Nuit d'exploration (I)
Après ses pérégrinations sur le net et le feuilletage intensif de quelques livres, l’idée d’en rencontrer un avait traversé son esprit.
Il s’était dit que ça pouvait être marrant, que ça pouvait être intéressant. Puis, en y réfléchissant, il se dit que ce n’était peut-être pas une bonne idée. Ils étaient considérés comme dangereux, après tout. Et le poème de Victor Hugo ne faisait que renforcer son sentiment. Il était toutefois avide de sensations fortes et cette peur comportait en elle une forme d’excitation. Celle-ci le tiraillait : il avait vraiment envie d’en voir un, comme l’on a l’envie et la fascination de voir, peut-être, un fantôme. C’est aussi pour cela qu’il aimait tant regarder les émissions et les vidéos où les gens visitaient des lieux abandonnés, remplis d’histoires de préférence assez sombres. Ils ne trouvaient parfois rien du tout ou bien des choses suspicieuses. Si c’était vrai ou bien juste un montage, une ficelle tirée pour faire tomber un objet : il ne le savait pas. Mais cela restait tout de même plus qu’intense et excitant, ça le prenait aux tripes. Et c’est après avoir regardé, seul dans le noir, quelques vidéos d’Ehab Qasmeyah qu’il prit enfin sa décision : il y avait un petit bâtiment abandonné pas très loin d’ici. Ça allait être parfait pour l’urbex.
Le pire, c’est qu’il n’y croyait même pas, aux Djinns.
Ce n’était que trois jours plus tard qu’il alla au bâtiment abandonné, une maison assez isolée et assez grande. Pendant ce temps, il acheta des fournitures et de la nourriture, il prépara sa caméra et, finalement, explora le bâtiment. Il se sentait étrangement attiré par ce lieu : c’était celui-ci et pas un autre, même s’il était capable d’aller dans un autre lieu abandonné ; c’était ici qu’il allait se passer quelque chose avec un Djinn et pas autre part. Il ne savait pas pourquoi, mais il le savait.
C’était abandonné depuis assez peu, peut-être un ou deux mois, il ne se souvenait pas. L’important était qu’il n’y avait personne pour le déranger. Enfin… peut-être pas personne car, au fond de lui, il la voulait, sa potentielle rencontre. Lorsqu’il entra, il vit que c’était encore meublé. Il alla d’une salle à une autre au rez-de-chaussé. Il prit soin de retenir quelle salle était quelle salle : le salon, la cuisine, la salle de bain avec les toilettes. Il y avait une salle vide. Peut-être un ancien bureau. Ou bien, vu la taille et certains câbles ainsi que la couleur des murs, une buanderie. Il regarda ensuite les fenêtres et hésita à les ouvrir. Mais il décida de ne pas le faire : il allait faire froid la nuit, il savait qu’il allait faire un peu de bruit et laisser les fenêtres fermées allaient pouvoir donner une meilleure atmosphère et ambiance, surtout avec les résonances qu’il allait y avoir lorsqu’il allait parler.
