Floréal
Primidi 1 floréal
Rose
Gabrielle ouvre doucement les paupières. Sa vision est un peu trouble, alors elle glisse ses doigts sur ses joues, juste sous ses yeux, réflexe qu'elle ne peut s'empêcher d'avoir pour s'habituer à la luminosité. Elle s'étire rapidement, s'obligeant à ne pas faire de grands gestes pour ne pas déranger les gens autour d'elle. Le petit somme qu’elle vient de faire l’a un peu déboussolée, et elle met un certain temps à se rappeler l’objectif de sa venue dans ce lieu inhospitalier. Le mot est peut-être un peu fort, pense-t-elle, mais cette gare au milieu de nul part n’a rien d’accueillant non plus. Soudain, elle réalise qu’elle est ici pour une très bonne raison. Son regard se dirige instantanément vers la grande horloge noire et blanche accrochée sur le mur juste en face d’elle. La jeune femme observe quelques instants la trotteuse avancer inexorablement vers le numéro douze, pour rejoindre trop vite la grande aiguille. Son cœur s’accélère lorsqu’elle comprend que la petite aiguille est elle, bien ancrée au niveau du onze. Elle prend quelques secondes pour analyser la situation, encore un peu dans les vapes.
« Tou-toum-toudoum. Le train en direction de la gare Paris, Montparnasse, va partir voie six. Attention à la fermeture des portes.
- Merde merde merde ! »
Presque toutes les têtes se tournent vers Gabrielle lorsqu’elle jure. Un petit sourire d’excuse apparaît sur son visage quand elle croise le regard dur d’une autre femme, assise à côté d’un gosse d’une dizaine d’années, qui la dévisage en silence. Elle attrape son sac, sentant son cœur battre au niveau de ses tempes. Stupide stress qui n’arrange en rien la situation. Gabrielle se met immédiatement à courir, comme si sa vie en dépendait. Ses longs cheveux blonds devraient flotter derrière elle, rendant tous ses gestes gracieux. Elle devrait éviter avec agilité chaque personne sur son passage, faisant se retourner les beaux garçons qu’elle devrait croiser. Elle devrait arriver devant les portes du train au dernier moment et se glisser à l’intérieur juste avant de ne plus pouvoir rentrer, croiser le regard désabusé du contrôleur et lui faire un grand sourire.
Mais non, ce scénario de film à la con n’arrive jamais dans la réalité. Gabrielle, après quelques mètres en courant, son sac sur son dos la gênant plus qu’autre chose, trébuche, se rattrape comme elle peut grâce à son formidable équilibre, et voit le paysage pencher sur la droite. Sa tête lui tourne soudain, car elle s’est levée trop vite après sa sieste et son corps n’apprécie pas forcément. Au lieu d’être en train de s’installer tranquillement sur un des sièges du véhicule, la jeune femme se retrouve la main collée à un mur, à essayer de reprendre ses esprits. Si Dieu existe, pense-t-elle, il doit particulièrement lui en vouloir aujourd’hui. Ses pieds la guident vers le quai numéro six, comme s’ils avaient l’espoir qu’elle-même avait déjà perdu. Comme prévu, le train en direction de « Paris, Montparnasse » disparaît déjà au loin. Gabrielle glisse doucement ses doigts dans ses cheveux, autant pour se recoiffer que pour se donner une contenance. Un bref soupir s’échappe de ses lèvres. Elle remarque alors que le vent s’est arrêté, et d’un coup, de grosses gouttes se mettent à tomber du ciel, comme le signe clair de l’ennui de Dieu. Le temps qu’elle retourne à l’intérieur de la gare, dépitée, Gabrielle est trempée jusqu’aux os.
