le mieux qu’il le pouvait. Samuel faisait cela lui aussi, et le pire, c’est qu’ils y arrivaient à le faire. Marianne se sentait plus déterminée que jamais même si une partie d’elle lui hurlait toujours les erreurs qu’elle avait pu commettre dans le passé.
— Je resterais avec toi, assura Arthur en espérant que cela l’aide totalement.
— Merci… je suis une grande fille, tu n’es pas obligé de me surveiller tout le temps. Mais je t’en pries, fais attention à Anastasia. Elle a bien plus à perdre que quiconque.
Arthur le savait bien et hocha la tête avant de la suivre dans les couloirs. Le jeune homme n’aimait pas être seul, il avait encore quelques problèmes pour s’y repérer.
Lorsque tout le monde fut prêt, se fut Marianne qui sortit la première. Éric l’attendait devant la porte avec une foule de personnes qui hurlaient déjà et brandissaient des pancartes et des banderoles. En constatant cela, l’ancienne militaire ressentait vraiment une fierté qu’elle n’avait pas l’habitude d’avoir. Elle fut surprise lorsque Éric la prit dans ses bras pour la remercier et la fit acclamer par toute la foule dans la rue. Puis la grande foule s’engagea pour aller à la place, face à Jean-François II, croisé entre roi et dictateur, pour faire entendre leur voix. Anastasia, Arthur, Éric et Marianne menaient la marche, bien déterminés. Certains habitants qui sortaient de chez eux les regardaient étonnés, effrayés et intrigués. Certains s’enfermèrent chez eux malgré l’obligation exigée par le roi de l’écouter alors que d’autres se mêlèrent à la foule avec des sourires éclatants. Les Siariens de la capitale scandaient des slogans, des hymnes à la liberté et aux changements. Un vrai mouvement existait pour renverser le pouvoir et Marianne y appartenait, et cela la rendait heureuse et fière d’être présente. Elle bloquait les pensées capables de la perturber et elle pressa le pas comme si cela pouvait l’aider à enfouir le stress en elle. Ils allaient réussir. Elle allait réussir cette mission pour une fois. Puis elle commença par le voir de loin. Jean-François II, avec ses yeux bruns menaçants et sa chevelure coiffée aux millimètres près sous sa couronne scintillante. Il avait un micro et il parlait haut et fort mais s’arrêta lorsqu’il entendit des gens hurler venant vers eux.
Il fut si déconcerté que Marianne aurait éclaté de rire volontiers face à la tête qu’il faisait. Elle trouvait cela si satisfaisant ! Des riches nobles les dévisageaient avec dégoût et elle leur répondit par un regard provocateur alors qu’elle tendit leur micro à Éric dans un geste théâtre. Marianne savait que ce n’était pas à elle de parler, elle n’était pas Siarienne. Même si elle défendait cette cause, elle n’était pas la mieux placée pour le faire. Elle jeta donc un regard à Arthur qui hocha la tête avant de prendre la main d’Anastasia pour ne pas la perdre et Éric débita son discours avec autant de ferveur qu’il aurait pu tenir des heures dans le froid. Ses alliés l’acclamaient et répétaient certains mots alors que le roi se montrait plus menaçant en approchant vers eux de quelques pas.
Sa femme médusée se trouvait à ses côtés, néanmoins, elle observait tout le monde. Elle croisa un bref instant le regard de Marianne puis fit approcher un garde pour lui murmurer quelque chose à l’oreille. Était-ce pour faire éloigner les manifestants de son mari ? Sûrement, Marianne ne voyait pas d’autre intérêt à cela. Éric termina son discours, et les révolutionnaires l’acclamèrent alors que les nobles les regardaient comme s’ils étaient des pestiférés. Marianne avait bien envie de leur régler leur compte à sa manière, mais elle ne le fit pas. Ce ne serrait pas elle qui commencerait à être violente pour une fois, sinon, elle serait en tort. Et dans un pays qui n’était pas le sien… ce n’était pas la meilleure idée du monde !
Le silence ne régna pas longtemps pour faire peser les propos d’Éric puisque ses amis commencèrent déjà à crier contre le roi qui les fixait avec tant de mépris. Puis il hurla quelque chose mais personne ne réussit à attendre avec tout le vacarme qui occupait la place, mis à part les concernés, puis Marianne et les autres s’en rendirent compte bien vite.