Après cela, il en profita pour regarder le mobilier plus en détail. Il put voir que certaines armoires étaient faites en un bois sombre toujours brillant grâce au vernis et, ce, malgré la poussière. Il regarda ensuite certains tableaux. Deux d’entre eux étaient de la calligraphie arabe. Il ne parlait pas cette langue mais il trouvait l’écriture très belle. Il se souvint alors que le proprio, qui disparut il y a trois mois, il se souvenait enfin de la date où ça a été abandonné, était musulman. Et, d’après ce qu’il avait entendu de lui, il était un mathématicien ainsi qu’un lettré, qui utilisa ses connaissances scientifiques pour analyser certains livres et même pour créer des images poétiques dans ses nouvelles, romans et pièces de théâtre. Quant à son nom, il chercha dans sa mémoire… mais ne s’en souvenait pas, pour l’instant. Il continua à explorer et vit, dans le salon, une sorte de pied d’estale sur lequel était posé le Coran. C’était une belle édition : cela pouvait se voir à la calligraphie et à la couverture. À côté, il y avait un bureau. Poussé par la curiosité, il ouvrit le tiroir et vit une liasse de feuilles. Il les sortit et lu ce qu’il y avait marqué. C’était, cette fois, en français. Et, en lisant un peu, il put voir que c’était une traduction du Coran doublée de plusieurs commentaires et interprétations. Il vit alors écrit le nom qu’il cherchait : Haroun Rahmani. Et, en parlant de son nom de famille, il vit qu’il y avait autre chose dans le tiroir. Quelques livres : recueils de nouvelle, un petit roman ainsi que quelques essais, ou plutôt articles. L’un était sur un certain Slimane Rahmani et un autre était sur Mouloud Feraoun. Ces noms ne lui disaient rien, il allait falloir qu’il cherche sur internet de retour chez lui. Enfin, il vit un petit débouché d’article, quelques paragraphes seulement, dont le nom était Naguib Mahfouz et les Djinns. Il avait envie d’en lire un peu plus mais ce n’était qu’une petite présentation de l’œuvre de l’artiste et une présentation, en quelques mots, sur ce qu’est un Djinn, des choses qu’il savait déjà. Toutefois, cela n’était pas la seule chose ébauchée et non finie : il y avait une feuille où était marqué en noir Roman de Fantasy : titre à trouver ; en rouge, dans la marge, finie la Fantasy comme mauvais genre ! et, en vert, à la toute fin du texte, un simple à retravailler.
Il reposa enfin tout cela, impressionné par ce qu’il venait de découvrir. Mais il devait continuer l’exploration de la maison.
Il y avait ainsi un second étage dans lequel on pouvait trouver une belle chambre ainsi qu’une salle de bain et une sorte de salle qui aurait pu être un bureau. Dans la chambre et le possible bureau, il y avait une table qui avait commencé à prendre la poussière. Sur la table de la chambre, il pu voir une antiquité merveilleuse : une machine à écrire. Il en avait vu que deux ou trois dans sa vie mais c’est toujours quelque chose d’en revoir une devant ses yeux. Il n’y avait pas de papier mais cela ne l’empêcha pas de s’amuser. Alors, il tapota un peu les touche et le doux bruit mythique se produisit. Un grand sourire se dessina sur son visage. Enfin, lorsqu’il observa le possible bureau, il remarqua une corde au plafond : c’était pour faire descendre une échelle et donner accès au grenier.
Il y monta et alluma sa lampe torche vu qu’il faisait sombre. Il y avait plusieurs cartons. Il se dit qu’il n’allait pas les ouvrir pour fouiner : il avait déjà fouillé en bas comme un malpoli et il s’en voulait de sa curiosité voyeuriste. Après, c’était abandonné. Donc bon… Il continua de regarder autour, aidé du faisceau de sa lampe. Il n’y avait pas grand-chose d’autre, juste une sorte de petit lit dont la couverture semblait froissée.
Il lui sembla alors voir un mouvement dans les ténèbres.
Il pointa sa lampe torche et éclaira tout ce qui pouvait être obscurité.
Mais rien.
Son imagination, peut-être. Il avait envie de voir un Djinn et son cerveau voulait peut-être lui en faire voir un. Il regarda alors l’heure sur son portable. Il était presque 15h30.
Il décida ainsi d’aller à sa voiture et d’attendre le bon moment...
Il n’y avait pas de nuage cette nuit et la lune éclairait de sa sombre et puissante lumière.
Il sortit de sa voiture, une veste sur lui : il faisait tout de même froid. Il avait aussi avec lui du café. Il allait en avoir besoin. Une douce fumée s’échappait du liquide ainsi que de sa bouche. Il se dirigea vers la maison.
Une atmosphère étrange s’en dégageait. C’était le silence absolu. Et le fait que la maison était abandonnée rendait cette solitude oppressante. De plus, son imagination amplifiait tout cela, tourmentant son esprit par des questions, par des et si qui étaient directement suivies de réponse semi-rationnelles et d’espoirs que le surnaturel et le merveilleux existaient. Il regarda les fenêtres fermées et, à des moments, il lui semblait voir une forme sombre derrière, l’observant, mais peut-être qu’il n’y avait rien, que ce n’était qu’un meuble…
Il prit une grande inspiration et, entre peur et excitation, comme avant d’entrer dans une attraction à sensation forte ou d’aller voir un film d’horreur rempli de jumpscares et ne reposant que sur cela dans un cinéma où le son allait être beaucoup trop fort, il ouvrit la porte pour pénétrer dans la maison.