Elle se rassoit sur un des sièges, différent de celui où elle était installée avant son éprouvante épopée, pour éviter les regards de jugement des autres. La jeune femme remet une nouvelle fois ses cheveux en place, mais cette fois-ci pour essayer de les faire sécher. Pourquoi, pourquoi ? Pourquoi le seul jour où elle se doit de ne pas être en retard, la SNTF décide d’être à l’heure ? Son corps s’affaisse doucement contre le dossier du banc, et elle attrape son téléphone de ses doigts humides. Gabrielle est attendue à une gare un peu avant Paris, dans deux heures environ. Journée de galère oblige, le prochain train passe à dix-neuf heures ce soir. La reconnaissance digitale échoue trois fois de suite, bloque momentanément l’appareil et arrache un soupir à la jeune femme. Elle tente de l’essuyer avec sa manche, tout comme ses doigts.
- Je suis si désolée ! Le train à décidé d’être à l’heure, et pas moi... Le prochain train est ce soir, je serais là vers 21 heures à peu près.
- Mon amour, ce n’est pas grave ! Que tu arrives maintenant ou ce soir, ça ne fait rien. Profite bien de ta journée au moins !
- Tu es adorable, je t’aime tu sais ? À ce soir !
Les mots de son copain qu’elle doit retrouver aujourd’hui la font sourire. Gabrielle se redresse un peu dans son siège, et regarde pour la première fois en détail autour d’elle. Le bâtiment n’est vraiment pas au summum de sa propreté, et les murs n’ont sans doute pas été repeints depuis de nombreuses années. Elle reste encore une petite heure, à regarder les allées et venues des gens dans la gare, puis décide alors de partir se promener dans la petite ville, chose qu’elle aurait sans doute dû faire depuis longtemps. Ses pas la mènent jusqu’à une boulangerie, où elle achète un sandwich pour le midi. Elle perd la notion du temps dans un grand parc excentré, et rejoint la gare une demi-heure avant le départ du dernier train de la journée. Lorsque les portes s’ouvrent enfin, Gabrielle est la première à entrer dans la voiture. Elle s’installe, comme toujours, côté fenêtre.
Quand le train commence à avancer, Gabrielle se décide à envoyer un nouveau message à son amoureux, pour le prévenir qu’elle arrive. Pourtant, pense-t-elle, qui sait ce qu’il peut se passer sur le trajet ? À chaque fois que le véhicule s’arrête à une station, elle retient son souffle et soupire de soulagement lorsqu’il repart. Enfin, la voix automatique annonce la gare à laquelle elle doit descendre. Ses lèvres s’étirent en un sourire qu’elle ne peut plus effacer. Elle sait qu’elle a sans doute l’air d’une idiote mais la joie de vivre devrait être communicative et non honteuse.
« Attention à la marche en descendant du train. »
Ses deux pieds rejoignent le béton dur du quai. Elle voit un peu plus loin son copain l’attendre devant une autre porte, et son sourire s’agrandit. Il ne l’attend pas exactement au bon endroit, mais il ne pouvait pas deviner qu’elle allait s’installer dans le dernier wagon, donc elle ne lui en veut pas. Les retrouvailles seront d’autant plus belles. Il la remarque enfin au loin, alors qu’elle se dirige déjà dans sa direction. Deux mètres les séparent encore, mais ils sont parcourus en un éclair. Les bras de Gabrielle se serrent dans le dos de celui qu’elle aime, alors qu’une des mains de celui-ci vient se caler sur sa hanche. Il échange un baiser entre douceur et passion. Il s’écarte doucement alors qu’ils ne disent toujours rien, profitant simplement du fait de se retrouver. Puis, son amoureux présente dans sa main droite, le petit cadeau de bienvenue qu’il voulait lui offrir depuis longtemps. Une rose à la main, un sourire un peu moqueur étire ses lèvres alors qu’il observe avec attention la réaction de Gabrielle.
« Je t’avais bien dit que je te ramènerai une rose un de ces jours, à un moment où tu t’y attendrais le moins, rigole-t-il.
- Chou… C’est cliché, mais adorable ! »
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