Douze ans plus tard

Iris contempla le cimetière de sa ville, appuyée contre la mairie. La femme songeait à toutes ses personnes mortes à cause de la guerre et de la maladie. C’était du passé maintenant. Samuel avait pu mettre au point un vaccin et il était administré à chaque nouveau né dès sa naissance. Cela lui arrivait parfois de partir pour aider ses collègues à trouver des potentiels malades. Il retournait quelquefois en Thuath pour prendre des nouvelles de Louis et aider le roi qui reconstruisait petit à petit son pays. Mais c’était long, tout était long. Mais la plupart du temps, il restait avec elle en Opartisk, travaillant à l’hôpital comme elle. Ou alors, elle venait avec lui. Ils supportaient mal les séparations depuis la fin de la guerre.

La surdouée glissa son regard sur son bras droit. Après de multiples tentatives, rien n’avait fonctionné : elle ne pouvait plus bouger ce bras. Elle avait fini par s’habituer, même à son réveil, avec Samuel qui était arrivé, elle avait déjà tiré un trait sur cette faculté, elle pouvait avancer sans. Elle sentit une main sur son épaule et se retourna pour serrer Kilian dans ses bras. Il ne lui avait jamais semblé plus épanoui qu’aujourd’hui. Aimé du peuple, aimé de quelqu’un, sa famille était ses amis. Autant dire qu’il avait de la chance d’avoir des amis comme collègue puisque Ethan avait gardé son poste et que Liam prenait la place de la vieille conseillère qui avait pris sa retraite. Elle était heureuse que tout se passe bien pour lui.

— Fred va arriver, assura-t-il en se posant à ses côtés.

— Samuel aussi. Il rendait visite à son frère et à sa belle-sœur. Je voulais venir en avance.

— C’est dur de venir ici…

Iris était bien d’accord avec lui. L’homme posa ses yeux sur le ventre de la jeune fille avant de sourire.

— Déjà des idées de prénoms ?

— Cassandra ou Kendra si c’est une fille. Peter si c’est un garçon… je t’avoue que j’aurais du mal à trancher.

— Tu ne les oublies pas, c’est tout ce qui compte.

Kilian avait raison. C’était aussi une manière d’aller de l’avant pour Iris. Elle avait fait son deuil depuis longtemps, mais une personne ne s’efface jamais de la vie de quelqu’un, même après son départ.

— Narim va être content d’avoir quelqu’un avec qui jouer.

— Avec douze ans de différence, je doute que les relations soient comme deux personnes du même âge, rigola Iris. Il est content de voir sa mère entourée, puis, je peux lui parler de Marin, toi aussi tu pourrais. Tu étais un des derniers à le voir. Le jour où il sera prêt à entendre toute l’histoire sur son père…

Amanda et Iris étaient restées très proches malgré tout. Toujours comme des sœurs, elle l’avait épaulé quand son fils était petit et qu’elle était seule. Pas entièrement, Nicolas Past aussi l’avait aidé et la surdouée restait toujours surprise de voir qu’ils avaient tissé de bonnes relations. Iris observa son ami qui jouait avec un anneau à un doigt de sa main droite. Un anneau qui n’y était pas la dernière fois qu’elle l’avait vu il y a quelques semaines. Elle lui attrapa le poignet pour approcher un peu plus la main de son regard puis tourna la tête vers Kilian qui affichait un sourire narquois.

— Espèce de petit cachottier ! C’est prévu pour quand ?

— Cela ne date que d’une semaine ! se défendit Kilian en souriant encore plus. Cela va prendre plusieurs mois. J’ai mon boulot de conseiller à faire puis Fred est mon secrétaire donc il peut avoir pas mal de paperasse aussi. Mais on y arrivera ! Sinon, question plus sérieuse, il me faudrait un témoin déjà, je ne vois pas comment je n’aurais pas pu te le demander.

Iris accepta sans l’ombre d’un doute. Elle ne pouvait pas venir au mariage de Kilian sans l’accompagner jusqu’à l’endroit où il jurait ses promesses. Ce n’était même pas imaginable pour les deux. Lui aussi l’avait été.

— Madame Lop, la salua Fred d’humeur taquine en lui faisant la bise.

Il embrassa Kilian et se posta derrière lui pour le serrer dans ses bras tout en regardant Iris aussi. Ils discutèrent un petit moment et changèrent de place. Samuel arriva, salua le couple et entoura la taille d’Iris de ses bras avant de lui embrasser la tempe.

— C’était un bon trajet, chéri ? souffla Iris avant de l’embrasser.

— Ouais… et j’ai des nouvelles des autres, fit-il en souriant avant de recaler une mèche rebelle d’Iris.

— Des bonnes j’espère pour eux, répondit-elle en prenant une main de son mari pour l’embrasser.

— Et bien, figure-toi que Kilian et Fred ne sont pas les seuls à bientôt se marier, lança Samuel.

Il faisait bon, et les deux couples bougèrent de leur endroit pour se balader un peu. Ils organisaient souvent des après-midis pour se revoir, avec tout le monde. La plupart était retournée d’où ils venaient, mais cela ne les empêchait pas de garder des contacts.

— Marianne a accepté ? C’est si improbable !

— C’est Loan aussi, ce n’est pas si étonnant, assura Samuel. Ils sont juste lents pour franchir les étapes.

Kilian avait aussi des contacts réguliers avec Marianne. L’ancienne militaire allait souvent rendre visite à l’ancienne reine en Siar ou accompagnait Anastasia quand elle rentrait dans son pays. Elle l’informait donc de ce qui bougeait dans le pays. Il n’y avait plus de monarchie là-bas, et il n’y avait pas une ou deux personnes aux pouvoirs. Tout dépendait d’un parlement. Seul le cas de la Dheas était plus compliqué. Les conseillers avaient été bannis, les anarchistes et autres clans politiques se disputaient le pouvoir et les régimes mis en place ne restaient que quelques années avant de s’effondrer. L’Opartisk et la Kuyinto s’en sortaient plutôt bien, et ils étaient bien contents de faire partie d’un pays pacifique maintenant. Ils arrivèrent devant l’ancien quartier général de l’association, rénové en immeuble habitable, Lilian descendit les saluer alors que Sandra arrivait tout juste. Ces deux-là étaient toujours très amis, Sandra vivait avec Alex, le thuathien qu’Amanda avait ramené et sa sœur était en colocation avec Lilian. Les deux thuathiens se reconstruisaient une vie loin de la Thuath, et ils ne regrettaient absolument pas. Maryline et Théo arrivèrent eux aussi, avec tout le matériel pour enfant dans leur voiture, et une poussette toute neuve. Leur fils était né au début du mois.

Théo salua chaleureusement Kilian et Fred pendant que Samuel et Iris félicitèrent Maryline. Tous faisaient connaissance du bébé et instinctivement Iris posa la main sur son ventre.

— Tu vas voir, c’est étrange les sensations. Mais après, ça comble de bonheur lorsque tu vois sa bouille te regarder, lui assura Maryline en souriant avant de la prendre dans ses bras.

Son amie retourna dans les bras de Samuel qui rigolait avec Lilian et Alex. Samuel aurait aimé que Peter soit là. Iris aurait souhaité que Marin puisse voir son fils. Kilian aurait voulu que Cassandra puisse se construire une vie avec Liam. La vie avait décidé de les arrêter pendant la guerre, c’était comme cela, on pouvait regretter l’absence des personnes importantes, mais on pouvait choisir d’être heureux et d’avancer malgré tout. Les regards de Kilian et Iris se croisèrent et ils sourirent. Eux, ils avaient choisi d’être heureux sans oublier.