Il alluma sa lampe torche ainsi que sa caméra. Il ne pouvait entendre que le bruit de ses propres pas résonner et son cœur battre. Il y avait cette odeur si spéciale de poussière, celle qui agrippe le nez dans une étreinte puissante et douce dans le même temps, comme lorsque l’on déballe les cartons dans le grenier ou la cave de la grand-mère ou du grand-père.
Rien n’avait bougé depuis la dernière fois. Il y avait toujours le Coran, il y avait toujours les papiers, il y avait tout.
« Il y a quelqu’un ? » il demanda.
Et sa voix rebondit sur les murs et les fenêtres et le plafond et le sol. Comme la salle n’était pas vide, ce ne fut pas une résonance totale.
Mais après cela, rien que le silence.
Il prit une gorgée de café et continua à explorer la maison de nuit. La lumière lunaire passa à travers les fenêtres, créant des rayons et des espaces blancs contrastant avec les ténèbres.
Il alla dans la salle vide et répéta sa question, ajoutant ensuite :
« Je ne vous veux aucun mal. Je ne veux qu’une rencontre avec vous, Djinn. Si vous êtes ici, envoyez-moi un signe, n’importe lequel. »
Mais la seule réponse fut sa propre voix. Il attendit alors plusieurs minutes. Silence. Toujours. Il sortit alors une radio recouverte de papier aluminium, une technique classique pour possiblement communiquer avec l’au-delà ou simplement ce qui est invisible et non avec toutes les autres fréquences radios. Cette technique pouvait possiblement avoir des résultats intéressants, comme dans les vidéos de GussDx. Ceux-là n’étaient peut-être que de la fiction mais, comme on dit, qui ne tente rien n’a rien. Et il avait vraiment envie d’essayer. Il alluma la radio, qui fit des bruits de grésillement très désagréables, et dit à voix haute :
« Cet appareil pourra vous permettre de me faire passer un message, de me dire quelques mots. Si vous êtes ici, s’il vous plaît, répondez-moi. »
Répéter certaines choses était une technique beaucoup utilisée pour être sûr de s’être fait comprendre.
Après avoir reposé sa question et sa demande, il attendit. Silence de nouveau.
Il décida alors d’aller au second étage. Il se remémora la vidéo d’Ehab Qasmeyah et vint dans la salle de bain en premier. Il y avait un miroir. C’est généralement là que les choses excitantes se passent. Il se vit lui-même.
Il eut un soudain sursaut. Il regarda derrière lui. Mais rien. Il était sûr d’avoir vu quelque chose. Ou alors n’était-ce que son imagination. Ce genre de peur lui était déjà arrivé chez lui ou chez ses parents, quand il éteignait la lumière ou quand il disait trois fois Bloody Mary devant la glace : il pensait voir quelque chose mais ce n’était que le produit de son esprit, qui voulait lui faire voir, même si ce n’était qu’une seule seconde, le cauchemar. Ainsi, comme il n’y avait rien, il regarda dans les deux autres pièces. La chambre avait l’air dans un état normal, il y avait toujours la machine à écrire avec rien dessus. Bref, rien qui ne vaille la peine de s’inquiéter. Puis il alla dans le bureau. Toujours rien.
« Si vous êtes là, envoyez-moi un signe, s’il vous plaît », répéta-t-il.
Toujours rien là non plus. Toutefois, même si ce n’était peut-être que son imagination, il se sentait observé. Il se disait qu’il y avait quelque chose. Et, au fond de lui, il l’espérait.
