Ce matin, pour une réunion d'audit à dix heures, j'avais tout prévu : un bloc de papier neuf à petits carreaux accompagné de mon fidèle porte-mine Made in Japan, un vieux modèle en métal que j'utilise rarement mais qui me porte chance. Une demi-heure avant le rendez-vous, dernières vérifications : je contrôle si le petit bout de gomme sous le bouton poussoir n'est pas trop sale. En manipulant le crayon, évidemment, je casse la mine et, en tentant d'en faire apparaître une nouvelle section, je réalise que cet outil est complètement vide.

La poisse.

J'appelle une collègue. Puis une autre, pour finir par parcourir tout l'étage en suppliant le moindre employé présent de me céder une mine ou deux. Aberration écologique : tout le monde semble utiliser désormais ces porte-mines en plastique, jetables, aux mines de 0,5 mm si fragiles. Hors de question que j'adopte un de ces bidules laids aux couleurs criardes, ou que je vampirise une mine de ces crayons pour l'adapter au mien : le diamètre est insuffisant, ça va flotter, bref, je sens que ça va me gâcher ma journée.

Il y a une papeterie au coin de la rue, alors je passe un coup de fil ; le vendeur m'indique que non, il n'a pas de mines japonaises de 0,7 mm dans son présentoir, mais peut-être dans l'arrière-boutique, un vieux stock... Je le supplie d'aller voir. Je patiente quelques minutes, et il revient triomphant : il en possède une pleine boîte.

Je m'y rends en courant et, dans un enthousiasme bien compréhensible, je lui achète tout son stock. Je reviens au bureau avec mon petit carton de vingt-quatre étuis de douze mines, un stock suffisant pour plusieurs vies, mais qu'importe.

Neuf heures cinquante-cinq : je retire fébrilement l'emballage de plastique transparent autour de l'étui, saisis religieusement entre deux doigts tremblants un de ces petits morceaux de graphite parfait, usiné avec soin pour une adaptation optimale aux porte-mines auxquels ils sont exclusivement destinés.

La mine ne rentre pas : ce foutu machin n'accepte en réalité que les mines en 0,5 mm.