Après deux coups de feus, la tension commençait à grimper et la foule s’agitait dans tous les sens. Certains tentaient de partir pour ne pas être blessés alors que d’autres fonçaient têtes baissées vers les soldats comme s’ils avaient la moindre chance de les battre alors qu’ils ne possédaient pas d’armes pour les défier. Marianne repoussa quelques soldats les plus prêts et les plus réticents à tirer et s’empara d’armes qu’elle passa à certains révolutionnaires raisonnables. Alors qu’elle se lançait à nouveau dans une bataille, elle fut tirée en arrière par Éric.
— Ne restez pas ici à risquer vos vies pour nous, ordonna-t-il en refermant sa poigne en remarquant que l’ancienne militaire allait protester. C’est notre combat, pas le vôtre. Nous avons déjà la chance que vous soyez là pour nous encourager à faire cela. Si ne serait-ce qu’une seule vie Opartiskaine est touchée aujourd’hui, je me sentirais coupable pendant le restant de mes jours !
Marianne n’avait pas cœur de le contredire et hocha la tête et le regarda sans aller. Elle allait repartir à l’attaque malgré l’avertissement mais cette fois ce fut Arthur qui l’en empêcha. Il avait entendu, et il ne lui lâcha pas la main pour aller récupérer Anastasia qui aidait un vieil homme à se débarrasser d’un soldat qui l’attaquait. Le trio commençait à s’en aller, mais ils avançaient à contre-courant et finirent séparés. L’ancienne militaire s’immobilisa d’un coup, tournant autour d’elle pour repérer un de ses deux amis. Elle finit par apercevoir le frère de Samuel qui avait réussi à s’extirper de la foule et qui attendait qu’une d’elles apparaisse de la masse de gens agglutinés dans la place. Marianne aperçut une femme se prendre une balle dans la tête et des militaires s’approcher d’Arthur. Elle cria, aussi fort qu’elle le pouvait tout en courant mais il ne pouvait l’entendre. Lorsqu’elle émergea de la foule, le visage du jeune homme ne resta qu’une fraction de seconde soulagé avant de s’inquiéter. Marianne s’interposa entre lui et les gardes et elle vit une silhouette dans la foule se rapprocher d’eux. Elle tenta de se libérer de leur emprise mais n’y arriva pas.
— Pars ! hurla Marianne à Arthur alors qu’il s’approchait et qu’il s’arrêta, menacé par des armes à feu. Samuel a besoin de toi en vie et tes parents ne voudraient pas te savoir dans cette situation donc ne me rejoint pas ! Partez ! Laissez-moi je trouverais un moyen de m’en sortir, continua-t-elle en gigotant toujours plus alors que les militaires la tenaient. PARTEZ IMMÉDIATEMENT.
Marianne essayait de rendre un regard convaincant à Arthur qui regardait partout, cherchant un moyen de la libérer mais elle voulait lui faire comprendre qu’ils devaient la laisser. S’ils souhaitaient la sauver, ils le feraient plus tard, après cette révolte du peuple Siarien contre le roi.
— On ne te laissera pas, je te le promets, affirma Arthur avant de prendre la main d’Anastasia et de partir en courant dans les rues de la capitale.
En s’agitant toujours, Marianne tomba sur le regard glacé d’effroi d’Éric mais lui fit comprendre de déguerpir le plus vite possible avant qu’il se fasse attraper à son tour. Des gens étaient morts, donc sûrement emprisonnés comme elle et certains seraient envoyés aux bûchers. Et cette fois Marianne ne serait même pas là pour les sauver, cela serait elle qui espérait être sauvée ! Quelle ironie ! On lui donnait un coup de genou dans le ventre et elle se laissa tomber à cause de la douleur mais ne laissa sortir aucun cri de sa bouche. Elle reçut un autre coup, et releva la tête alors que la douleur se dispersait dans son corps et qu’on la força à se relever pour marcher.
Elle se reprit vite et tenta de s’échapper en vain. Elle reçut d’autres coups et ne rechigna plus, la douleur ne cessait pas et l’adrénaline ne servait plus à la masquer. On l’attacha à un soldat et elle croisa le regard de la reine qui s’éloignait dans une calèche avec un sourire aux lèvres.
Puis Marianne comprit.
Elle comprit pourquoi ils n’avaient pas cherché à retenir Anastasia et Arthur.
L’homme à qui elle était attachée était le soldat à qui la reine avait parlé pendant le discours du roi.
Ce n’était donc pas un hasard qu’elle se retrouve dans cette position.
La reine voulait que cela se passe ainsi. La reine souhaitait l’avoir dans ses prisons.
Pourquoi ? Marianne ne savait pas. Mais manifestement, elle allait sûrement avoir quelques visites lors de sa détention.
Annotations
Versions