Il regarda au plafond et décida de faire descendre l’échelle pour aller au grenier. Il faisait bien plus sombre là-dedans, étant donné qu’il n’y avait aucune fenêtre et donc aucune lumière venant de la lune. Il y avait toujours les cartons à leur place. Il avança et chuchota :
« J’ose même pas imaginer l’été, ici… Comme on doit crever de chaud... »
Soudain, quelque chose attira ses yeux : la sorte de lit qu’il avait vu plus tôt.
Tout semblait normal… mais, lorsqu’il vit les draps… ils n’étaient plus du tout froissés. C’était étrange, c’était bizarre, car il avait juré les avoir vu froissé l’après-midi ! Est-ce que c’était encore là un tour de son esprit ? Était-ce là une sorte de syndrome de Mandela ? Un faux souvenir ? Non, ils étaient froissés ! Ils l’étaient ! Il recula d’un pas. Il y avait quelqu’un, ici, c’était sûr ! Ou bien peut-être était-ce un squatteur ? C’était possible. Mais, si c’était un squatteur, il l’aurait vu ! Il l’aurait entendu !
Il entendit alors un bruit qui lui fit froid dans le dos et lui chatouilla tout le bas-ventre. Un bruit qui se fit soudainement... Il se retourna et regarda en bas de l’échelle. Le bruit continua. Il reconnut immédiatement ce que c’était.
La machine à écrire.
Quelqu’un tapait à la machine à écrire !
Il descendit si vite qu’il faillit se casser la gueule et fonça vers la chambre, sa lampe braquée droit devant !
Mais il n’y avait rien devant la machine…
Et pourtant elle continuait d’écrire. Toute seule.
Il la regarda et vit que les mêmes lettres étaient pressées. Et toujours dans le même ordre. Comme si ça voulait former un mot.
I – L – L – E – F – E – U
L – E – F – E – U – I – L
F – E – U – I – L – L – E
Feuille ! C’est ça !
Ça voulait une feuille !
Sans prendre le temps d’hésiter, il fonça en bas et fouilla dans le tiroir avec tous les papiers. Il écarta les livres, les feuilles déjà utilisés… il désespéra, n’en trouva pas, mais continua à fouiller…
Et il en trouva une qui était encore vierge.
Il la prit et fila tout azimut vers la machine à écrire pour placer dessus ce qu’il avait entre les mains.
« J’ai ! J’ai... » fit-il avant de souffler.
Alors la machine à écrire s’arrêta. Il attendit quelques secondes…
Et le doux bruit mythique recommença, écrivant quelque chose sur le papier :
Salut.
Il resta coi pendant quelques secondes. Il tenta de dire quelque chose… mais cela ne put sortir de sa bouche. Il balbutia. Et, enfin, il réussit à répondre :
« S… Salut. »
Il y eu le bruit du retour à la ligne sur la machine à écrire.
Voici le signe que tu as demandé : je suis le Djinn.
Il n’en croyait pas ses yeux. Pour lui, les Djinns n’existaient pas… enfin, pas avant qu’il ne tombe en face de cette situation. Il avait peur. Mais tous ses espoirs étaient maintenant accomplis. Il était enfin en face de l’un d’eux. Tout son sang bouillonnait. Un grand sourire se dessina sur son visage.
Retour à la ligne.
Je t’ai observé toute la journée, tu sais.
« Est-ce toi dont j’ai vu la forme tout à l’heure ? »
Oui.
« Est-ce toi que j’ai vu lorsque j’étais devant le miroir ? »
Non.
Alors ce n’était que son imagination, pour cela. Il réfléchit un peu pour poser les bonnes questions : une occasion comme ça, ça ne se présente quasiment qu’une seule fois dans une vie, voire moins.
« Est-ce que tu connais… ou connaissais l’ancien propriétaire de cette maison ? »
Un bon ami à moi. Un bon poète. Un bon écrivain. Je l’aimais beaucoup.
« Que lui est-il arrivé pour que cette maison soit abandonnée ? »
L’amour.
« L’a… ? »
Va chercher d’autres feuilles. Je vais te raconter la nuit où il a quitté ce lieu. Je sais que tu veux savoir. Va.
Et il obéit aux ordres : il alla chercher d’autres feuilles blanches pour le Djinn, qui commença ainsi son récit :
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